3. La succession des systèmes agraires : une
histoire de colonisation
a. Les années 1940-1950 : une région
très pauvre
(i) Généralités
Dans les années 1950, la province d'Almeria est
très pauvre. Les agriculteurs regroupés sur les terres limoneuses
des deux vegas pratiquent une agriculture de subsistance et un peu
d'élevage et d'horticulture. Les terres irriguées sont
situés sur les cônes alluvionnaires, à proximité des
cours d'eau, aux endroits où les nappes phréatiques sont le plus
proche de la surface. Les terres non irriguées servent de parcours pour
le petit bétail (chèvres et moutons), les terres de parcours
représentent approximativement la même surface que les terres
irriguées. Les cours d'eau (à sec la plupart du temps) et les
bas-fonds non irrigués sont utilisés comme terres de parcours et
cultivés de manière très aléatoire par les
éleveurs. Les terres situées plus au nord dans la sierra sont
utilisée pour la culture du raisin, puis d'oranger, surtout le long du
rio Andarax. Les plantes spontanées qui poussent dans la steppe,
l'esparto notamment, et le bois, sont récupérées
par les plus pauvres pour être vendus. La province souffre d'une
saignée démographique provoquée par
l'émigration.
La vega de acâ, comme son nom l'indique, est
plus proche de la ville d'Almeria, alors beaucoup plus petite et beaucoup plus
éloignée, ce qui leur donne une facilitée pour vendre
leurs produits.
Il y a environ 500 exploitations agricoles, situées sur
les terres irriguées. La propriété est très mal
partagée, le système de métayage est très largement
répandu : Le propriétaire doit fournir la terre et l'eau, et le
métayer le travail, les consommations intermédiaires et la
production sont partagée à 50%. Il existe un autre système
de métayage où le propriétaire fournit la totalité
des consommations intermédiaires et récupèrent 60% de la
production. Le fermage est très rare car les agriculteurs n'ont pas les
moyens d'avancer les frais de début de campagne.
(ii) Les différenciations sociales
Voici les différentes classes d'acteurs impliquées
dans l'agriculture dans les années 1950, reconstituées
grâce à des enquêtes auprès des agriculteurs
âgés :
Les journaliers : ils vivent de la
cueillette de la végétation spontanée de la sierra,
esparto et bois et vendent leur force de travail aux exploitations
patronales et capitalistes qui le nécessitent. Ils existent aussi
beaucoup de travailleurs salariés dans les plantations de raisins,
jusque dans les années 30, puis d'oranger.
Les éleveurs : ils ne
possèdent ni la terre ni, bien souvent, le troupeau. Ils pratiquent un
élevage de chèvre et de brebis transhumant entre les zones en sec
de la plaine côtière et la sierra. Ils doivent payer aux grands
propriétaires le droit de faire pâturer le troupeau sur les
espaces de steppe. Ils pratiquent un peu de culture de céréales,
surtout de l'orge, sur les terres non irriguées dans les bas-fonds aux
abords des cours d'eau, mais ne peuvent récolter que les années
où il pleut abondamment.
Les métayers sur 1 ha avec un petit
élevage : Ils cultivent sur les terres irriguées des
céréales, blé et orge, de la luzerne, des pommes de terre
et des arbres fruitiers. Ils pratiquent également un petit
élevage : 2 ou 3 porcs et chèvres ou brebis qu'ils nourrissent
grâce à la luzerne et qu'ils font pâturer sur des terres de
parcours et dans les cours d'eau à sec. Ils vendent leur force de
travail dans les exploitations plus grandes. Ils possèdent des animaux
de traits, mules ou ânes. La production est avant tout destinée
à l'autoconsommation.
Les métayers sur 3-4 ha avec élevage
de vache : Ils cultivent sur les terres irriguées des
céréales, blé, orge, maïs, de la luzerne, des pommes
de terre, et pratiquent l'horticulture (tomates, concombres, haricot) et
l'arboriculture dans les jardins. Ils possèdent également des
vaches pour la production de lait et le travail attelé et du petit
bétail. Ils vendent le lait et les produits de l'horticulture, le reste
étant destiné prioritairement à l'autoconsommation.
Les petits propriétaires sur 1-2 ha.
Ils produisent des céréales, blé, orge et maïs, de la
luzerne, des pommes de terre, de la betterave, et de l'horticulture. Ils
possèdent également quelques vaches laitières et des
boeufs de travail. Ils vendent le lait et les produits de l'horticulture.
Les propriétaires moyens sur 5-6 ha.
Ils produisent des céréales, blé, orge et maïs, de la
luzerne, des pommes de terre, de la betterave et possèdent des vaches
laitières. Ils pratiquent également beaucoup d'horticulture. La
main d'oeuvre est en partie salariée et la production est
destinée prioritairement à la vente.
Les grands propriétaires qui peuvent
posséder 30 à 40 ha de terres irriguées et/ou 200 à
300 ha de terres non irriguées. Les terres irriguées sont
cultivées en métayage ou par des salariés, on y pratique
l'élevage et de l'horticulture destinés à la vente. Les
terres non irriguées sont des terres de pâture : ils vendent le
droit de pâture aux éleveurs.
(iii) Les techniques de culture
En ce qui concerne l'agriculture de subsistance, l'agriculture
est associée à l'élevage. La luzerne est en rotation avec
les céréales. Les animaux sont nourris par la luzerne, les
résidus de culture, et la pulpe de betterave, pour ceux qui la
cultivent. Le travail du sol attelé avec des ânes ou des boeufs
est très largement utilisé, avec un instrument aratoire. Les
cultures
sont protégées du vent par des petites haies faites
de cafia séchée, qui sont fréquemment
arrachées par le vent et reconstruite.
(iv) L'eau
C'est la présence d'un des cours d'eau les plus
importants de la région, le rio Andarax, qui explique l'existence d'une
activité agricole dans cette région particulièrement
sèche. L'eau provient de puits privés activés par de
petites pompes électriques situés à proximité du
fleuve, et de la source de Viator où l'eau est abondante en hiver et au
printemps mais sèche en été. C'est donc toujours de l'eau
souterraine qui est utilisée, l'eau de pluie peut être
récupérée mais ne représente qu'une faible
quantité d'eau, le fleuve est à sec sauf lorsqu'il pleut. Les
eaux venant de la montagne sont drainées par l'Andarax jusqu'au nappes
phréatiques.
Les canalisations sont à l'air libre et permettent de
relier les exploitations à la source de Viator. On irrigue par
submersion : on laisse l'eau s'écouler sur le terrain
légèrement en pente.
(v) La vente des produits
Les produits sont autoconsommés ou commercialisés
sur le marché de la ville d'Almeria. Le lait est vendu au porte à
porte jusqu'à l'ouverture de la central laitière.
(vi) Le devenir des principales classes sociales
On retrouve aujourd'hui très facilement les
agriculteurs et les fils d'agriculteurs des métayers sur 3 ha, des
petits et moyens propriétaires. Ils ont suivis et se sont adaptés
à toutes les transformations qui vont suivre. En ce qui concerne les
journaliers, les éleveurs, et les petits métayers, ils ont
émigrés ou se sont reconvertis dans une autre activité,
par exemple les enfants ne travaillent pas dans l'agriculture, mais on peut
aussi les retrouver parmi les nombreux colons qui s'installent dans la
région à la période suivante.
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Les journalier
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- Emigration
- travail journalier
- colonisation
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Les éleveurs
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- émigration
- colonisation
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Les medianeros sur 1 ha avec un petit
élevage
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- émigration
- transformation du système de production
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Les medianeros sur 3-4 ha avec élevage
de vache
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- transformation du système de production
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Les petits propriétaires sur 1-2 ha.
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- transformation du système de production
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Les propriétaires moyens sur 5-6 ha.
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- transformation du système de production
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Les grands propriétaires
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- installation de métayers
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Figure 14 : devenir des principales classes sociales
dans les années 1960
(vii) Conclusion
L'après guerre civile est une période
particulièrement dure pour la province d'Almeria. L'agriculture est
tournée principalement vers l'autoconsommation avec un système
latifundiste mais avec des tailles de propriété inférieur
au reste de l'Andalousie, notamment parce que seules les terres
irriguées, de petite surface, sont cultivables. Cette agriculture permet
à peine de nourrir la population qui se voit dans l'obligation
d'émigrer.
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