2. L'histoire agricole de la province d'Almeria à
partir de l'époque
arabe
« Pour la première fois depuis que je parcours
le pays me vient à l'esprit que les almerienses n'ont jamais
été protagonistes dans leur histoire, mais bien des figurants,
résignés et muets. Occupée successivement par les
Phéniciens, Carthaginois, Romains, Visigoths, Almería connut une
brève période de splendeur dans les lumières de la
domination musulmane. « Quand Almería était Almería,
dit un proverbe que les anciens répètent avec mélancolie,
Grenade était son grenier». Depuis sa conquête par les Rois
Catholiques, la région a souffert d'une pathétique et incessante
décadence. La monarchie espagnole lui a envoyé gouverneurs et
maires mais Almería ne s'est pas vraiment intégré à
l'Espagne. Les almerienses irriguèrent de leur sang les possessions
d'Europe, d'Afrique, d'Océanie et d'Amérique mais leur sacrifice
n'apporta aucune compensation à leur petit pays. La
déforestation, l'émigration ont transformé en ce
désert actuel les paysages antiques. Colonisée par le pouvoir
centralisé des Bourbons, comme elle le fut par l'industrie
étrangère et catalane, Almería fut ignorée par les
rois, ministres, réformateurs, écrivains. Une légende
d'incompréhension et d'oubli devait la maintenir loin de tous les
mouvements rénovateurs qui se produisirent en Espagne. Au
dix-huitième siècle, elle était la cendrillon de nos
provinces et quand les écrivains de Quatre-vingt Dix-huit
marchèrent sur les chemins et la terre de la péninsule, ils se
détournèrent d'elle, et ne jugèrent pas digne de leurs
talents de défendre sa cause. Depuis toujours, offrant ses fils au pays,
petits almerienses aux visages terreux, les cheveux noirs et le regard
brillant, vêtus, sans aucun doute, des mêmes vêtements
usés que leur descendants actuels... Ils ne furent jamais de grands
conquérants comme les Castillans ou les Extremaduriens, navigants
intrépides comme les Galiciens ou les Basques, ni commerçants de
fortune comme les Sévillans ou les Catalans. Son apport fut presque
toujours anonyme. Ils furent les rameurs silencieux des galons, la troupe
souffrante des armées, la main d'oeuvre obscure vivant dans
l'abnégation. Et si Almería figure peu dans les manuels
d'Histoire, là où, de par le monde, un jour ou l'autre, les
espagnols posèrent le pied, les fosses communes contiennent un bon
pourcentage d 'almerienses. »
Juan Goytisolo, 1960, Campos de Nijar.
a. Les systèmes agraires mis en place par les Arabes
(avant 1492)
Almería fut peuplée et occupée par les
Phéniciens, entretint des relations amicales avec les Grecs, puis fut
colonisée par les Carthaginois et les Romains, les Vandales, les
Wisigoths et les Byzantins. Cependant c'est la civilisation
islamique, avec huit siècles de présence dans la province, qui
exerça l'influence la plus importante. Au début du 8ème
siècle, les Arabes -principalement des Yéménites- et les
Berbères arrivent sur le territoire d'Almeria et commencent à
développer une agriculture qui modifia substantiellement le paysage.
Pechina est alors la capitale de la province. En 955, la ville d'Almeria qui
jusqu'alors, avait été un quartier portuaire de Pechina est
officiellement créée sous le nom de Al Mariyyat Bayyana, avec la
création d'une forteresse destinée à résister aux
attaques venant de la mer : l'Alcazaba. La nouvelle cité deviendra le
principal port du califat de Cordoue et elle développera un important
commerce avec la Méditerranée Orientale et l'Afrique du Nord.
Les terres agricoles sont organisées en auréoles
concentriques autour des villages. Les zones les plus importantes sont les
vegas, c'est-à-dire les zones irriguées, situées
sur les
plaines ou cônes alluviaux, de petite surface et
très intensives en travail, et les zones aménagées en
terrasse plus proche de la sierra.
Les jardins irrigués constituent la
première auréole, proche des habitations. On y cultive le
mûrier, l'olivier, l'amandier, l'oranger, la vigne, le lin et des
produits horticoles... La cafia, graminées de 3 à 4
mètres de haut est utilisée pour protéger les parcelles du
vent, et garde cette fonction jusqu'à l'arrivée des serres dans
la zone.
Les terres labourables irriguées :
on y cultive des céréales, blé et orge, du lin,
associés avec des produits horticoles et des arbres (mûriers,
palmiers, orangers, citronniers, poirier, pommiers). Le travail du sol est
effectué à l'aide d'un araire tiré par des boeufs ou des
ânes.
Les terrasses sont utilisées pour la
culture de céréales en association avec de l'arboriculture,
oliviers et figuiers. Les terrasses sont construites de manière à
retenir l'eau.
Les terres cultivées non
irriguées produisent très peu : on y cultive dans les
zones de bas-fond de l'orge et quelques arbres, par exemple l'amandier. Les
récoltes sont aléatoires à cause de la rareté des
pluies (on peut récolter une année sur deux ou trois), les
friches sont très longues et on utilise le feu pour augmenter la
fertilité du sol et se débarrasser des mauvaises herbes. On
cultive aussi la barrilla sur les friches ou sur les
céréales mortes, cette plante, qui apprécie les milieux
salins, produit une sorte de soude utilisée dans la fabrication de
savon.
Le reste des terres constitue la plus
grande surface : ce sont des espaces incultes, utilisés comme
pâturage, et pour la collecte de l'esparto, plante
spontanée, qui sert à la fabrication de cordes, et qui a permis
durant des siècles la survie des habitants les plus pauvres.
L'élevage de brebis et de chèvres
est transhumant, entre la plaine côtière et la sierra.
La province d'Almeria est déficitaire en
céréales et doit en importer. Les paysans se livrent
généralement également à des activités de
petit artisanat, à partir de la soie, du lin, de la laine.
L'unité administrative est le « taha ». La terre est
propriété éminente du taha et un droit d'utilisation est
accordé à celui qui la travaille. L'eau est liée à
la terre, elle est un droit pour l'agriculteur. Les parcelles sont très
dispersées.
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