III.5. Compétences
linguistiques et habilités à l'enseignement
Le profil du locuteur moyen du secondaire nous pousse à
nous interroger sur les compétences, tant linguistiques que
professionnelles, que le futur enseignant du primaire doit mettre en oeuvre
pour être à la hauteur de sa tâche. Même si nous nous
permettons de partir d'une étude qui n'est pas longitudinale pour
inférer sur les capacités des élèves finalistes des
humanités pédagogiques à pouvoir enseigner à la fin
de leur cursus. Pour mesurer les habilités dont doivent faire montre les
pédagogues du niveau 6 ans post-primaires afin de pouvoir enseigner
à l'école primaire, nous commençons par établir la
différence entre le profil-type du primaire et du secondaire. Nous
obtenons cette différence par la moyenne des notes de témoins
selon la formule ci-après :
?Note = Note secondaire - Note primaire/Note primaire.
Cette évolution est de 34,65 %.
Ladite moyenne représente l'évolution de la
courbe différentielle entre les compétences du sujet primaire et
celle du sujet secondaire.
Graphique 10 : La moyenne des compétences de deux
types de locuteurs
Cette différence est d'autant plus
compréhensible que la charge horaire, mais aussi et surtout le contenu
des curricula du primaire et du secondaire n'ont pas de commune mesure. La
charge horaire du cours de français à l'école primaire (de
la première à la dernière année) est de 1170
heures. En première année le cours a 4h/semaine, et de
deuxième en sixième, on lui donne 7h/semaine. L'année
scolaire compte plus ou moins 30 semaines. Au secondaire, la charge horaire
augmente en première année pour atteindre 10h/semaine. En
deuxième année, elle est de 8h/semaine. De la troisième
à la sixième année, on accorde 5h/semaine au cours de
français. Ce qui fait un total de 1140 heures.
Pendant les deux années du cycle inférieur,
l'enseignement du français vise à « faire parler
l'élève, l'amener progressivement à corriger ses fautes et
à pratiquer un langage usuel simple » (en première) et
à « [...] développer de front l'expression orale et
l'expression écrite] (en deuxième année). Les manuels de
ce cycle proposent un vocabulaire de 1500 mots (en première) et 2500
mots (en deuxième année) avec une préférence pour
les textes dialogués, narratifs ou descriptifs, oeuvres d'auteurs
africains présentant « des situations plus
familières » aux élèves.
Les instructions officielles insistent sur la
référence au vocabulaire du français fondamental qui doit
être renforcé par le vocabulaire usuel. La grammaire est
essentiellement fonctionnelle et repose sur l'assimilation des structures des
phrases (par des exercices structuraux). Elle est une répétition
des notions abordées à l'école primaire, mais dans un but
de fixation, et demeure implicite sauf pour l'apprentissage de l'accord du
participe passé et de quelques règles grammaticales
nécessitant plus d'explicitation. L'autorité qui édicte
ces instructions est consciente du caractère non maternel de la langue
française pour l'élève congolais et tente, dans la
manière du possible, de lui proposer des ressources efficientes pour la
maîtrise du français « avec sa rigueur, sa richesse et
ses nuances ». Le programme envisage « l'apprentissage du
français langue étrangère », mais avec quelles
méthodes ? (Programme national 1987, p. 19-35).
Au second cycle, l'étude de la langue se construit
toujours autour des textes de lecture qui deviennent plus consistant au plan
lexical, avec une approche d'analyse. En troisième année, on
étudie plus les textes d'auteurs africains (80 %) que de
Français. En quatrième, on recommande l'éclectisme pour
introduire progressivement des classiques français ainsi que ceux de la
littérature étrangère d'expression française, dans
une optique comparative de formes et de styles linguistiques. Le degré
terminal (cinquième et sixième) propose une étude plus
approfondie des textes, visant à faire acquérir la
réflexion et la rigueur de pensée et en rapport avec des centres
d'intérêts bien précis.
C'est donc à ce niveau - avec l'étude de divers
grands courants de pensées - qu'un vrai travail d'ouverture à la
culture étrangère intervient, permettant de comprendre les
attitudes particularisantes de l'autre. Le temps accordé à cet
aspect plus qu'important de l'apprentissage est certainement court et ne peut
pas valablement permettre l'acquisition des compétences performatrices.
L'étude de la grammaire au second cycle s'assigne des
objectifs de consolidation de ce qui a été appris au premier
cycle. Des notions jugées fondamentales (articles, pronoms,
conjonctions, prépositions, syntaxe des modes et temps des verbes,
discours direct et indirect, etc.) sont revisitées en fonction de leur
impact dans la logique des textes de lecture ou leur fonction dans d'autres
activités d'apprentissage. L'enseignement de la grammaire est donc
occasionnel et a un but correctif. Un traitement particulier est
réservé aux notions sémantiques d'expression (but, cause,
condition, comparaison, conséquence, espace, manière, opposition,
temps, etc.). Les structures des phrases sont révisées dans le
cadre des activités de production orale et écrite.
Il sied de souligner ici que la quantité des
matières enseignées ou proposées à l'enseignement
jusqu'à la fin du cursus secondaire, devraient suffire pour qu'un
élève obtienne le maximum des points sinon quatre-vingt-dix pour
cent des points au test que nous avons organisé. Il aurait ainsi obtenu
son SMIC francophone. Mais les résultats de cette étude nous
prouvent le contraire.
La différence existant entre les deux types de
locuteurs que nous avons identifiés n'est donc pas une fin en soi pour
témoigner de la compétence à pouvoir enseigner. En
conséquence, nous estimons qu'il est nécessaire de renforcer les
capacités des élèves qui optent pour la section
pédagogique. Il faudrait pour eux des curricula qui intègrent au
cours de français des activités particulières. Des
tâches de simulation d'enseignement, par exemple, renforceraient les
cours à caractère psychopédagogique inscrits à leur
programme. C'est un cours de français sur objectifs spécifiques
que nous préconisons.
Un tel cours n'aurait d'impact sensible que si à partir
de l'école primaire le projet formatif au niveau national intègre
la « compétence interculturelle » dans
l'enseignement de la langue française. Car « en s'attachant
à la « dimension interculturelle »
de l'enseignement des langues, on vise à faire des apprenants
des locuteurs ou des médiateurs interculturels,
capables de s'engager dans un cadre complexe et un contexte d'identités
multiples [...] » (Bayram, Gribkova et Starkey 2002). En même
temps que la compétence linguistique se met en place, la
compétence interculturelle permet, d'après ces auteurs,
« un dialogue éclairé entre individus ayant des
identités sociales différentes ».
Dans le cas qui est le nôtre, le dialogue
« extra-identitaire » est possible à travers les
manuels scolaires. Ceux-ci ne doivent pas contenir uniquement des faits
culturels locaux, mais incorporer aussi la culture étrangère. De
cette manière, on aiderait les apprenants à ajouter le
« langage adéquat » à leurs connaissances
grammaticales. Nous notons en effet que limiter la sélection des manuels
scolaires aux donnes thématiques de l'environnement des
élèves restreint sensiblement le champ de leur acquisition du
lexique.
Le test d'évaluation des compétences
linguistiques nous a révélé notamment que beaucoup
d'échecs concernant la production orale et écrite, proviennent du
fait que les élèves n'ont pas trouvé les ensembles
lexicaux définis par les thèmes proposés. La couverture
lexicale est, pour la majorité des cas, inférieure à 40 %.
Certains mots culturellement marqués tels que banque,
bureau, dame, étal, gangster,
hold-up, pistolet, rôti..., s'ils ne sont pas
absents, apparaissent rarement dans leurs discours. Par exemple, maman
remplace à 90 % dame. Ceci s'expliquerait par le fait que les
enfants congolais appellent maman toute femme ou toute dame qui en porte
l'âge.
Enseigner une langue et/ou enseigner dans une langue
nécessite donc la mise en oeuvre des compétences
linguistiques ; mais celles-ci doivent fonctionner en synergie avec des
compétences professionnelles afin de créer des habilités,
des attitudes, des capacités qui confèrent la qualification dans
le domaine. Voilà le sens que nous accordons à la
compétence de communication dans ce cas ; une compétence
faite à la fois des savoirs, des savoir-faire, des savoir-être.
CONCLUSION
GENERALE
Le contexte de l'enseignement/apprentissage du français
en République démocratique du Congo détermine les
préoccupations au centre de ce travail de recherche. Pour comprendre ce
contexte, saisir ses caractéristiques, nous avons analysé des
manuels scolaires, seules sources des données d'apprentissage qui
rendent possible l'appropriation de la langue française par les
Congolais.
Parler du contexte d'enseignement/apprentissage c'est aussi
faire allusion aux conditions dans lesquelles se déroule ce processus.
Voilà pourquoi il a été nécessaire de
décrire ce contexte, le situer dans son environnement, avant de
procéder à l'analyse des manuels qui servent de corpus à
cette étude.
Le français, « langue du colonisateur
Belge », évolue au Congo-Kinshasa dans une situation
sociolinguistique complexe. Son statut de langue officiel, sa fonction de
langue de scolarisation, devraient caractériser le choix de ses
méthodes d'enseignement. Le passage en revue de cette situation
sociolinguistique montre que les Congolais, à une grande
majorité, découvrent la langue française à
l'école où à la fois elle est médium et
matière d'enseignement.
Notre but est de comprendre comment se réalise le
processus d'apprentissage dans un contexte formel où seule l'institution
étatique détient le pouvoir de décider de ce qui doit
être enseigné. L'Etat a la responsabilité d'élaborer
des curricula scolaires en vue d'assurer la formation de ses citoyens. Ses
directives sont prépondérantes même dans
l'élaboration des manuels par des tiers.
L'analyse quantitative et qualitative des contenus nous a
permis de récolter des données nécessaires pour
l'aboutissement de cette étude. Le traitement de ces données
s'est réalisé principalement à l'aide de la grille de
l'ONL (Observatoire national de lecture) que nous avons trouvé
adaptée aux objectifs de la présente étude. Cette grille a
été mise au point pour aider l'enseignant à choisir, sur
des bases objectives, le manuel qui répond aux objectifs de
l'enseignement/apprentissage et ainsi pouvoir l'utiliser à bon escient.
Elle est applicable à tout manuel de lecture ou d'apprentissage de
langue, notamment grâce aux critères d'étude
édictés pour « une observation de tendances et
d'orientation ». Elle permet aussi d'étudier, tel est notre
cas, les critères des principes de didactique analytique d'enseignement
de langue dans une approche non comparative.
Nous avons dû recourir aux outils informatiques (Lexico
3, Cordial analyseur, Microsoft Excel, Mk Corpus) pour le traitement
statistique des données quantifiables susceptibles de rendre possible
l'observation des caractéristiques des manuels analysés.
L'étude menée nous renseigne donc sur les activités que
les manuels analysés proposent, sur leur efficacité à
produire des capacités escomptées dans le chef des apprenants.
L'analyse des manuels nous a permis d'identifier la forme de
l'input auquel les élèves sont exposés.
L'évaluation des compétences linguistiques des
élèves en fin de cursus scolaire (primaire et secondaire
pédagogique) complète l'analyse des manuels. Ce deuxième
aspect de la présente étude vise à mesurer le niveau des
capacités acquises par apport aux contenus des manuels utilisés.
Les objectifs généraux et spécifiques que le
système éducatif congolais se fixe sont également pris en
compte.
Les deux aspects de l'étude - c'est-à-dire
l'analyse des manuels et l'évaluation des compétences
linguistiques - permettent de scruter l'apprentissage et la pratique du
français langue seconde en milieu scolaire en R.D. Congo.
L'objectif de l'apprentissage de L2 demeure la mise en place
des compétences (habilités et attitudes), des savoirs et
savoir-faire. Nous retenons de Krashen (1985) que le développement de la
compétence en L2 est conditionné par l'exposition aux
données de la langue cible, à l'input. En milieu scolaire,
l'input auquel les élèves peuvent être exposés
provient des contenus des manuels. Ce sont les activités qu'on
réalise sur cet input conditionné qui favorisent le
déclenchement du procès acquisitionnel.
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