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Comment les opérateurs Ouest Africains de télécommunications pourraient ils modifier leur statut de filiales des multinationales européennes ?

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par Cheikh Mbengue
Université Blaise Pascal, IUP CI - Master 1 Développement et Promotion des biens et services, mention commerce international 2006
  

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2. Etat des lieux des privatisations en Afrique de l'Ouest

On parle souvent de la fracture numérique, mais ce n'est que la conséquence immédiate de la « fracture téléphonique ». Si l'Afrique comptait en 2002 une population de 5,5 millions d'internautes pour une population de 770 millions de personnes, soit un internaute sur 200 individus contre une moyenne mondiale de 1 pour 15, elle abritait seulement à la même période 2% des lignes téléphoniques mondiales. La télédensité (nombre de lignes téléphoniques pour 100 habitants) atteignait à peine 1,2 %. Ces statistiques ne prêtent pas à l'optimise et invite un bilan sans concession de la politique suivie en matière de télécommunications sur le continent africain. Les réformes ont été mises en place depuis plusieurs années, il est alors maintenant possible d'en établir un bilan et faire l'état des lieux. Le Secrétaire général de l'UIT avait déclaré : «il nous faut lancer une offensive tout azimuts pour faire en sorte que tous les villages de cette planète soient connectés avant le sommet mondial de la société de l'information ». Le sommet était prévu en 2003 et 2005 donc si les hommes politiques chargés de régulation et les opérateurs prenaient cette déclaration au sérieux, ces objectifs seraient atteints depuis déjà quelques années ce qui réduirait la fracture numérique de quelques crans. Pourtant la réduction de la fracture est toujours à l'ordre du jour sachant qu'elle se creuse. Cette déclaration du Secrétaire Général de l'UIT n'était rien d'autres qu'une partie des engagements des organismes internationaux pour la restructuration du secteur des télécommunications afin que les moins servis le soient finalement. Par conséquent les privatisations devraient permettre à atteindre ces objectifs. Ces dernières années ont témoigné d'un développement des

télécommunications en Afrique grâce à priori à la réforme des télécommunications. Néanmoins les progrès sont beaucoup moins sensibles dans les zones rurales. Les statistiques disponibles ne rendent pas compte cependant ni des territoires couverts ni de des réalités quotidiennes des populations. Il existe des zones rurales dans lesquelles l'accès à un téléphone fixe est rare et le réseau et tellement de mauvaise qualité que l'usage d'un téléphone portable est presque impossible. Si dans les zones urbaines le développement du téléphone fixe et téléphone portable est assez soutenu, les zones rurales au contraire souffrent beaucoup d'un manque de connexion abyssale. Dans les zones les plus reculées, il se trouve parfois que les habitants parcourent des kilomètres pour avoir accès à un téléphone fixe grâce aux télécentres très développés dans les villes mais encore presque inexistants dans les villages. Les villages africains dépourvus d'un accès au téléphone fixe se chiffre à plus de 80%. Encore faut-il souligner que dans certains cas même si l'accès existe les dérangements multiples font que la disponibilité reste aléatoire. A cela s'ajoute le prix élevé dune communication téléphonique qui n'est pas raisonnablement calculé sous la base du pouvoir d'achat et du niveau de vie. Pourtant ces habitants des zones rurales éprouvent des besoins de communication tout aussi importants que ceux des zones urbaines. Cela creuse davantage le fossé qui existe déjà entre les zones rurales et les zones urbaines en afrique. L'exode rural en est la conséquence immédiate. Les jeunes désertent les zones rurales et viennent s'installer en ville laissant la campagne avec les personnes âgées. Cette situation a des conséquences fâcheuses dans l'économie africaine en général et l'Afrique de l'Ouest en particulier. Dans cette zone l'agriculture est encore à l'état artisanale et est tenue par les jeunes. Si les jeunes quittent la campagne pour aller en ville alors qu'ils n'ont aucune qualification professionnelle, cela ne servira ni à eux ni la population toute entière. Les exportations de produits agricoles diminuent comme l'arachide pour le Sénégal, l'importation augmente et la balance commerciale devient de plus en plus déficitaire. Du fait que la majeure partie des biens consommés est importée, les produits sont plus chers, la vie devient de plus en plus chère car le pouvoir d'achat diminue. Ces populations sont donc confrontées à

un problème de raccordement mais également à un problème de coût de la communication. Un autre problème est que lorsque la zone est couverte par le réseau mobile, les populations sont souvent contraintes de payer jusqu'à 10 fois parfois plus le tarif d'une communication du fixe. Dans les villes, à défaut d'avoir un fixe chez soi, certains sont contraints d'acheter des minutes à un petit revendeur (gérant de télécentre). Là aussi les prix sont largement supérieurs à ceux pratiqués dans les pays développés. Sur ce point, si la réforme des télécommunications a permis le développement encore nuancé, dans les zones rurales elle laisse les habitants « numériquement marginalisés ». Cette «marginalisation numérique » des habitants ruraux constitue une défaillance dans la gestion des services publics. S'agit-il d'un problème de régulation de la part de l'état?

Le bilan des privatisations reste alors mitigé. Certains pays se sont séparés de la multinationale repreneur seulement après quelques années comme c'est le cas au Cameroun. Les raisons d'un divorce aussi rapide s'explique par un manque de financement ou alors un manque de désire de s'engager à relever le défi. Cependant dans certains pays comme le Sénégal la privatisation a été jugée comme un cas de réussite. Mais faudrait-il y voir de plus prés et avec vigilance avant de se prononcer. Ce schéma préétabli exporté ou imposé de l'extérieur produit les mêmes effets partout que se soit en Europe ou en Afrique. L'abonnement et la taxation locale sont augmentés pour diminuer la longue distance et l'internationale, ce qui touche les zones les plus défavorisées de la population et donc les zones rurales. Seulement les effets sont beaucoup plus apparents en Afrique où les zones rurales souffrent énormément de cette marginalisation. Dans cette perspective l'on se pose la question de savoir à qui la privatisation profite ? Et bien les opérateurs les plus prometteurs semblent en bénéficier au détriment des opérateurs les plus pauvres. Pourtant l'objectif principal de la libéralisation des télécommunications était de favoriser le développement des télécommunications au profit de tous. Donc, contrairement aux idées reçues, la privatisation ne sert pas à développer les opérateurs les plus pauvres qui ont besoin de financement mais plutôt à prendre parts dans les opérateurs les plus rémunérateurs ce qui permet aux multinationales de rapatrier les bénéfices ainsi récoltés à leurs pays

respectifs. Si l'on constate que la privatisation a marché qu'avec les opérateurs africains qui étaient prometteurs au moment de la privatisation et que les opérateurs les plus pauvres et qui étaient au bord de la faillite peinent à décoller jusqu'à présent après avoir été privatisés, l'on serait tenter de dire que les opérateurs seraient au même niveau de développement qu'ils ont atteints aujourd'hui même s'ils n'étaient pas privatisés. A ce rythme les opérateurs africains vont devoir se contenter d'un développement apparent des télécommunications. Apparent car si le développement ne profite peu ou pas aux populations locales, on ne pourra pas parler de développement au vrai sens du terme. Un développement réel des télécommunications en Afrique se traduirait par la couverture de tout le territoire avec un service minimum garanti mais aussi un réinvestissement des bénéfices dans d'autres secteurs du pays. Non seulement le développement des télécommunications profiterait à la population entière mais il permettrait également de développer d'autres secteurs.

Les résultats sont décevants à coût terme à quelques exceptions. Si quelques pays jouissent peu ou pleinement de la libéralisation des télécommunications, d'autres sont encore au stade de la recherche d'un repreneur soit parce qu'ils se sont séparés du repreneur à défaut de bons résultats ou d'un manque de respect des cahiers des charges, soit ils n'ont jamais eu de repreneur à défaut d'être attractifs. Mais le processus de privatisation n'a pas encore achevé. Il a été entamé depuis plus d'une dizaine d'années et beaucoup de pays africains y s'étaient engagés. Plus d'un quart des privatisations dans les pays en voie de développement ont été réalisées, correspondant en moyenne à 17% du PIB de la région. Cependant la valeur des privatisations en millions de dollars est négligeable, moins de 1% de la valeur des entreprises privatisées dans les pays en voie de développement. Ce pourcentage qui relativise la portée des privatisations dans la région, peut s'expliquer d'une part par la faible participation des ces entreprises à la fabrication de produits à haute valeur ajoutée du fait notamment de la spécialisation régionale dans la production de matières premières. D'autre par la privatisation a été une sorte de liquidation judiciaire pour des entreprises au bord de la faillite.

Enfin, les modes de cession, souvent partielles de ces entreprises ont été la plupart du temps réalisés dans une perspective de déréglementation que de privatisation. La nuance est de taille. La déréglementation suppose un renforcement des mécanismes de la concurrence dans un cadre où l'état reste très présent, alors que la privatisation suppose un transfert de l'Etat au privé à concurrence d'au moins 50% de ses participations.

Au regard de ces conséquences, l'ont peut rester perplexe à propos du double objectif assigné à la privatisation dans la région. D'une part, l'assainissement des finances publiques par la réaffectation des recettes de la privatisation et le ralentissement de la croissance de la dette publique ainsi que son amortissement; d'autre part atteindre une sorte

«d'optimalité parétienne » (égalitaire dans la répartition des ressources par les entreprises privatisées. Cette dernière hypothèse semble effectivement velléitaire au regard de deux procédés timidement utilisés : le développement de l'actionnariat particulier (malgré l'insuffisance notoire de l'épargne locale formelle) et la possibilité accordée aux salariés de participer au capital de l'entreprise. Les inégalités auraient pu être atténuées, si ces privatisations auront eu lieu dans un contexte où les appareils judiciaires ont fonctionné de manière optimale.

Cependant, ce bilan tout de même décevant peut être amélioré. Une amélioration des justifications de la privatisation permettrait plus d'efficacité. Sans doute la privatisation a eu une double contribution. D'une part, elle améliore la performance des entreprises concernées et la situation macro-économique de ces Etats, ne serait-ce que par l'endiguement de dettes publiques qui auraient pu être aggravées par le maintien de certaines entreprises « sous perfusion ». D'autre part elles participent à un accroissement de l'efficacité économique en mettant en place un marché qui sanctionne les mauvais choix d'investissement. Toutefois, pour atteindre leur plénitude en terme d'efficacité, les stratégies de privatisations adoptées jusqu'à maintenant dans la région subsaharienne pour le secteur des télécommunications doivent être réformées de manière interne à savoir les modalités de régulation mais aussi externe à savoir l'environnement dans lequel la privatisation a lieu. Les preneurs sont essentiellement européens. Dans cette situation, l'on

pourrait craindre des situations d'oligopole et de clientélisme. C'est la raison pour laquelle il faut faire appel à des investisseurs variés pour à la fois parer à d'éventuelles situations d'oligopole et de clientélisme mais aussi à un éventuel retour du néocolonialisme sous une forme de «recolonisation déguisée ». En effet, ceci va permettre d'une part une allocation optimale de ressources ; d'autre part dans l'état actuel des marges de manoeuvres limitées des Etats africains sur les marchés financiers, ces entreprises peuvent permettre des transferts d'expérience (technique), de savoir-faire (qualification), de connaissances, mais aussi de devises (nécessaire à une relance économique dans la région). Ces facteurs de développement endogènes (sans doute parfois générateurs d'externalités) ont jusqu'ici été négligés dans les stratégies de désengagement de l'état en Afrique, en particulier en Afrique Subsaharienne. L'argument selon lequel il est nécessaire de maintenir les entreprises dites « stratégiques » peut laisser perplexe. D'une part quand on connaît la réalité et la signification actuelles du mot « indépendance» dans la Sous région ; d'autre part, rien n'interdit à l'Etat en question de garder l'Ïil sur ces entreprises en limitant sa participation à une minorité de blocage ou de contrôle.

En outre, si les modalités de privatisations peuvent être améliorées dans un contexte économique où notamment le commerce extérieur ne repose plus exclusivement sur l'avantage comparatif, il serait suicidaire pour les Etats ouest africains de se contenter de livrer l'appareil de production au privé espérant que tout ira bien par la suite sans un effort remarquable de leur côté pour faire avancer les choses. Selon certains économistes, se serait simplifier la réalité économique que de lier systématiquement l'efficacité économique et la concurrence à la structure du capital, comme pendant la période post-coloniale de l'hymne à la nationalisation. La concurrence et l'efficacité économique dépendent en fait de la liberté de prix et de structure du marché.

Le processus des privatisations est aujourd'hui bloqué dans de nombreux pays. Au Cameroun et le Kenya le processus est bloqué de l'intérieur. Dans le cas du Cameroun la presse s'est soulevée contre le processus de privatisation sans appel d'offre parce qu'elle compare cette opération à

une «braderie de l'économie nationale ». A la République Démocratique du Congo (RDC), on note une stabilité dans le secteur qui rend difficile le processus. Dans cette situation où les repreneurs se font rares les opérateurs ont tendance à prendre des procédures de gré à gré. Les agences de régulation semblent ne pas être efficaces ce qui fait que les bases de données sont moins abondantes et moins fiables. Ce manque de base de données augmente par conséquent le risque de brader des opérateurs. Le cas du Mali reste exceptionnel dans la mesure où la concurrence a commencé avant même que la privatisation soit effective. Le Niger enregistre un échec total. Cependant certaines privatisations sont considérées de réussites, c'est le cas du Sénégal.

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld