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La diversité culturelle dans le procès international relatif aux droits de l'homme

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par Titine Pétronie KOUENDZE INGOBA
Université Catholique d'Afrique Centrale - Master en Droits de l'homme et Action Humanitaire 2004
  

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II- LE CADRE DE L'ETUDE

Il s'agira ici de présenter l'intérêt de cette étude (A), la revue de littérature (B) et la problématique en cause (C).

A- INTERET DE L'ETUDE

Cette étude présente un double intérêt, tant scientifique que social.

L'intérêt scientifique réside dans le fait qu'elle apportera à la science une perception nouvelle de la problématique des diversités culturelles, dans le cadre précis du procès international. Elle donnerait ainsi plus de matière à la science en vue de nouvelles perspectives sur les questions de diversité culturelle et de reconnaissance des particularismes.

Cette étude répond à la question de la reconnaissance de l'identité des individus. Elle permet donc sur le plan social à ce que les particularismes soient plus largement pris en compte, tant dans le cadre d'un procès international qu'ailleurs.

B- REVUE DE LITTERATURE

La question de départ, celle de savoir quel impact la diversité culturelle peut avoir dans le procès international, nous a amenée à explorer un certain nombre d'ouvrages traitant des questions de diversité culturelle et d'universalité des droits de l'homme.

Le principe de l'universalité des droits de l'homme, comme nous l'avons dit, est au centre de nombreuses divergences. C'est ainsi que deux courants de pensée sont nés autour de cette question.

Le premier courant est celui regroupant des auteurs qui estiment que les droits de l'homme sont bel et bien universels. C'est le cas de Jeanne Hersh qui, pour soutenir sa thèse, part d'une analyse du principe de l'égalité des hommes. Elle estime que, bien qu'il saute aux yeux que les hommes sont empiriquement inégaux en tout, il faut reconnaître qu'ils ont en commun le simple fait d'être homme. A son avis, l'égalité dont il s'agit dans la Déclaration universelle des droits de l'homme, n'est pas une égalité empirique mais plutôt une égalité « virtuelle », que c'est « cette virtualité qui ne peut être déniée à aucun être humain sous peine de le déshumaniser et de le réduire à un objet. C'est elle qui donne à la Déclaration sa portée universelle »19(*) Aucune distinction ne saurait être admise dans la jouissance de ces droits. Certaines limites ressortent de ces réflexions : il est bien difficile d'admettre une universalité indiscutable dans un monde pluridimensionnelle, dans un monde multiculturelle. Ces auteurs ont une approche assez simpliste de question, il est donc intéressant de s'interroger sur la place qu'occupent finalement les particularismes existants.

On se pose d'abord la question de savoir si cette universalité exclut totalement les particularismes culturels, qui font l'identité et la différence d'un homme par rapport à un autre ? C'est la question à laquelle se veut de répondre le deuxième courant, que l'on pourrait ici appeler courant alternatif. En effet, il ne remet pas en cause le point de vue du premier courant, mais estime qu'il faut reconnaître certains faits irréfutables.

Les instruments internationaux accordent une reconnaissance et un statut à ce qui n'est pas universellement partagé. Cela s'exprime par l'expression « chacun a droit à ». L'exemple le plus probant serait simplement le droit à la culture, c'est le droit à quelque chose de spécifique, de tout à fait particulier. C'est ainsi que Charles Taylor estime que : « L'exigence universelle promeut la reconnaissance de la spécificité »20(*)

Il ressort de ces réflexions que l'universalisme n'exclut pas le particularisme et que les diversités culturelles sont l'essentiel de cet universalisme. Cependant, au-delà de ces affirmations, qui paraissent présenter les questions de diversités culturelles et droits de l'homme de façon globalisante, il est à relever que les cultures dans leur diversité n'ont pas été prise en compte. De plus, il serait impossible dans le sens d'un particularisme strict et certain, d'incorporer dans les normes internationales toutes ces cultures. Là l'intérêt de la théorie de la reconnaissance, largement développée par Taylor. Il indique sur cette question que : « l'exigence de reconnaissance animée par l'idéal de dignité humaine, indique au moins deux directions : vers la protection des droits fondamentaux des individus en tant qu'êtres humains et vers la reconnaissance des besoins spécifiques. »21(*) Ce point de vue de Taylor nous permet d'ouvrir des réflexions sur la problématique de la reconnaissance des particularismes culturels dans le strict cadre du procès internationale.

En outre, l'assertion « universalité des droits de l'homme dans la diversité culturelle », signifie que chaque Etat peut en faire une interprétation propre en tenant compte d'exigences précises. Car comme le pense Mohamed Bedjaoui : « ...Les droits de l'homme ne sont jamais concrétisés en dehors de contextes historiques et politico-économique, d'une grande variété. Ils se réalisent au rythme lent des moeurs et des modes de vie. Le contexte historique et les spécificités sociales nationales influent donc beaucoup sur l'interprétation à donner au contexte des droits de l'homme. »22(*)

Ce point de vue est partagé par un nombre considérable d'auteurs, qui estiment que l'universalité des droits de l'homme ne s'étend pas à leur application, c'est-à-dire qu'aucune interprétation unique et commune n'y est donnée, d'autant plus que la situation des Etats, ainsi leurs préoccupations premières ne sont pas les mêmes. Cette déduction nous permet de revenir sur l'idée de Meyer Bisch, selon laquelle les droits de l'homme sont essentiellement culturels.23(*) La culture peut certes être considérée comme un droit, le droit à l'identité, mais ce droit comme tout autre droit s'applique dans un environnement culturel particulier et bien précis. L'interaction entre culture et droit est donc à mettre en évidence, parce qu'on ne saurait admettre un droit sans culture. Ces réflexions présentent un intérêt certain pour cette étude, elles permettent de mettre en chantier le juge international face à l'obligation de prise en compte des diversité culturelles, cette situation n'ayant aucunement été abordé par ces différents auteurs.

Continuer à penser que les droits de l'homme, élaborés dans un contexte culturel précis -auquel ils n'auraient pu se soustraire- sont universels est inadmissible. Tel est le point de vue du troisième courant dirigé par le Laboratoire d'anthropologie juridique de Paris (LAJP).

Le LAJP procède à la remise en cause de l'universalité des droits de l'homme. Il part de l'hypothèse selon laquelle l'universalité des droits de l'homme pourrait être remise en cause. Pour vérifier cette hypothèse, il procède à une analyse comparative des sociétés africaines et de celles occidentales. Il ressort de cette analyse que le modèle sociétal occidental qui est marqué par une tendance à l'uniformisation et une vue de société comme un ensemble d'individus égaux, est loin du modèle sociétal africain qui répond le plus souvent à un modèle clair de distinction.24(*)En fait, le modèle sociétal africain est totalement différent, Abdelhamid Hassan nous le démontre clairement dans son article « Raison islamique, raison d'Etat »25(*).

La différence entre ces deux modèles sociétaux est telle qu'il serait difficile de reconnaître l'universalité des droits de l'homme, donc d'affirmer que l'Afrique, en particulier, devrait y trouver sa place. Pour Michel Alliot : « La question de la protection du droit de la personne, correspond à un problème fondamental de la vie en société auquel aucun n'échappe : celui de la confiance en l'avenir. Mais en la formulant ainsi en se référant à ``des droits de la personne'', on la lie à un modèle sociétal que l'occident prône depuis deux ou trois siècles. Ce modèle repose sur une image de la société où des individus tous semblables et isolés dans une uniformité générale ont besoin à la fois d'un pouvoir fort et donc unique pour les protéger les uns des autres et d'un droit pour les protéger de ce pouvoir.»26(*)

Comment est-il possible que des droits élaborés dans un cadre culturel essentiellement individualiste puissent aisément s'appliquer à une société plutôt communautaire (caractéristique des sociétés africaines) ?27(*)

Finalement, cette comparaison devrait mener à une réflexion sur l'élaboration d'une science non ethnocentrique du Droit. Tel est la visée finale du Laboratoire d'anthropologie juridique de Paris (LAJP).

Dans cette lancée, Etienne Le ROY s'est interrogé de la manière qui suit ; « L'universalité des droits de l'homme peut-elle être fondée sur le principe de complémentarité des différences ? »28(*)

Cette interrogation n'a nullement pour but de vérifier si les droits de l'homme existants sont ou non fondés sur le principe de complémentarité, mais plutôt, en faisant clairement ressortir les différents particularismes culturels possibles, de réfléchir sur une possible conciliation des traditions selon une exigence interculturelle.

Cette réflexion soulève un certain nombre de questions, cependant le moteur central est de réintroduire le principe de complémentarité des différences. C'est ainsi qu'il estime au final, non sans optimisme que : « Sans mésestimer les difficultés qui apparaissent devant nous, nous devons être convaincus que face aux turbulences qui s'annoncent, seule une exigence éthique et épistémique est susceptible de fonder un futur commun et une société pacifique. »29(*)

Ces efforts d'interculturalisation fournis par LAJP nous permettent déjà de comprendre l'insuffisance ou mieux l'inadéquation des droits de l'homme face à certaines cultures, bien qu'on les dise universels. Ces réflexions remettent finalement en cause tout le système des droits de l'homme, car immanquablement ces problématiques ressurgissent à tous les niveaux d'application de ces droits, tant sur le terrain de leur mise en oeuvre que sur celui de leur protection. C'est à ce stade que surgit la problématique de l'universalisme dans un cadre de confrontation culturelle, sur le terrain du procès international relatif aux droits de l'homme. Ces réflexions du LAJP, bien que ne touchant pas la question sensible des diversités culturelles dans le cadre d'un procès international, nous permettent d'ouvrir à une possible interculturalisation des droits de l'homme, sur le terrain du Droit International Pénal.

C'est ainsi que nous avons été amenée à consulter certains ouvrages et articles traitant de la récente question de la justice pénale internationale.

Ce qui est intéressant est bien de comprendre toutes les problématiques qui tournent autour de ce thème, toutes les critiques qui y sont portées et toutes les remises en cause dues aux difficultés de fonctionnement depuis la mise en marche des Tribunaux pénaux de l'ex Yougoslavie et du Rwanda. C'est ainsi qu'à la question de savoir si une justice pénale internationale pourrait présenter de réels avantages, les réponses sont très mitigées, certains auteurs estiment qu'elle est la meilleure solution à la lutte contre l'impunité. D'autres en revanche pensent qu'il ne faudrait pas qu'elle existe car elle est un obstacle à la souveraineté des Etats. C'est ainsi que nous pouvons lire, Carlo Santulli dans son article intitulé « Pourquoi combattre l'impunité dans un cadre international ? », où il écrit :

« Il faut mettre un terme à l'impunité d'une catégorie de criminels ; un tribunal d'exception est nécessaire en raison de la gravité des crimes visés ; la répression doit être le fait de la justice, et non de la volonté du plus fort. »30(*) Cette catégorie de criminels est clairement identifiée par Mohamed Bennouna qui indique : « Dès lors, la souveraineté ne peut plus constituer cette enveloppe opaque, protégée par le principe de non-ingérence, derrière laquelle les dictateurs et les grands criminels peuvent s'abriter, en toute impunité sous prétexte qu'ils défendent l'intérêt général de leur Etat »31(*)

La lutte contre l'impunité se présente donc comme l'un des objectifs primordiaux de la justice pénale internationale. Bernard Kouchner note sur ce point : « Plusieurs raisons militent en faveur d'une telle Cour (...). Une première raison (...) réside dans l'impérieuse nécessité de lutter contre l'impunité » En effet, il estime que « L'impunité prive la société des piliers fondamentaux sur lesquelles elle peut se reconstruire, au lendemain des conflits sanglants qui l'ont désorganisée (il va plus loin encore). Elle est un obstacle à la mémoire, elle est un obstacle à la réconciliation, elle est un obstacle à la justice. »32(*)

Cette analyse est intéressante car elle présente clairement les objectifs poursuivis par la justice pénale internationale, à travers les deux Tribunaux pénaux internationaux. Toutefois l'on peut constater certaines limites. L'insuffisance de ces réflexions pourrait s'expliquer par l'absence de perspectives, il aurait été intéressant de s'interroger sur les avantages d'une telle justice tenant compte des questions de diversité culturelle.

Par ailleurs, la mise en branle de la justice pénale internationale a suscité de nombreuses oppositions. Bernard Kouchner relève que : « Les Etats sont toujours méfiants à l'égard du juge international dont ils perçoivent les pouvoirs comme autant de menaces d'ingérence dans leurs affaires intérieures. Il n'est donc pas surprenant de déceler dans les attitudes de certains un double discours, un double langage, une duplicité qui les conduit à se déclarer à la fois favorable à l'instauration d'une telle Cour et soucieux d'en limiter au maximum les prérogatives. »33(*) Toutefois, il est à remarquer que malgré toutes ces réticences, les Etats ont fini par ratifier le statut de la Cour, et elle est entrée en fonction depuis 2002. Doit-on se contenter d'applaudir face aux avantages alléchants d'une justice pénale internationale ? S'interroger sur d'éventuelles difficultés compte tenu simplement du cadre dans lequel elle s'exerce, ne présente-t-il pas quelques intérêts ? Ainsi, ce que l'on peut reprocher à ces différents articles, est de présenter avec trop d'optimisme la justice pénale internationale. Il est intéressant d'observer et d'examiner la pratique des Tribunaux pénaux internationaux pour comprendre avec Paul Tavernier, les difficultés pratiques rencontrées par ces deux juridictions. Cela ne suffit toutefois pas, car une question reste posée, celle des difficultés d'ordre culturel, là l'intérêt pratique de notre étude.

* 19 J. HERSCH, « L'universalité des droits de l'homme, défi pour le monde de demain », CONSEIL DE L'EUROPE, Universalité des droits de l'homme dans un monde pluraliste, Strasbourg, Ed NP Engel, 1990, p. 111.

* 20 C. TAYLOR, Multiculturalisme- Différence et démocratie, Aubier, Flammarion, 1994, ouvrage traduit de l'anglais au français, p. 58.

* 21 G. VANNIER, « De l'universalité et de la particularité des droits de l'homme », H. PALLARD et S. TZITZIS, Droits fondamentaux et spécificités culturelles, Paris, L'Harmattan, 1997, p. 130.

* 22 A. GUTMAN, « Introduction », Taylor C., Multiculturalisme - Différence et démocratie, op.cit., p. 19.

* 23P. MEYER BISCH, « Les droits culturels forment-ils une catégorie spécifique des droits de l'homme », P. MEYER BISH, Les droits culturels, op.cit, p. 23.

* 24C. EBERHARD, « Les droits de l'homme au LAJP, origine et développement d'une problématique », op.cit, p. 25.

* 25 H. ABDELHAMID, «  Raison islamique et raison d'Etat », J. MORIN et C. OTIS (dir), Les défis des droits fondamentaux, Bruxelles, Bruylant, Actualité scientifique, 2000, p. 219.

* 26 C. EBERHARD, « Les droits de l'homme au Lajap- origine et développement d'une problématique », op.cit, p. 24.

* 27 Idem.

* 28 E. LE ROY, « Fondements idéologiques et anthropologiques des droits de l'homme », Recueil de cours de la 28éme session d'enseignement de l'Institut International des droits de l'homme de Strasbourg, 1997, p. 1.

* 29 Idem, p. 15.

* 30 C. SANTULLI, « Pourquoi combattre l'impunité dans un cadre international ? », S. GABORIAU et H. PAULIAT, La justice pénale internationale, Limoges, Pulim, 2001, p179.

* 31 M. BENNOUNA, « La Cour pénale internationale », H. ASCENSIO, E. DACAUX., A . PELLET , Droit pénal international, A. Pedone, 2000, p. 735.

* 32 B. KOUCHNER, « Vers une Cour pénale internationale permanente », Fontanaud D., La justice pénale internationale, Paris, La documentation française, Problèmes politiques et sociaux, août 1999, n°826, p. 51.

* 33 Idem, p. 52.

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille