La diversité culturelle dans le procès international relatif aux droits de l'homme( Télécharger le fichier original )par Titine Pétronie KOUENDZE INGOBA Université Catholique d'Afrique Centrale - Master en Droits de l'homme et Action Humanitaire 2004 |
Sous-section 2 : Confrontation de cultures dans l'application de la loiL'analyse des faits par le juge est l'étape du procès qui met très fortement en confrontation les cultures en présence. Le juge est à ce stade très influencé par sa propre culture et donc tenté de se réfugier dans ses propres convictions, lorsqu'il ne parvient pas à comprendre les cultures en face de lui. Doit-on reprocher à un juge de décider selon son point de vue, lorsque l'on sait qu'il dispose d'un pouvoir discrétionnaire et d'une ferme conviction dont on ne saurait lui reprocher, même en tant qu'être humain.70(*)Toutefois, il faut reconnaître que ce simple fait crée un remous dans le contexte du procès international, car cela pourrait dénoter d'un refus de prendre en compte la diversité culturelle. Il n'est pas facile à un juge d'analyser les faits d'une affaire en tenant compte des particularités qu'il ne connaît, pas toujours suffisamment. Mais cela n'exclut pas qu'il cherche à prendre en compte l'identité des personnes en cause. Dans l'affaire Bagilishema, ce qu'il y a de particulièrement intéressant c'est que le juge, s'engage à examiner la bonne conduite et le bon caractère de l'accusé, Ignace Bagilishema, il y consacre tout un chapitre dans sa décision71(*). S'il est vrai que le juge ne fait qu'application de l'article 26 § 2, qui lui recommande de tenir compte «...de la situation personnelle de l'accusé », cet élément apporte tout de même la preuve incontestable de la reconnaissance de l'autre et de son acceptation en tant qu'être humain. Et au-delà des griefs portés contre lui, tant qu'il n'y a pas de preuves, le juge persiste à croire qu'il est toujours possible qu'il soit de bonne foi. Il applique l'incontournable principe de la présomption d'innocence. Ce principe est consacré par l'article 21§3 du Statut du TPIY, et 22 § 3 de celui du TPIR. En effet, même si le gouvernement rwandais a longtemps critiqué cette décision, parce qu'elle prononce le premier acquittement du Tribunal depuis sa création, il faut reconnaître que le juge a couru de nombreux risques, notamment celui de la crainte de condamner un innocent. Au Rwanda personne ne s'attendait à ce que le TPIR prononce un jour un acquittement, c'est dans ce sens que François Xavier Nsanzuwera écrit : « ...il est bien difficile de scinder procès du génocide et procès des accusés. »72(*) Parce qu'en fait tant que les éléments de preuve présentés ne suffisent pas à convaincre le juge, la culpabilité peut toujours être remise en cause. C'est donc que malgré les difficultés croissantes le juge donne le meilleur de lui-même pour parvenir à un résultat satisfaisant. Lorsque l'on examine l'affaire Bagilishema, on s'aperçoit combien le juge accorde de l'intérêt à déterminer et à analyser la bonne moralité de l'accusé, nous observons également avec quel intérêt il reçoit les différents témoignages. Dans cette affaire, des témoignages assez négatifs ont été soumis à son analyse : « c'est un homme qui est resté bourgmestre pendant quatorze ans. Vu l'histoire du Rwanda, il faut beaucoup de brio pour arriver à rester bourgmestre pendant aussi longtemps », ce témoignage visait à démontrer que l'accusé était « un élément majeur de la chaîne au pouvoir pour l'exécution des politiques... » du génocide.73(*) Il s'agit là bel et bien d'éléments qui caractérisent la culture rwandaise, on dirait même africaine. Les gens sont loin de penser qu'un individu puisse garder un poste plus de dix ans, sans avoir un rôle majeur, sans être partisan actif du pouvoir en place. Ce sont des questions sociales intégrant pleinement nos cultures africaines. Cependant, dans le cas espèce le juge n'en a pas tenu compte. Et cela pose un réel problème. En effet, doit-on se contenter de tenir compte des particularismes culturels, et écarter la règle de droit sur les éléments de preuve ? S'il faut mettre en application cette proposition, il y a lieu de s'interroger sur l'effectivité de la reconnaissance dont nous a parlé Charles Taylor et évaluer la problématique qui pourrait résulter d'une reconnaissance excessive. On se pose alors la question de savoir si la reconnaissance des particularismes ne conduit pas à un certain favoritisme, voire même à une discrimination. Dans le cas espèce, il faut relever que si la juge s'était contenté de ces témoignages qui, bien que traduisant clairement les conceptions rwandaises donc la culture de ce pays, ne constituent en fait pas toujours la vérité ; il aurait fait fausse route et aurait fini par condamner un accusé. En l'espèce, suite à l'analyse de ces éléments de preuve, le juge a décidé comme suit : « La Chambre considère que si l'accusé avait des liens avec le Gouvernement intérimaire de par sa qualité, le procureur n'a pas rapporté la preuve de l'allégation que l'accusé avait été de ce fait partie à une entente criminelle à laquelle il avait délibérément apporté son soutien ou dont il n'avait pas voulu se dissocier »74(*) On constate clairement qu'au-delà de l'intérêt qu'il peut accorder à l'identité de l'accusé, aux témoignages qualificatifs de la culture en présence, faisant ainsi application du principe de reconnaissance sus évoqué, le juge ne saurait se soustraire des règles du jeu qui sont constitués par la norme internationale, pour analyser un fait quelconque. Le juge international se doit avant toute chose de veiller à la bonne application de la loi. Il protège les droits de l'homme et cette protection est coordonnée par des lois qu'il se doit de respecter. Dans cette affaire si le juge s'en était tenu aux aspects culturels, il aurait fait une victime de plus au génocide. L'autre élément à examiner est l'impartialité du juge, Pierre Alain Gourion rappelle dans son article « Le travail de l'arbitre international » que : l'arbitre est en principe, un tiers désintéressé puisqu'il veille à traiter les parties sur un pied d'égalité : c'est d'ailleurs une exigence expresse de la loi-type. »75(*) On peut admettre en effet que le juge international est un tiers désintéressé, mais cela suffit-il à affirmer qu'il peut en toutes circonstances rester impartial ? Et paradoxalement, le fait d'être tiers désintéressé ne constitue t-il pas enfin de compte un véritable obstacle, dans ce sens où, il ne verrait plus aucun intérêt à rechercher la vérité qui lui est si éloignée et dont les différentes brèches ne sont parfois que machination. * 70P.M. DUPUY, « Le juge et la règle générale », RGDIP, n°4, 1989, p. 572. * 71TPIR, Le Procureur c/ Ignace Bagilishema, Chambre de première instance, 7 juin 2001, §111, p. 23. * 72 F.X.. NSANZUWERA, « Quelles leçons tirer des deux tribunaux pénaux internationaux ? », op.cit. * 73 TPIR, Le Procureur c/ Ignace Bagilishema, Chambre de première instance, 7 juin 2001, §140, p. 26. * 74TPIR, Le Procureur c/ Ignace Bagilishema, Chambre de première instance, 7 juin 2001, §146, p. 27. * 75P.A. GOURION, « Le travail de l'arbitre international », P. LAMBERT (dir.), La méthode de travail du juge international, Bruxelles, Bruylant, Droit et justice, 1997, p. 77. |
|