1.2. Hypothèses et objectifs
1.2.1. Hypothèses
· La persistance de la corruption est due aux
stratégies de contournement des mesures anti-corruption que
développent certains acteurs sociaux ;
· Certains facteurs sociopolitiques facilitent la
perpétuation de la corruption.
1.2.2. Objectifs
1.2.2.1. Objectif global
Etudier les variables explicatives de la persistance de la
corruption au Bénin.
1.2.2.2. Objectifs spécifiques
· Expliciter les différentes stratégies de
contournement des actions anti-corruption ;
· Mettre en évidence les variables socio culturelles
et structurelles qui entravent le respect de l'éthique
bureaucratique.
1.3. Etat de la question
La corruption est un phénomène mondial dont les
manifestations ont varié suivant les époques et les contextes
sociopolitiques. Conscientes de l'épineux problème qu'elle
constitue pour le développement, toutes les sociétés
humaines se sont touj ours préoccupées d'y apporter une
réponse spécifique dont on peut néanmoins faire ressortir
les généralités. L'une des formes les plus connues est la
stigmatisation du phénomène sur fonds de dénonciation des
dommages causés par celui-ci. La démarche mise en exergue est de
faire référence aux valeurs morales et éthiques qui
devraient guider l'organisation de la société pour mettre en
évidence le frein au développement que constituent les actes de
corruption. Sous ce registre, la corruption est décrite comme un
fléau à éradiquer, un vice à bannir. Plusieurs
auteurs se sont inscrits dans cette perspective. Au plan continental
Axèle KABOU peut être citée comme l'un des auteurs les plus
représentatifs de cette catégorie. En effet, elle analyse, de
façon provocante, les problèmes de développement de
l'Afrique sous un angle nouveau, celui du refus en mettant à nu les
exactions et
l'étroitesse d'esprit des dirigeants africains de
même que la passivité des populations. Au nombre des comportements
décriés, la corruption et les malversations occupent une place de
choix et c'est sans complaisance que l'auteur dénonce les malversations
de nombreux dirigeants africains (KABOU, 1991). Si KABOU ne mentionne pas
nommément les malversations des dirigeants béninois, Janvier
YAHOUEDEHOU dont les ouvrages s'inscrivent dans la même perspective ne se
fera pas prier pour cela. En effet, c'est avec un discours très
engagé qu'il dévoile l'un des principaux crimes politico
financiers survenus sous le régime du Parti de la Révolution
Populaire du Bénin (PRPB): l'affaire KOVAS dans laquelle de nombreux
dirigeants de mauvaise foi auraient torpillé un homme d'affaire
français ayant au préalable financé le coup d'état
qui les porta au pouvoir (YAHOUEDEHOU, 2001). La crédibilité de
cet ouvrage réside dans le fait qu'il restitue, à la limite, le
chantage opéré par un complice désabusé en
direction de « partenaires » qui tardent à honorer leurs
engagements. Quelques années plus tard l'auteur révéla,
avec autant de véhémence, une série de scandales
financiers sur fonds d'intrigues survenus sous la révolution et à
l'ère du Renouveau Démocratique,qu'il s'agisse de l'achat d'un
vieil avion présidentiel à un prix largement supérieur
à sa valeur réelle, de l'affaire Diawara (trafic de
stupéfiant) ou de l'affaire Hamani (receleur de véhicules
volés avec de fortes complicités politiques et
administratives)(YAHOUEDEHOU, 2003).
L'ouvrage de KABOU comme ceux de YAHOUEDEHOU présentent
un intérêt évident pour la lutte contre la corruption. En
dénonç ant de nombreux scandales politico financiers et en
stigmatisant plusieurs faits de corruption tout en établissant le lien
entre ces faits et le retard de l'Afrique (et du Bénin), ils suscitent
une prise de conscience de ce que la corruption constitue un obstacle pour le
développement et invitent par conséquent à un
véritable engagement citoyen. Leurs ouvrages ont également le
mérite d'être un
témoignage historique portant sur des faits dont les
auteurs sont encore en vie et même engagés dans l'arène
politique. Il s'agit donc d'une interpellation de la conscience collective qui
pourrait jeter un regard interrogateur et même adopter une attitude
stigmatisante à leur égard : on pourrait parler de la
pédagogie de la dénonciation. Cette approche quoique fort
intéressante souffre d'une insuffisance en ce qu'elle ne porte que sur
des faits de corruption et ne renseigne aucunement sur les mécanismes
généraux de la corruption. La dénonciation sur fonds de
considérations normatives ne peut s'opérer qu'en cas de
visibilité du phénomène dont les acteurs peaufinent sans
cesse des formes subtiles et nouvelles. Seule une véritable connaissance
des processus conduisant à la corruption pourrait permettre de lutter
efficacement contre elle, non seulement en s'attaquant aux acteurs mais
également en détruisant le système.
C'est certainement cet objectif que se sont assignés un
certain nombre d'auteurs dont les travaux portent sur la réalisation et
la publication d'études portant sur la description des mécanismes
et procédures généraux de la corruption, qu'il s'agisse de
la fraude fiscale ou des détournements de deniers publics. Dans cette
optique, Daniel Dommel part d'une analyse de la corruption en France pour en
montrer les répercussions sur le développement. Il y fait,
remarquablement en effet, l'historique de la corruption et dévoile par
là même les faiblesses du système administratif qui servent
de terrain fertile au phénomène avant de préconiser des
stratégies de lutte. A l'instar de plusieurs auteurs il ne manquera pas
de mettre en évidence les préjudices que la corruption cause
à la société globale tout en appelant à un
engagement en vue de son éradication. Il ne manquera pas de battre en
brèche les arguments de justification et de résignation qui se
développent autour de la corruption (DOMMEL, 2003). Dans la même
perspective, Transparency International se propose d'étudier et
d'organiser la lutte contre la corruption à l'échelle
planétaire. En effet, cette organisation part du
constat que la corruption est partout présente dans le monde et que des
réseaux transnationaux de corruption ont tendance à
s'ériger en de puissants groupes de pression, pour poser
l'impérieuse nécessité d'une lutte mondiale contre elle. A
cette fin, elle a engagé plusieurs actions au nombre desquelles on peut
citer la réalisation d'études sur les mécanismes et
procédés habituels en matière de corruption. A titre
d'exemple, il faut citer les rapports mondiaux annuels qu'elle publie sur la
corruption depuis quelques années. Celui de 2005 portant sur le secteur
du bâtiment est riche en informations. Il indique que la reconstruction
des pays sortant de la guerre représente de gros enjeux financiers face
auxquels les multinationales et les responsables politiques n'hésitent
pas à déployer les grands moyens : pots de vins, meurtres,
intimidations.... Les dispositions internationales de lutte contre la
corruption sont donc loin d'avoir eu raison de l'avidité des
multinationales qui déploient moult efforts pour la perpétuation
du phénomène dans la passation des marchés publics
d'envergures internationales (TRANSPARENCY INTERNATIONAL, 2006). La
démarche adoptée vise à informer l'opinion publique sur
les dommages causés par la corruption tout en se basant sur les
éléments objectifs d'appréciation. Transparency
International, tout comme DOMMEL refuse donc de se contenter simplement de
stigmatiser la corruption. Ils la décrivent et la circonscrivent tout en
identifiant les différents niveaux auxquels la lutte devrait être
organisée. Les interstices de l'administration de même que la
lâcheté de la justice sont identifiés comme principaux
facilitateurs de la corruption. Il convient cependant de signaler que, si
l'arsenal juridique de lutte contre la corruption était obsolète
il y a quelques années, il s'est progressivement consolidé sous
la pression de certaines organisations (dont TI) sur les gouvernants. Dans la
préface d'un ouvrage se proposant d'inventorier et de diffuser ces lois,
DOSSOUMON, s'interroge sur les raisons de la persistance de la corruption en
dépit de toutes ces lois. La seule réponse qu'il y trouve est
que la pression du mouvement social en vue du respect de ces
lois est encore très faible (TI-Bénin, 2002). Tout porte donc
à croire que la persistance de la corruption ne s'explique pas
uniquement par la trop grande lâcheté de la justice mais que les
causes sont à rechercher au sein des groupes sociaux où elle
sévit. Il était donc important de renforcer la lutte contre la
corruption par une connaissance de ses facilitateurs socioculturels1
afin d'appréhender tous les contours du phénomène. Ce
faisant, la lutte contre la corruption gagnerait en efficacité car ::
<< avant de lancer de nouvelles croisades pour l'assainissement de l'Etat
Africain, il convient d'éclairer, aux travers de recherches comparatives
empiriquement fondées, les mécanismes concrets par lesquels il
fonctionne au quotidien et les logiques sociales qui contribuent à la
désarticulation de l'action publique » (BLUNDO,2000). La position
de OLOWU se situe dans le même ordre d'idée car ce dernier affirme
: << Une des raisons pour lesquelles la corruption au niveau du
gouvernement est devenue très répandue en Afrique de nos jours
est que beaucoup d'efforts ont été déployés pour
remédier au problème plutôt qu'à essayer de le
comprendre » (KAUFMAN, 1998).
A cet égard, la perspective de Olivier de SARDAN
s'avère éclairante en ce sens qu'elle met remarquablement
à contribution les spécificités de la démarche
socio anthropologique pour proposer une analyse objective des faits de
corruption en Afrique. En effet, il précise que la corruption n'est pas
l'apanage de l'Afrique mais que ses manifestations et ses fondements y sont
particuliers. Faisant un rapprochement du phénomène à
partir d'une comparaison entre l'occident et l'Afrique, il constate une
sectorialisation du phénomène en Europe (Bâtiment par
exemple) contrairement à ce qui se passe en Afrique où la
corruption a tendance à s'étendre à tous les secteurs
d'activité.
1 L'expression est de Jean Pierre Olivier de SARDAN qui
désigne sous ce vocable, les facteurs favorables qui facilitent la
dissolution de la frontière entre pratiques quotidiennes licites et
pratiques quotidiennes illicites et en accentuant les pressions sociales qui
incitent à ignorer cette frontière.
L'auteur précise par ailleurs que la corruption n'est
ni un fait social ni un fait culturel mais qu'elle est simplement un fait de
société qui s'est inséré dans des codes sociaux .
Autrement dit, il existe en Afrique des facilitateurs sociaux et des logiques
sociales qui servent de terreau favorable à la corruption. Au nombre de
ces logiques dont la mise en évidence est indispensable à la
formulation de stratégies efficaces de lutte, on peut citer les logiques
du << cadeautage >>, de << l'accumulation-redistributrice
>> et de l' << autorité prédatrice >>(De
SARDAN, 1998). D'autres recherches sociologiques porteront sur la corruption
avec une visée objective se gardant du moindre jugement de valeur. Une
telle orientation ne relève nullement d'une approbation du fait mais
repose plutôt sur le postulat que l'action et la lutte ne peuvent
être efficaces que si elles sont sous tendues par une réflexion
objective et des recherches approfondies permettant de cerner tous les aspects
de la question. S'inscrivant dans le même sillage, Marius VIGNIGBE publia
l'un des plus récents travaux sur la corruption. Après avoir
passé en revue les différentes approches de la lutte tout en
mettant en exergue leurs limites, il se propose de << se départir
d'une approche normative au profit d'une approche empirique pour prendre en
considération l'univers politique, culturel, mental présidant au
phénomène et le dynamisme politique dont il est porteur >>
(VIGNIGBE, 2005).
Au regard de ce qui précède et en raison de la
remarquable complémentarité existant entre les différentes
approches analytiques de la corruption il ne serait pas excessif d'estimer que
la lutte contre ce fléau devrait être chose aisée en ce
sens que tous ses contours devraient avoir été
maîtrisés. Ainsi les réformes entreprises par le
Ministère des Finances et qui ont conduit, entre autres, à la
création de la Commission Nationale des Marchés Publics, la
publication du Code d'éthique et de moralisation des marchés
publics et à la création d'une mission chargée des
relations avec les usagers semblent avoir
intégré les limites et les faiblesses de
l'administration béninoise sur lesquels s'érige la corruption.
Dans cette même perspective et pour crédibiliser sa volonté
de lutte contre la corruption, le gouvernement béninois a instruit les
ministères de la justice et de l'économie de mettre en place une
stratégie nationale de lutte contre la corruption1,
stratégie qui fut élaborée et adoptée le 30 Octobre
2001. L'approche adoptée par les experts commis à la
réalisation de ce plan part d'une analyse globale de la situation de la
corruption pour opérer des choix de stratégies devant
déboucher sur des actions concrètes. S'il est vrai que toutes les
stratégies préconisées n'ont pas été
opérationnalisées, il n'en demeure pas moins que certaines, d'une
grande importance l'ont été. Il s'agit du renforcement des
actions de la société civile à travers la mise en place du
Front des Organisations Nationales de Lutte contre la Corruption (FONAC), la
création de l'Observatoire de Lutte contre la Corruption (OLC) et le
renforcement du cadre juridique de lutte contre la corruption.
Force est cependant de constater qu'en dépit de toutes
ces actions, la corruption sévit et constitue plus que jamais un
épineux problème au processus de développement. La
recherche des raisons explicatives passe par l'examen de la mise en oeuvre des
différentes mesures de lutte, examen qui révèlera que les
causes identifiées par VIGNIGBE sont plus que jamais d'actualité
car de sérieux efforts restent à faire en ce qui concerne la
dépolitisation de l'administration, l'abolition des pouvoirs
discrétionnaires et surtout la suppression de l'impunité.
Il serait cependant fort utile d'approfondir la
réflexion et d'envisager la question sous un autre rapport en ce sens
que la corruption est le fait de certains acteurs qui ont sans doute
intérêt(ne serait-ce que dans l'immédiat) à ce
qu'elle se pérennise. En effet, l'abord de la corruption peut se faire
suivant deux perspectives. La première à laquelle on s'est jusque
là intéressé et sur
1 Cf. Compte rendu du conseil des ministres du 04 Août
1999.
laquelle repose les actions de lutte contre la corruption
consiste à l'envisager sous le rapport de la faible capacité de
régulation de l'Etat et sous celui de la « privatisation » de
l'administration publique par des acteurs qui profiteraient des interstices de
l'Etat. A contrario mais complémentairement, la question pourrait
également être envisagée sous le rapport du jeu d'acteurs
qui y trouveraient un intérêt manifeste et qui seraient jusque
là parvenus à mettre à mal le dispositif de lutte contre
la corruption. Dans cette perspective la recherche sociologique
s'intéressera à la corruption non pas sous le rapport de la
faiblesse de l'Etat mais l'envisagera en tant que pratique construite et
entretenue par certains acteurs sociaux. La passation des marchés
publics de l'Etat, les services des douanes et des impôts serviront de
cadre d'exploration et de démonstration de cette perspective.
La perspective ainsi envisagée, il s'impose
d'opérer une clarification conceptuelle qui facilitera, à
plusieurs égards, la suite de La recherche.
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