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La corruption dans la gestion des deniers publics à Cotonou: Analyse socio-anthropologique de la persistance du phénomène

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par Vinagbo Barnard AGBANGLA
Université d'Abomey-Calavi - Maîtrise en sociologie-anthropologie 2008
  

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1.2. Hypothèses et objectifs

1.2.1. Hypothèses

· La persistance de la corruption est due aux stratégies de contournement des mesures anti-corruption que développent certains acteurs sociaux ;

· Certains facteurs sociopolitiques facilitent la perpétuation de la corruption.

1.2.2. Objectifs

1.2.2.1. Objectif global

Etudier les variables explicatives de la persistance de la corruption au Bénin.

1.2.2.2. Objectifs spécifiques

· Expliciter les différentes stratégies de contournement des actions anti-corruption ;

· Mettre en évidence les variables socio culturelles et structurelles qui entravent le respect de l'éthique bureaucratique.

1.3. Etat de la question

La corruption est un phénomène mondial dont les manifestations ont varié suivant les époques et les contextes sociopolitiques. Conscientes de l'épineux problème qu'elle constitue pour le développement, toutes les sociétés humaines se sont touj ours préoccupées d'y apporter une réponse spécifique dont on peut néanmoins faire ressortir les généralités. L'une des formes les plus connues est la stigmatisation du phénomène sur fonds de dénonciation des dommages causés par celui-ci. La démarche mise en exergue est de faire référence aux valeurs morales et éthiques qui devraient guider l'organisation de la société pour mettre en évidence le frein au développement que constituent les actes de corruption. Sous ce registre, la corruption est décrite comme un fléau à éradiquer, un vice à bannir. Plusieurs auteurs se sont inscrits dans cette perspective. Au plan continental Axèle KABOU peut être citée comme l'un des auteurs les plus représentatifs de cette catégorie. En effet, elle analyse, de façon provocante, les problèmes de développement de l'Afrique sous un angle nouveau, celui du refus en mettant à nu les exactions et

l'étroitesse d'esprit des dirigeants africains de même que la passivité des populations. Au nombre des comportements décriés, la corruption et les malversations occupent une place de choix et c'est sans complaisance que l'auteur dénonce les malversations de nombreux dirigeants africains (KABOU, 1991). Si KABOU ne mentionne pas nommément les malversations des dirigeants béninois, Janvier YAHOUEDEHOU dont les ouvrages s'inscrivent dans la même perspective ne se fera pas prier pour cela. En effet, c'est avec un discours très engagé qu'il dévoile l'un des principaux crimes politico financiers survenus sous le régime du Parti de la Révolution Populaire du Bénin (PRPB): l'affaire KOVAS dans laquelle de nombreux dirigeants de mauvaise foi auraient torpillé un homme d'affaire français ayant au préalable financé le coup d'état qui les porta au pouvoir (YAHOUEDEHOU, 2001). La crédibilité de cet ouvrage réside dans le fait qu'il restitue, à la limite, le chantage opéré par un complice désabusé en direction de « partenaires » qui tardent à honorer leurs engagements. Quelques années plus tard l'auteur révéla, avec autant de véhémence, une série de scandales financiers sur fonds d'intrigues survenus sous la révolution et à l'ère du Renouveau Démocratique,qu'il s'agisse de l'achat d'un vieil avion présidentiel à un prix largement supérieur à sa valeur réelle, de l'affaire Diawara (trafic de stupéfiant) ou de l'affaire Hamani (receleur de véhicules volés avec de fortes complicités politiques et administratives)(YAHOUEDEHOU, 2003).

L'ouvrage de KABOU comme ceux de YAHOUEDEHOU présentent un intérêt évident pour la lutte contre la corruption. En dénonç ant de nombreux scandales politico financiers et en stigmatisant plusieurs faits de corruption tout en établissant le lien entre ces faits et le retard de l'Afrique (et du Bénin), ils suscitent une prise de conscience de ce que la corruption constitue un obstacle pour le développement et invitent par conséquent à un véritable engagement citoyen. Leurs ouvrages ont également le mérite d'être un

témoignage historique portant sur des faits dont les auteurs sont encore en vie et même engagés dans l'arène politique. Il s'agit donc d'une interpellation de la conscience collective qui pourrait jeter un regard interrogateur et même adopter une attitude stigmatisante à leur égard : on pourrait parler de la pédagogie de la dénonciation. Cette approche quoique fort intéressante souffre d'une insuffisance en ce qu'elle ne porte que sur des faits de corruption et ne renseigne aucunement sur les mécanismes généraux de la corruption. La dénonciation sur fonds de considérations normatives ne peut s'opérer qu'en cas de visibilité du phénomène dont les acteurs peaufinent sans cesse des formes subtiles et nouvelles. Seule une véritable connaissance des processus conduisant à la corruption pourrait permettre de lutter efficacement contre elle, non seulement en s'attaquant aux acteurs mais également en détruisant le système.

C'est certainement cet objectif que se sont assignés un certain nombre d'auteurs dont les travaux portent sur la réalisation et la publication d'études portant sur la description des mécanismes et procédures généraux de la corruption, qu'il s'agisse de la fraude fiscale ou des détournements de deniers publics. Dans cette optique, Daniel Dommel part d'une analyse de la corruption en France pour en montrer les répercussions sur le développement. Il y fait, remarquablement en effet, l'historique de la corruption et dévoile par là même les faiblesses du système administratif qui servent de terrain fertile au phénomène avant de préconiser des stratégies de lutte. A l'instar de plusieurs auteurs il ne manquera pas de mettre en évidence les préjudices que la corruption cause à la société globale tout en appelant à un engagement en vue de son éradication. Il ne manquera pas de battre en brèche les arguments de justification et de résignation qui se développent autour de la corruption (DOMMEL, 2003). Dans la même perspective, Transparency International se propose d'étudier et d'organiser la lutte contre la corruption à l'échelle

planétaire. En effet, cette organisation part du constat que la corruption est partout présente dans le monde et que des réseaux transnationaux de corruption ont tendance à s'ériger en de puissants groupes de pression, pour poser l'impérieuse nécessité d'une lutte mondiale contre elle. A cette fin, elle a engagé plusieurs actions au nombre desquelles on peut citer la réalisation d'études sur les mécanismes et procédés habituels en matière de corruption. A titre d'exemple, il faut citer les rapports mondiaux annuels qu'elle publie sur la corruption depuis quelques années. Celui de 2005 portant sur le secteur du bâtiment est riche en informations. Il indique que la reconstruction des pays sortant de la guerre représente de gros enjeux financiers face auxquels les multinationales et les responsables politiques n'hésitent pas à déployer les grands moyens : pots de vins, meurtres, intimidations.... Les dispositions internationales de lutte contre la corruption sont donc loin d'avoir eu raison de l'avidité des multinationales qui déploient moult efforts pour la perpétuation du phénomène dans la passation des marchés publics d'envergures internationales (TRANSPARENCY INTERNATIONAL, 2006). La démarche adoptée vise à informer l'opinion publique sur les dommages causés par la corruption tout en se basant sur les éléments objectifs d'appréciation. Transparency International, tout comme DOMMEL refuse donc de se contenter simplement de stigmatiser la corruption. Ils la décrivent et la circonscrivent tout en identifiant les différents niveaux auxquels la lutte devrait être organisée. Les interstices de l'administration de même que la lâcheté de la justice sont identifiés comme principaux facilitateurs de la corruption. Il convient cependant de signaler que, si l'arsenal juridique de lutte contre la corruption était obsolète il y a quelques années, il s'est progressivement consolidé sous la pression de certaines organisations (dont TI) sur les gouvernants. Dans la préface d'un ouvrage se proposant d'inventorier et de diffuser ces lois, DOSSOUMON, s'interroge sur les raisons de la persistance de la corruption en dépit de toutes ces lois. La seule réponse qu'il y trouve est

que la pression du mouvement social en vue du respect de ces lois est encore très faible (TI-Bénin, 2002). Tout porte donc à croire que la persistance de la corruption ne s'explique pas uniquement par la trop grande lâcheté de la justice mais que les causes sont à rechercher au sein des groupes sociaux où elle sévit. Il était donc important de renforcer la lutte contre la corruption par une connaissance de ses facilitateurs socioculturels1 afin d'appréhender tous les contours du phénomène. Ce faisant, la lutte contre la corruption gagnerait en efficacité car :: << avant de lancer de nouvelles croisades pour l'assainissement de l'Etat Africain, il convient d'éclairer, aux travers de recherches comparatives empiriquement fondées, les mécanismes concrets par lesquels il fonctionne au quotidien et les logiques sociales qui contribuent à la désarticulation de l'action publique » (BLUNDO,2000). La position de OLOWU se situe dans le même ordre d'idée car ce dernier affirme : << Une des raisons pour lesquelles la corruption au niveau du gouvernement est devenue très répandue en Afrique de nos jours est que beaucoup d'efforts ont été déployés pour remédier au problème plutôt qu'à essayer de le comprendre » (KAUFMAN, 1998).

A cet égard, la perspective de Olivier de SARDAN s'avère éclairante en ce sens qu'elle met remarquablement à contribution les spécificités de la démarche socio anthropologique pour proposer une analyse objective des faits de corruption en Afrique. En effet, il précise que la corruption n'est pas l'apanage de l'Afrique mais que ses manifestations et ses fondements y sont particuliers. Faisant un rapprochement du phénomène à partir d'une comparaison entre l'occident et l'Afrique, il constate une sectorialisation du phénomène en Europe (Bâtiment par exemple) contrairement à ce qui se passe en Afrique où la corruption a tendance à s'étendre à tous les secteurs d'activité.

1 L'expression est de Jean Pierre Olivier de SARDAN qui désigne sous ce vocable, les facteurs favorables qui facilitent la dissolution de la frontière entre pratiques quotidiennes licites et pratiques quotidiennes illicites et en accentuant les pressions sociales qui incitent à ignorer cette frontière.

L'auteur précise par ailleurs que la corruption n'est ni un fait social ni un fait culturel mais qu'elle est simplement un fait de société qui s'est inséré dans des codes sociaux . Autrement dit, il existe en Afrique des facilitateurs sociaux et des logiques sociales qui servent de terreau favorable à la corruption. Au nombre de ces logiques dont la mise en évidence est indispensable à la formulation de stratégies efficaces de lutte, on peut citer les logiques du << cadeautage >>, de << l'accumulation-redistributrice >> et de l' << autorité prédatrice >>(De SARDAN, 1998). D'autres recherches sociologiques porteront sur la corruption avec une visée objective se gardant du moindre jugement de valeur. Une telle orientation ne relève nullement d'une approbation du fait mais repose plutôt sur le postulat que l'action et la lutte ne peuvent être efficaces que si elles sont sous tendues par une réflexion objective et des recherches approfondies permettant de cerner tous les aspects de la question. S'inscrivant dans le même sillage, Marius VIGNIGBE publia l'un des plus récents travaux sur la corruption. Après avoir passé en revue les différentes approches de la lutte tout en mettant en exergue leurs limites, il se propose de << se départir d'une approche normative au profit d'une approche empirique pour prendre en considération l'univers politique, culturel, mental présidant au phénomène et le dynamisme politique dont il est porteur >> (VIGNIGBE, 2005).

Au regard de ce qui précède et en raison de la remarquable complémentarité existant entre les différentes approches analytiques de la corruption il ne serait pas excessif d'estimer que la lutte contre ce fléau devrait être chose aisée en ce sens que tous ses contours devraient avoir été maîtrisés. Ainsi les réformes entreprises par le Ministère des Finances et qui ont conduit, entre autres, à la création de la Commission Nationale des Marchés Publics, la publication du Code d'éthique et de moralisation des marchés publics et à la création d'une mission chargée des relations avec les usagers semblent avoir

intégré les limites et les faiblesses de l'administration béninoise sur lesquels s'érige la corruption. Dans cette même perspective et pour crédibiliser sa volonté de lutte contre la corruption, le gouvernement béninois a instruit les ministères de la justice et de l'économie de mettre en place une stratégie nationale de lutte contre la corruption1, stratégie qui fut élaborée et adoptée le 30 Octobre 2001. L'approche adoptée par les experts commis à la réalisation de ce plan part d'une analyse globale de la situation de la corruption pour opérer des choix de stratégies devant déboucher sur des actions concrètes. S'il est vrai que toutes les stratégies préconisées n'ont pas été opérationnalisées, il n'en demeure pas moins que certaines, d'une grande importance l'ont été. Il s'agit du renforcement des actions de la société civile à travers la mise en place du Front des Organisations Nationales de Lutte contre la Corruption (FONAC), la création de l'Observatoire de Lutte contre la Corruption (OLC) et le renforcement du cadre juridique de lutte contre la corruption.

Force est cependant de constater qu'en dépit de toutes ces actions, la corruption sévit et constitue plus que jamais un épineux problème au processus de développement. La recherche des raisons explicatives passe par l'examen de la mise en oeuvre des différentes mesures de lutte, examen qui révèlera que les causes identifiées par VIGNIGBE sont plus que jamais d'actualité car de sérieux efforts restent à faire en ce qui concerne la dépolitisation de l'administration, l'abolition des pouvoirs discrétionnaires et surtout la suppression de l'impunité.

Il serait cependant fort utile d'approfondir la réflexion et d'envisager la question sous un autre rapport en ce sens que la corruption est le fait de certains acteurs qui ont sans doute intérêt(ne serait-ce que dans l'immédiat) à ce qu'elle se pérennise. En effet, l'abord de la corruption peut se faire suivant deux perspectives. La première à laquelle on s'est jusque là intéressé et sur

1 Cf. Compte rendu du conseil des ministres du 04 Août 1999.

laquelle repose les actions de lutte contre la corruption consiste à l'envisager sous le rapport de la faible capacité de régulation de l'Etat et sous celui de la « privatisation » de l'administration publique par des acteurs qui profiteraient des interstices de l'Etat. A contrario mais complémentairement, la question pourrait également être envisagée sous le rapport du jeu d'acteurs qui y trouveraient un intérêt manifeste et qui seraient jusque là parvenus à mettre à mal le dispositif de lutte contre la corruption. Dans cette perspective la recherche sociologique s'intéressera à la corruption non pas sous le rapport de la faiblesse de l'Etat mais l'envisagera en tant que pratique construite et entretenue par certains acteurs sociaux. La passation des marchés publics de l'Etat, les services des douanes et des impôts serviront de cadre d'exploration et de démonstration de cette perspective.

La perspective ainsi envisagée, il s'impose d'opérer une clarification conceptuelle qui facilitera, à plusieurs égards, la suite de La recherche.

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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery