1.1. Problème
<< La corruption a des effets
délétères et souvent ravageurs sur le fonctionnement de
l'administration ainsi que sur le développement économique et
politique >>(Banque Mondiale, 1998). Cette conclusion des experts de la
Banque mondiale lève un coin de voile sur la crise du
développement qui sévit en Afrique. Si le joug colonial et le
développement inégal1 expliquent en partie la crise du
développement, il faut reconnaître que de nombreux facteurs
internes contribuent également à la désarticulation de
l'action publique. Au lendemain des indépendances, les élites
africaines n'ont pas réussi à promouvoir une administration
publique dépersonnalisée, capable de conduire efficacement le
développement. Des nids de corruption surgiront partout,
alimentés par des dirigeants qui s'adonnent à coeur joie à
la prédation des ressources publiques(ELA, 1994).
Au Bénin, la valse des commissions d'enquêtes
n'a pas endigué le phénomène qui s'est accentué au
point de conduire à la banqueroute de l'Etat en 1989(BANEGAS, 1995). Il
prévalait à l'époque une << habile
instrumentalisation de l'économie de transit qui fournissait une
confortable rente de situation aux caciques de l'Etat-Entrepôt
>>(VITTIN, 1999). Les énormes scandales politico financiers
enregistrés à l'époque conduiront à une crise
économique sans précédent qui facilitera la chute du
régime militaire et l'instauration du Renouveau Démocratique
(BANEGAS, 1995). L'exigence de Moralisation de la Vie Publique qui s'est
imposée, à l'ère du Renouveau
1 Samir AMIN, un des tenants de la théorie de la
dépendance insiste sur le néocolonialisme qui prévaut dans
les échanges entre l'Afrique et les puissances occidentales qui pillent
systématiquement les ressources des Etats Africains. Le sous
développement de la périphérie dépendrait de
l'asservissement du centre. Cf. Le développement inégal, Paris,
Editions de minuit, 1973
Démocratique, comme une nouvelle
conditionnalité de l'aide au développement, a
entraîné la prise d'un certain nombre de mesures. Citons entre
autres, la création de la commission SOS CORRUPTION en 1995, la
création de la Cellule de Moralisation de la Vie Publique1,
l'appui à la création du Front des Organisations Nationales de
Lutte Contre la Corruption, la création de la commission AHANHANZO
GLELE. Ces mesures, renforcées par la prise d'un certain nombre de
décrets et le vote par l'Assemblée Nationale de lois visant
à doter le Bénin d'un véritable cadre juridique de lutte
contre la corruption, ne semblent pas avoir réussi à enrayer le
phénomène. Après dix années d'exercice
démocratique, un ministre des finances et de l'économie s'indigna
au sujet de la corruption : « Distorsion de marchés publics,
extorsion sur les routes, fraude en douane, racket administratif, dissimulation
fiscale, passe-dro its réglementaires... la corruption sous ses
multiples facettes ronge la société béninoise (...) cette
situation est inacceptable pour le ministre des finances que je suis
» (TCHANE, 2000). La série de mesures promues suite à
cette profession de foi n'aura pas plus de succès. Ainsi, lors d'une
rencontre entre le gouvernement et les organisations syndicales, le ministre
des finances et de l'économie a dressé un bilan alarmant des
finances publiques et a imputé cette situation à de nombreux
actes de corruption (surfacturation, détournements de deniers publics,
ordres de paiement indûment signés...).
Pourquoi la Moralisation de la Vie Publique, formule
consacrée à la lutte contre la corruption au Bénin,
n'a-t-elle pas marché ?
Qu'est ce qui explique le contraste cinglant entre les
rhétoriques politiques de lutte contre la corruption et la persistante
acuité du phénomène ?
1 Une Institution technique de la Présidence de la
République dont la vocation était non seulement de communiquer et
de sensibiliser mais aussi de concevoir des stratégies dissuasives de
lutte contre la corruption
Ces interrogations sur la persistance de la corruption qui,
loin de se réduire à la sphère politique s'est
généralisée et banalisée (De SARDAN, 1998), se
trouvent au fondement de la présente recherche. A l'évidence, la
Moralisation de la Vie Publique rencontre un certain nombre d'obstacles qui
n'en facilitent pas l'efficacité. Si la faible capacité de
régulation de l'Etat est un fait, il convient de reconnaître
qu'elle ne suffit pas à expliquer la persistance de la corruption. Tout
porte à croire que la lutte contre la corruption devrait porter sur des
aspects non encore élucidés ou du moins ignorés, en
l'occurrence les comportements des « agents de la corruption » qui,
de toute évidence ont intérêt à ce qu'elle perdure
et qui s'appuient sur un contexte socioculturel propice.
Le présent travail se propose donc de mettre en
évidence les obstacles qui se posent à la Moralisation de la Vie
Publique au sein de l'administration publique béninoise. Pour y
parvenir, la réflexion s'articulera essentiellement autour de la
question suivante : en quels termes se posent les difficultés
liées à la moralisation de la vie publique dans la gestion des
finances publiques ?
Quelques hypothèses permettront de mener la recherche
et d'exploiter la perspective ainsi envisagée.