2. Attitudes et représentations autour de la
corruption.
La généralisation et la banalisation de la
corruption n'ont pas pour autant induit une totale acceptation du fait par les
acteurs sociaux. En effet, la sémiologie populaire fait ressortir deux
types de corruption autour desquelles s'articulent différentes sortes de
réaction.
2.1. Le paradoxe de la dénonciation
Les actes de corruption commis par les responsables politiques et
les hauts fonctionnaires d'Etat font l'objet d'une vive condamnation au sein
de
l'opinion publique. Les détournements de deniers
publics et tous les actes de corruption qui se répercutent de
manière significative sur la trésorerie nationale sont vivement
réprouvés. C'est d'ailleurs la lutte contre ce type de corruption
qui mobilise l'attention des organes de lutte, en particulier celle des
Organisations de la société civile (OSC). La sémiologie
populaire regorge de termes retraçant la dureté du discours
populaire au sujet des acteurs de ce type de corruption : << é
dou tó bi >> (ils ont bouffé tout le pays) ; <<
é bló jonicus >> (ils ont organisé la
magouille), sont les expressions usuelles servant à stigmatiser ces
pratiques. Il est curieux de constater que même les acteurs s'adonnant
à des pratiques de corruption réprouvent et dénoncent la
grande corruption. C'est le cas des contribuables et des agents des services
des impôts qui s'allient pour organiser la fraude fiscale : <<
la lutte contre la corruption doit se mener contre ceux qui bouffent des
millions. Nous, on se bat pour faire entrer de l 'argent dans les caisses de l
'Etat même si on ne paye pas tout ce qu 'on doit mais eux ils ne font
rien et se servent royalement >> (v., contribuable). Ce constat
appelle à une relecture d'une des thèses de De SARDAN selon
laquelle la logique de l'autorité prédatrice serait
communément admise. Dans cette perspective, l'imaginaire collectif
admettrait que les hommes politiques se << servent >> dans la
caisse de l'Etat (De SARDAN, 1998). S'il fut une époque où cela
pouvait être admis, les vives récriminations des responsables
d'Organisations de la société civile (OSC) et de nombreux
citoyens à la faveur des émissions interactives animées
par les médias autorisent à rouvrir le débat sur la
question1. Si autrefois les récriminations contre les actes
de détournements semblaient être l'apanage des Organisations de la
société civile (OSC) et de certains partis de l'opposition, les
récents évènements survenus sur la scène politique
lui ont donné une autre
1 Ceci ne veut absolument pas dire que la dénonciation
de la grande corruption implique une perte systématique de
légitimité pour les hommes politiques indexés. Par
exemple, monsieur Séfou FAGBOHOUN sur lequel pesait des soupçons
de corruption et qui étaient sous mandat de dépôt n'eut pas
trop de mal à se faire élire comme député lors des
législatives de 2007. Une étude sur les déterminants du
comportement électoral des citoyens béninois permettrait sans
doute de circonscrire le débat.
ampleur. Ainsi, la prise officielle de distance
vis-à-vis de la corruption semble être devenue un mode d'action
politique. Ceci peut paraître paradoxal en ce sens que le
clientélisme politique est demeuré une variante fondamentale du
jeu politique et un élément déterminant dans les
stratégies de conquête du pouvoir au Bénin. Il s'agit
là du dilemme de l'homme politique béninois devant prendre ses
distances vis-à-vis de la corruption pour avoir la sympathie du Chef de
l'Etat mais se retrouvant dans un environnement politique hautement
concurrentiel où la redistribution des prébendes semble
être la stratégie gagnante. S'il est vrai que la victoire aux
élections est le résultat de la combinaison de plusieurs
facteurs, il n'en demeure pas moins que l'argent y occupe une grande
place1. En l'absence d'une politique nationale de financement des
partis politiques, la mobilisation des frais de campagne est la
préoccupation fondamentale des responsables politiques et les
opportunités structurelles de corruption qu'offre l'Etat apparaît
comme la panacée. Deux alternatives se présente aux hommes
politiques : mobiliser, sur fond de corruption, les ressources
financières2 à investir dans la campagne en
espérant gagner et avoir davantage de pouvoir ou alors ne pas en
mobiliser et nourrir le risque de perdre les élections, faute de moyens.
La deuxième option paraît suicidaire et de nombreux hommes
politiques semblent préférer le risque de la première
option3.
1 Au lendemain des élections législatives de
mars 2003, Antoine Idji KOLAWOLE élu président de
l'assemblée nationale par ses collègues de la mouvance attira,
dans son discours inaugural, l'attention de tous les hommes politiques sur le
poids considérablement inquiétant de l'argent dans les campagnes
électorales. Il en fera de même dans sa dernière allocution
en tant que président, aux lendemains des législatives de
2007.
2 Les hommes politiques n'ayant pas de positions de pouvoir et
ne pouvant de ce fait pas puiser directement dans les caisses de l'Etat,
contractent des dettes qu'ils espèrent rembourser, d'une manière
ou d'une autre, une fois au pouvoir.
3 Il est vrai qu'en attendant le verdict de la justice, les
récents rapports de l'inspection générale d'Etat doivent
être pris avec prudence mais le fait qu'ils aient indexés des
proches du Président de la République qui venaient d'être
élus à L'Assemblée Nationale(rendent plausible cette
hypothèse. En effet, Marcellin ZANNOU, Célestine ADJADOHOUN et
Luc da Mata SANTANA, avant d'être élus sur la liste FCBE
étaient respectivement responsables à la douane du port autonome
de Cotonou et à la société béninoise
d'énergie électrique SBEE.
|