CHAPITRE II : Du cercle vicieux de la corruption
1. Les conditions d'existence et de travail
La corruption, sous ses multiples facettes induit deux types
de coûts pour l'Etat. Les coûts indirects sont liés aux faux
frais en douane et aux extorsions des usagers qui concourent à la faible
compétitivité des entreprises et du port autonome de Cotonou. Ce
type de coût n'est pas mesurable. En revanche les coûts directs qui
constituent des manques à gagner pour l'Etat du fait des
détournements, des surfacturations et abus de biens sociaux sont
mesurables. A l'heure actuelle il n'existe aucune étude exhaustive
faisant état du coût exact de ce type de corruption. Toutefois
certains indicateurs permettent d'affirmer sans grand risque de se tromper que
la corruption amenuise considérablement les recettes de
l'Etat1 et affaiblit ainsi sa marge de manoeuvre et sa
capacité à veiller au respect de l'éthique bureaucratique.
Deux caractéristiques fondamentales de l 'administration publique
béninoise entravant l'efficacité de la lutte contre la corruption
peuvent être imputées aux coûts directs de la corruption :
l'insuffisance du personnel et les traitements de salaires.
L'insuffisance de personnel se fait ressentir tant au niveau
des organes de contrôle qu'au niveau des autres unités
administratives. Ainsi les trois organes à compétences nationales
chargés de veiller à, la régularité et au respect
des procédures sont débordés de travail, de sorte qu'ils
n'arrivent pas assumer pleinement leur mission même si leurs membres
déclarent qu'ils donnent le meilleur d'eux même. L'aveu de
l'Inspecteur Général est fort illustratif : « nous ne
faisons pas de chasse aux sorcières. Le chef de l 'Etat
a
1 En 2006, le ministre des finances et de l'économie
estimait à 201 milliards de francs cfa, les pertes subies par l'Etat du
fait de ma surfacturation dans les marchés publics et des ordres de
paiement indûment signés. En 2006, une mission d'investigation des
marchandises sous douane conduite par l'inspection générale des
finances dans les départements du Borgou, de la Donga, du Mono et du
Couffo à rapporté à l'Etat la somme de 197796780fcfa sur
des marchandises pour lesquelles les droits initialement calculés et
payés étaient de 34927407 fcfa.
déjà donné les instructions mais nous
sommes obligés d 'aller pro gressivement car nous sommes
débordés » (KOUSSE, 2007). L'inspection
générale des finances ne comporte que 21 agents quand bien
même il s'agirait d'un organe capital dans le contrôle de la
gestion financière des sociétés et entreprises d'Etat. Le
contrôle administratif n'est donc pas systématique, ce qui n'est
pas de nature à dissuader les agents publics s'adonnant aux pratiques de
corruption1. La même situation prévaut du
côté de la justice où les juges spécialisés
en finances publiques et corruption constituent une denrée rare. De ce
fait les juges compétents en la matière sont
débordés de travail et il n'est objectivement pas possible
d'exiger un meilleur rendement de leur part.
La même situation prévaut à la douane du
port autonome de Cotonou où le nombre d'agent est passé de 130 en
1985 à 35 en 1995 pour stagner jusqu'en 2000. A l'heure actuelle, le
nombre d'agents en service à la douane du port est de 62 agents.
Paradoxalement, le nombre d'usager fréquentant le port s'est
considérablement accru, de sorte qu'il a atteint les limites de ses
capacités d'accueil. Il y a donc une surenchère de l'offre par
rapport à la demande pour le << grand bonheur >> de ceux qui
sont investis de cette partie de la puissance publique. Il leur revient de
traiter normalement les dossiers ou de le faire avec
célérité suivant que le client se montre disposé ou
non à leur payer le travail << supplémentaire >>
qu'implique la célérité. Tout retard en transit
étant perçu comme un manque de compétence du transitaire,
il se crée une sorte d'accord tacite entre transitaire, passeurs en
douanes et douaniers pour que le travail supplémentaire du douanier lui
soit payé au détriment du contribuable. En outre, les douaniers
se font aider par des agents supplétifs appelés «
klébés >>. Si officiellement et légalement, ces
derniers ne sont pas en droit d'exercer dans le secteur de la douane, ils sont
devenus presque incontournables dans la
1 Il est vrai qu'on assiste en ce moment à ne
recrudescence du contrôle administratif mais la plupart de ces
contrôles ont été dépêchés à la
suite des dénonciations du FONAC. Il faudra faire une observation dans
le temps pour conclure ou non à la systématisation du
contrôle administratif.
pratique, du fait de l'incapacité des douaniers
à abattre le gigantesque travail qui leur incombe. La présence
des << klébés >> est consacrée par le
versement systématique de 10% des amendes qui auraient été
perçues grâce à leur travail d'indicateurs. En quête
de célérité, les transitaires et autres usagers du port
trouvent en la personne des douaniers, de véritables alliés
stratégiques.
Le manque de personnel se fait également ressentir avec
acuité au niveau des unités administratives des services des
impôts. L'enquêté T., contrôleur général
des impôts, en témoigne : << Le man que de personnel est
le véritable problème du service des recettes. C 'est un
problème auxquels sont confrontés tous les démembrements
des services des impôts » . Les services de recette des centres
des impôts des petites entreprises comptent environ trois agents que sont
le receveur, le fondé de pouvoir et l'agent des collectivités
locales. Il en est de même au niveau des assiettes. Dans ces conditions,
respecter et faire respecter la règle revient, pour les agents publics,
à faire << un pari impossible >>. Un mécanisme
d'autorégulation se dégage de la relation entre les services des
impôts et les contribuables. Après le travail des enquêteurs
pour le recensement foncier urbain par exemple, il revient à un seul
inspecteur d'étudier la pile de données collectées et
d'émettre les avis d'imposition. Il ne dispose que de très peu de
temps pour le faire, ce qui ne lui permet pas d'effectuer le contrôle de
vérification sur le terrain, la priorité pour lui, étant
d'émettre les avis d'imposition,sous peine de se voir
blâmé. La fraude fiscale s'en trouve facilitée en ce sens
que les corps de contrôle vivant eux même le problème de
l'insuffisance du personnel se montrent plus compréhensif à
l'endroit des agents d'applications objectivement incapables de s'acquitter
convenablement de leur devoir. Dans ces conditions, l'Etat s'accommode fort
bien d'un quota fixé par le ministère des finances et que les
services des impôts ont la charge de recouvrer.
Cette caractéristique de l'administration publique
sert, dans bien de cas de paravent à la cupidité de certains
agents publics. Toutefois, il convient de souligner que les traitements de
salaires ne sont pas de nature à favoriser le respect de
l'éthique bureaucratique.
En règle générale, les salaires des
agents d'application sont d'un bas niveau. Les « mauvais »
traitements de salaire servent de référence aux discours de
légitimation des pratiques de corruption. La série d'affirmations
suivante en atteste : (( Mon père n 'est qu 'un petit fonctionnaire
d'Etat, comment aurait-il pu nous inscrire mes frères et moi, dans un
collège privé et nous assurer une bonne éducation s 'il n
'avait pas des à côtés ?(...) les à
côtés sont différents du vol mais ils aident beaucoup de
familles », confesse D., fils d 'un agent des impôts,
élève en classe de seconde ; (( La lutte contre la corruption
dans l 'administration publique doit commencer par l 'augmentation du salaire
des fonctionnaires. Si rien n 'est fait dans ce sens, la lutte contre la petite
corruption sera une injustice », déclare l 'enquêté
G., receveur des impôts. Les préoccupations d'un important
réseau d'ONG béninoises engagées dans la
réalisation des OMD s'inscrivent dans la même logique. A la
question de savoir quel type de lutte contre la corruption il faut pour le
pays, il répond : (( Rendre à César ce qui est
à César (...) bien payer nos policiers, douaniers et inspecteurs
des finances publiques et puis, tous ceux qui travaillent à la
mobilisation des ressources matérielles et humaines
»1.Les indicateurs de traitement de même que les
salaires bruts correspondants aux indices de traitement et à la nouvelle
valeur indiciaire permettent d'apprécier le niveau des salaires.
1 Huguette AKPLOGAN DOSSA, coordonnatrice de SOCIAL WATCH
Bénin, Quelle sorte de lutte contre la corruption dans mon pays ! !!,
SOCIAL WATCH BENIN Info, n°5, Oct-nov 2007.
VII: Indices de traitement
Echelons
|
Catégorie A
|
Catégorie B
|
Catégorie C
|
Catégorie D
|
Catégorie E
|
|
Agent de conception Diplômé de l'université
ou équivalentes
|
Agent d'application,
diplômé ou attestation de fin d'étude
de 1ère, 2ème ou 3ème
année
de l'université ou qualifications équivalentes
|
Agent d'encadrement diplômé
de fin d'études de 1ère,2ème
et
3ème année du collège polytechnique 2 ou
qualifications équivalentes
|
Agent d'exécution diplômé de fin
d'études de 1ère,
2ème et 3ème année du
collège polytechnique1
ou qualifications équivalentes
|
Emploi à initiation Préalable
|
|
Echelles
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
1
|
2
|
3
|
1
|
2
|
3
|
1
|
2
|
3
|
1
|
2
|
3
|
1
|
1
|
425
|
375
|
340
|
300
|
280
|
250
|
220
|
200
|
180
|
160
|
140
|
120
|
100
|
2
|
490
|
425
|
380
|
335
|
310
|
270
|
240
|
215
|
200
|
170
|
150
|
130
|
105
|
3
|
555
|
475
|
420
|
370
|
340
|
290
|
260
|
230
|
215
|
180
|
160
|
140
|
110
|
4
|
620
|
525
|
460
|
405
|
370
|
310
|
280
|
245
|
230
|
190
|
170
|
150
|
120
|
Promotion5
|
730
|
625
|
520
|
490
|
420
|
360
|
320
|
280
|
250
|
210
|
190
|
170
|
1140
|
6
|
815
|
675
|
560
|
525
|
450
|
380
|
340
|
295
|
265
|
220
|
200
|
180
|
150
|
7
|
880
|
725
|
600
|
560
|
480
|
400
|
360
|
310
|
280
|
230
|
210
|
190
|
160
|
8
|
1020
|
850
|
675
|
645
|
530
|
460
|
400
|
345
|
310
|
255
|
230
|
210
|
180
|
9
|
1090
|
900
|
725
|
680
|
560
|
480
|
420
|
365
|
325
|
265
|
240
|
220
|
190
|
10
|
1165
|
950
|
775
|
715
|
590
|
500
|
440
|
380
|
340
|
275
|
250
|
230
|
200
|
Promotion11
|
1250
|
1000
|
850
|
750
|
640
|
520
|
460
|
400
|
360
|
300
|
265
|
245
|
210
|
Promotion12
|
1300
|
1100
|
925
|
825
|
725
|
590
|
510
|
460
|
400
|
340
|
300
|
275
|
235
|
Source : Ministère de la fonction publique et de la
réforme administrative, Echelonnement indiciaire des corps des
personnels administratifs et établissements publics de l 'Etat.
Tableau VIII : Tableau brut correspondant aux indices de
traitement1
Echelons
|
Catégorie A
|
Catégorie B
|
Catégorie C
|
Catégorie D
|
Catégorie E
|
|
Echelles
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
1
|
2
|
3
|
1
|
2
|
3
|
1
|
2
|
3
|
1
|
2
|
3
|
1
|
1
|
90206
|
79594
|
72165
|
63675
|
59430
|
53063
|
46695
|
42450
|
38205
|
33960
|
29715
|
25470
|
21225
|
2
|
104003
|
90206
|
80655
|
71104
|
65798
|
57388
|
50940
|
45634
|
42450
|
36083
|
31838
|
27593
|
22286
|
3
|
117799
|
100819
|
89145
|
78533
|
72165
|
61553
|
55185
|
48818
|
45634
|
38225
|
33960
|
29715
|
23348
|
4
|
131595
|
111431
|
97635
|
85961
|
78533
|
65798
|
59435
|
52001
|
48818
|
40328
|
36083
|
31838
|
25470
|
Promotion5
|
154943
|
132656
|
110370
|
104003
|
89145
|
76410
|
67920
|
59430
|
53063
|
44573
|
40328
|
36083
|
29715
|
6
|
172984
|
143269
|
118860
|
111431
|
95513
|
80655
|
72165
|
62614
|
56246
|
46695
|
42450
|
38205
|
31838
|
7
|
186780
|
153881
|
127350
|
118860
|
101880
|
84900
|
76410
|
65798
|
59430
|
48818
|
44573
|
40328
|
33960
|
8
|
216495
|
150443
|
143269
|
136901
|
112493
|
97635
|
84900
|
73220
|
65798
|
54124
|
48818
|
44573
|
38205
|
9
|
231353
|
191025
|
153881
|
144330
|
118860
|
101880
|
89145
|
77471
|
68981
|
56246
|
50940
|
46695
|
40328
|
10
|
247274
|
201638
|
164494
|
151759
|
125228
|
106125
|
93390
|
80655
|
72165
|
58369
|
53063
|
48818
|
42450
|
Promotion11
|
265313
|
212250
|
180413
|
159888
|
135840
|
110370
|
97635
|
84900
|
76410
|
63675
|
56246
|
52001
|
44573
|
Promotion12
|
275925
|
233475
|
196334
|
175106
|
153881
|
125228
|
108248
|
97635
|
84900
|
72165
|
63675
|
58365
|
49879
|
Source : Ministère de la fonction publique et de la
réforme administrative, Echelonnement indiciaire des corps des
personnels administratifs et établissements publics de l 'Etat.
1 Les promesses de relèvement du point indiciaire n'ont
pas encore connu un début d'application.
Le faible niveau des salaires touche tous les agents publics
mais il se fait surtout ressentir au niveau des agents d'application,
d'exécution et d'emploi à initiation préalable. D'un
secteur à l'autre, ce faible niveau des salaires implique des
conséquences diverses.
Un receveur des impôts, recruté sur la base du
BEPC, intègre la fonction publique en tant qu' agent de la
catégorie C3. Après 18 mois de formation et de service, il passe
dans la catégorie C1. Son salaire brut est alors de 46695 FCFA.
Après 12 ans de services, il passe au cinquième grade de cette
même catégorie et son salaire brut est de 69720 FCFA. Ce salaire
brut subira divers types de prélèvement qui seront
compensés par les primes et les indemnités. Son revenu net
n'excède pas 80000 FCFA s'il n'occupe aucun poste de
responsabilité. Sur cette base, l'agent public est amené à
faire des dépenses incompressibles qui se présentent dans le
tableau IX ci-après.
Tableau IX : Dépenses incompressibles
Type de dépense
|
Loyer
|
Déplacement
|
Restauration
|
Coût minimal en F CFA
|
15000
|
15000
|
30000
|
Total des dépenses minimales
|
60000
|
Source : Données de terrain, novembre 2007.
Des dépenses importantes liées à
l'accès à l'électricité et à l'eau de
même que les frais de communication s'ajoutent aux dépenses
incompressibles, de sorte que le revenu salarial est vite épuisé.
La plupart des agents publics sont des hommes dont les femmes, dans leur
majorité, ne travaillent pas. Ces derniers vivent donc en permanence une
situation de précarité et sont perpétuellement en
quête d'occasion pour « arrondir » leur salaire. Les
problèmes liés à la prise en charge sanitaire par l'Etat
viennent compliquer la situation car tout problème de santé
entraîne des dépenses
considérables. Dans ces conditions, tout agent public
se doit de faire face à deux impératifs : assurer les
dépenses incompressibles et les dépenses de grande utilité
tout en réalisant des économies en prévision des jours
difficiles. De nombreuses pratiques de petites de corruption peuvent s'analyser
comme relevant d'une stratégie de survie des agents publics comme en
témoigne l'enquêté M., receveur des impôts : «
Si je ne fais pas des concessions aux gens, non seulement j 'aurai des
problèmes avec mon entourage mais en plus je ne pourrai pas vivre comme
il faut avec ma femme et mes enfants. C 'est vrai que nous devons travailler
pour faire vivre l 'Etat mais nous avons besoin aussi d'être en vie
».
S'il est vrai que la corruption peut s'appréhender
comme la revanche d'agents objectivement privés d'avenir, il n'en
demeure pas moins que la cupidité y occupe également une grande
part. Une fois les besoins élémentaires satisfaits, les hommes
sont portés vers la satisfaction de besoins plus grands, se donnent de
nouvelles ambitions et se comportent comme de véritables entrepreneurs
au sein de l'Etat. C'est le cas de la corruption à la douane du port
autonome de Cotonou où la mise en place de mécanismes d'octroi de
primes sur la base des faux frais n'a pas pour autant suffi à calmer les
appétits de certains agents.
|