3. La construction de l'impunité
Si à l'unanimité, les acteurs interrogés
admettent que les cas de violations flagrantes des dispositions légales
sont beaucoup moins utilisées et que les acteurs de la corruption ont de
plus en plus tendance à peaufiner les stratégies de
contournements, il n'en demeure pas moins que l'impunité fait partie des
stratégies corruptrices. L'impunité est construite et entretenue
à deux principaux niveaux que sont l'exploitation des faiblesses
structurelles de l'Etat, le chantage et la cooptation des acteurs intervenants
dans la lutte.
3.1. L 'exploitation des faiblesses de l'Etat
La loi n°2004-18 du 27 août 2004, définit
une série de conditions précises en dehors desquelles les
marchés gré à gré ne sauraient être
passés. Ces mêmes dispositions prescrivent que l'avis
motivé du ministre en charge des finances est un préalable
à la passation de marché de gré à gré car ce
dernier doit veiller à ce que le volume de tels marchés ne
dépasse les 10% du
total des marchés passés. Dans la pratique,
l'alinéa 5 de l'article 44 de cette loi qui autorise le gré
à gré en cas d'urgence de réalisation des travaux dus
à des circonstances imprévisibles, est utilisé pour faire
avaler des situations de fait au ministre des finances. Cet acte contraire aux
dispositions en vigueur ne souffre d'aucune contestation lorsque les structures
de vérification, notamment la commission nationale de régulation
des marchés publics et les ONG, qui sont le plus souvent
débordées, ne s'appesantissent pas sur la question. En outre, la
détection de tels procédés n'a qu'un caractère
suspensif lorsque le marché est en cours d'exécution mais
n'induit pas systématiquement des sanctions judiciaires contre les mis
en cause. La stratégie mise en oeuvre est fondée sur la faible
capacité de travail des organes de contrôle en manque de personnel
pour répondre à l'immensité des tâches qui leur sont
assignées (par exemple l'IGF ne compte que 21 agents tandis que
l'inspection générale du ministère des mines ne compte que
deux agents. Il en va de même de la justice au niveau de laquelle la
reprise de l'enquête menée par les organes de contrôle
s'impose pour des raisons d'équité et de respect des
procédures. Cette enquête de vérification s'avère
parfois fastidieuse en raison du déficit en personnel judiciaire. Dans
bien de cas, le juge d'instruction ressent le besoin d'effectuer des voyages
à l'étranger pour vérifier s'il y a eu des mouvements
bancaires et pour rassembler toutes les preuves, ce qui n'est pas facile
à faire. On assiste alors à l'acquittement de l'accusé
« au bénéfice du doute ». L'exploitation des faiblesses
structurelles de l'Etat fonde également le maquillage des preuves. En
effet, l'accès à l'information et l'administration de la preuve
des malversations commises apparaît comme le principal obstacle à
la moralisation de la vie publique. L'enquêté A.
président d'ONG et ancien président d'une commission
d'enquête, en témoigne: « L 'administration publique est
un véritable mûr de silence que l'on ne peut
pénétrer qu 'à condition d'y avoir des complices. Les
dossiers de malversations révélés par la commission d
'enquête que j 'ai dirigée n 'étaient que la partie visible
de l 'iceberg. Dans bien de cas,
les faits de corruption n 'ont pu être
établis quoique nous eussions de fortes présomptions ».
Les auteurs de la corruption en font une stratégie de
prédilection en ce sens que la condamnation d'un présumé
acte de corruption par la justice requiert la réunion de trois
éléments que sont l'élément matériel (la
preuve), l'élément légal (la disposition
réglementaire condamnant l'acte et l'élément moral
(l'intention affichée de nuire). En l'absence de lois condamnant
l'enrichissement illicite et assurant la protection des dénonciateurs
d'actes de corruption dont elles auraient été témoin, le
maquillage assure la tranquillité aux corrompus et corrupteurs qui n'ont
même pas à se soucier de << blanchir xi leurs gains.
Par ailleurs, il se développe, au sein de certaines
structures une solidarité de corps qui permet aux agents publics de
profiter de leur position stratégique pour la réalisation des
objectifs de l'administration pour prendre en otage cette même
administration. C'est le cas de la douane du port autonome de Cotonou où
les faux frais sont érigés en norme, au vu et au su de tous.
L'Etat semble être incapable d'inverser la tendance car toutes les
structures installées au port pour contrer le phénomène
ont été assimilées par le système (BAKO
ARIFARI,2000). Cette société de port a démontré
toute sa capacité stratégique quand tous les douaniers sont
entrés en grève pour protester contre les méthodes de la
Cellule de Moralisation de la Vie Publique, occasionnant de lourdes pertes
à l'Etat1.
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