2.2 La douane et les impôts
Leviers importants de la mobilisation des recettes de l'Etat,
le service de la douane et celui des impôts reposent respectivement sur
l'application du code de la douane et du code général des
impôts.
Le port autonome de Cotonou est le principal lieu
d'application du code de la douane dans la ville de Cotonou. La douane de
Cotonou -port est un important lieu de transactions financières.
L'écor est une opération qui consiste à évaluer la
nature, le nombre, le poids des marchandises et à déterminer
le
montant des droits à percevoir sur elles. Si de
nombreuses pratiques corruptives qui s'y observent relèvent de
l'extorsion à travers les faux frais, il convient de signaler que la
minoration des valeurs y est également une stratégie dominante.
Une telle minoration s'effectue sur les marchandises de grandes entreprises
pour lesquelles elle revêt un double intérêt. Non seulement
elle leur permet de payer des taxes douanières nettement
inférieures aux valeurs de leurs marchandises mais aussi, elle leur
permet de mieux organiser la fraude fiscale en faisant un bilan comptable
biaisé. Ce type de corruption se fait sous fonds d'interférences
politiques et implique les responsables aux plus haut niveau de la
douane1.
En ce qui concerne le service des impôts, on assiste
également à des formes de stratégies de contournement. Le
service des impôts est subdivisé en deux secteurs que sont
l'assiette et la recette.
- Le service des assiettes
Le service des assiettes est chargé d'asseoir
l'impôt c'est-à-dire de déterminer la matière
imposable, de liquider l'impôt en appliquant les taux d'impôts et
d'émettre des avis d'imposition qui sont acheminés à la
recette. Pour effectuer sa mission, le service des assiettes effectue des
enquêtes de recensement sur le terrain. C'est à cette occasion que
de nombreuses tractations concourant à l'amenuisement des recettes
fiscales se mènent. La stratégie récurrente, pour les
contribuables consiste à faire une déclaration à la baisse
de la valeur des biens à imposer afin que l'impôt ne soit pas
élevé. Dans cette quête, les agents du service des
assiettes chargés de recenser les biens deviennent leurs alliés
stratégiques. Il faut également préciser qu'il arrive que,
pour faire face à l'immensité du travail, les assiettes fassent
appel à des
1 Sous réserve des décisions de justice, c'est
ce type de corruption qui a été révélé par
l'enquête de l'inspection générale d'Etat et qui a conduuit
à la suspension de Charles ADEKAMBI et de Marcellin ZANNOU qui
étaient respectivement, Directeur Général de la douane et
Chef de la Brigade des douanes de Cotonou-port.
personnes qui ne sont pas du secteur. Ce fut le cas par
exemple, lors du recensement foncier urbain de 2006. Ces agents occasionnels
commis à la réalisation des enquêtes de recensement, sont
des véritables alliés stratégiques pour certains
contribuables. Il leur est d'autant plus facile d'opérer qu'aucune
sanction administrative ne pèse sur eux puisqu'ils ne sont pas, le plus
souvent des fonctionnaires. Les propos de l'enquêté S.,
enquêteur lors du RFU de 2006 sont évocateurs : « En tant
qu 'enquêteur je devrais recenser les immeubles du quartier. Je suis
entré dans une maison et avant que je n 'écrive quoique ce so it,
le propriétaire m 'a demandé de venir pour qu 'on parle. Il m 'a
expliqué qu 'il s 'était toujours entendu avec les
enquêteurs et m 'a fait une enveloppe de 50. 000F. J'ai fait les
déclarations comme il me l 'a demandé ».
En outre, le caractère déclaratif de
l'impôt au Bénin offre un terrain favorable à
l'évasion fiscale. En effet, c'est aux comptables des entreprises qu'il
revient de faire une déclaration du résultat comptable
(c'est-à-dire le bénéfice net) et d'appliquer le taux
d'impôt en vigueur pour définir le montant de l'impôt. Cela
fait, il l'achemine au service des assiettes et il revient à
l'inspecteur de procéder au contrôle sur place et sur pièce
pour valider ce montant. Il s'ensuit que beaucoup d'entreprises font des
déclarations à la baisse qui puisse échapper à
l'inspecteur qui n'a pas toujours le temps et les ressources nécessaires
pour effectuer le contrôle. Cependant, dans leur quête
d'alliés stratégiques, les contribuables savent appâter
l'agent public pour qu'il oublie de bien faire son travail. Cela lui est
d'autant plus facile qu'il y a un problème réel d'insuffisance de
personnel dans l'administration. Les organes de contrôle, notamment
l'inspection générale des services de l'impôt n'y voit que
du feu en raison de ses faibles capacités en ressources
matérielles et humaines qui ne lui permettent pas de procéder
directement à des vérifications sur le terrain, et s'en tiennent
pour l'essentiel à la conformité des taux imposés avec les
textes. Quant aux ONG, elles avouent qu'elles ne s'intéressent pas
trop à ce pan de la question. Elles se concentrent le
plus souvent sur les détournements des deniers publics et sur les
marchés publics, au grand bonheur de certains contribuables et de
certains agents publics. Ces derniers, pour éviter d'être
dénoncés par leurs collègues, mettent en place des
stratégies de cooptation et d'intimidation. La répartition du
butin impose la loi du silence. Les contribuables, quant à eux,
déploient moult stratégies de mobilisation de leurs alliés
stratégiques et utilisent divers registres de persuasion : appartenance
à la même lignée familiale, alliance dans le mariage,
appartenance au même groupe religieux...
L'appât du gain n'intervient donc pas directement dans
les négociations. On sollicite une faveur de l'agent public en
mobilisant divers réseaux de solidarité ou en jouant sur son
côté affectif et l'argent qu'on lui donne s'accompagne de
remerciement pour « le service rendu ». De cette façon, la loi
est respectée car les avis d'imposition sont émis et les
impôts recouvrés, quoique l'Etat subisse un préjudice.
Il convient de notifier que cette stratégie corruptrice
n'est utilisée que pour les impôts directs, ceux dont le
contribuable va lui-même s'acquitter. Les impôts directs courants
sont les impôts sur le bénéfice industriel et commercial
(BIC), le bénéfice non commercial (BNC) et la taxe sur le foncier
urbain (TFU). La stratégie de minoration des valeurs à
déclarer n'est pas efficace en ce qui concerne les impôts
indirects car ils sont directement relevés par le prestataire (tenant de
boutique, de bar, gérant de station d'essence...) et reversés
à l'Etat.
- Le service des recettes
Une fois les avis d'imposition émis, le service des
assiettes les achemine à la recette qui prend en charge les
rôles1 et les distribue au contribuable. La date de
réception de l'avis par le contribuable est la date de mise en
recouvrement. Passé le délai de mise en recouvrement, le receveur
délivre une sommation sans frais c'est-à-dire qu'il applique une
pénalité de 10% puis retrace la dette du contribuable et lui
envoie un acte qui ne vaut aucun frais. A l'expiration du délai de
l'acte de sommation sans frais, le receveur adresse un acte de commandement
c'est-à-dire un acte qui retrace la dette du contribuable( impôt +
majoration ) + pénalité de 5%. Si aucune réaction n'est
notée, il est alors émis un avis à tiers détenteur
(ATD), c'est-à-dire que les banques sont saisies et priées de
bloquer les avoirs en banque des intéressés s'ils en avaient et
de mettre le montant dû à la disposition du trésor public.
Si cette procédure demeure infructueuse, on procède à la
saisie des biens meubles et immeubles du contribuable.
Il ne serait pas excessif, à la lumière de ce
qui précède, de dire que la loi n'offre aucune possibilité
d'évasion fiscale une fois l'avis d'imposition émis. Les propos
suivants, émis par l'enquêté B., receveur des
impôts, en témoignent : « Une fois l 'acte de
commandement émis, l 'impôt assorti des pénalités,
devient imprescriptible ».
Toutefois, les réalités de terrain
révèlent l'existence de formes subtiles de contournement de la
loi qui dénotent de l'irréductibilité du social à
la loi. La difficulté première des receveurs est de faire
parvenir l'avis d'imposition au contribuable en raison de leurs faibles
ressources humaines et matérielles. Pour y parvenir, ils font recours
aux élus locaux. Etant donné que la mise en recouvrement ne
débute qu'à partir de la réception de l'avis d'imposition,
les
1 Un rôle est un ensemble de cinquante avis
d'imposition.
poursuites ultérieures sont inopérantes tant que
l'avis d'imposition n'est pas distribué. La non distribution des avis
d'imposition est donc mobilisée comme stratégie pour
échapper aux impôts. Par ailleurs, la loi offre la
possibilité au contribuable de demander un moratoire et
d'échelonner le paiement de ses impôts. Il revient au receveur
ayant cédé à cette requête de veiller au respect de
l'accord établi. A cette occasion, les contribuables «
négocient « le moratoire grâce à l'appât
financier. Si l'omission du recouvrement des impôts auprès d'un
contribuable est une faute professionnelle, l'agent public qui la commet n'est
pas toujours sanctionné et bénéficie souvent de
circonstances atténuantes. Les services de contrôle lui donnent
des conseils et il est procédé au redressement fiscal, c'est-
à dire que les poursuites sont engagées vis- à vis du
contribuable. Il s'agit donc d'un risque moindre pour le receveur sur lequel le
contribuable peut compter, le temps que survienne la prescription de
l'impôt.
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