Deuxième partie : Dynamique de la corruption
CHAPITRE I : DU JEU DES ACTEURS
La persistance de la corruption peut s'appréhender
suivant deux axes essentiels entre lesquels se trouvent des passerelles de
complémentarité. Elle est à la fois le résultat du
jeu d'acteurs, largement favorable aux acteurs de la corruption et de certaines
contraintes structurelles nous instaurant dans le cercle vicieux de la
corruption.
1. Typologie des acteurs de la lutte contre la
corruption
Les dispositions en vigueur en République du
Bénin définissent trois niveaux de contrôle destinés
à lutter contre la corruption : les contrôles administratif,
parlementaire et judiciaire. Deux catégories d'acteurs se mobilisent
pour l'effectivité du contrôle à ces trois niveaux. Il
s'agit des acteurs non étatiques et des acteurs étatiques qui ont
leurs approches spécifiques d'intervention, leurs moyens de mise en
oeuvre et qui nouent des interactions entre elles.
1.1. Les acteurs non
étatiques
Il s'agit essentiellement des organisations non
gouvernementales qui ont explicitement pour objectif de combattre la
corruption. Il est vrai qu'une pluralité d'acteurs intervient, d'une
manière ou d'une autre dans la lutte contre la corruption mais il n'y a
que quelques ONG qui ont explicitement pour objectif de combattre la corruption
et qui y travaillent véritablement. Les données recueillies font
état d'une dizaine d'ONG qui oeuvrent effectivement à cette fin
à Cotonou. Au terme du forum national des organisations de la
société civile de lutte contre la corruption tenu en 1998
à l'initiative de la CMVP, les ONG luttant contre la corruption ont
convenu de mettre sur pied le front des organisations nationales de lutte
contre la corruption (FONAC) qui devrait être une organisation
faîtière. Si aucune des organisations fondatrices
du FONAC n'en a démissionné jusque là, il
n'en demeure pas moins que la quasi-totalité de ces ONG ont gardé
leur autonomie, définissent leurs activités et mobilisent les
ressources à cet effet. Elles s'investissent essentiellement dans la
détection et la dénonciation publique des actes de corruption
grâce à leurs militants qui sont dans l'administration et qui
leurs fournissent toutes les informations utiles à cette fin avec les
preuves y afférent. Une fois les informations recueillies, ces
organisations se rapprochent des mis en cause pour avoir leur version des
faits. Si au terme des échanges aucun reproche n'est fait au mis en
cause ou si les faits reprochés sont des faits mineurs susceptibles
d'être réparés, l'affaire est classée sans suite. Le
cas échéant, elles procèdent à la
dénonciation publique afin d'informer l'opinion publique et d'inciter
les pouvoirs publics à prendre leurs responsabilités pour que le
préjudice causé à l'Etat puisse être
réparé. Les ONG intervenant dans la lutte contre la corruption
sont confrontées, dans leur fonctionnement, à deux types de
difficultés : la mobilisation des ressources humaines (tant en ce qui
concerne les informateurs au sein de l'administration publique qu'en ce qui
concerne l'analyse des informations recueillies et des procédures
à suivre) et la mobilisation des ressources matérielles et
financières. En effet, dans la plupart des cas, le personnel permanent
des ONG se limite à une secrétaire et à un responsable aux
affaires juridiques quand il ne s'agit pas simplement d'une secrétaire
comptable. En ce qui concerne le financement, les bailleurs de fonds
étrangers, en l'occurrence l'USAID, le PNUD, les Ambassades du Danemark
et des Pays Bas de même que la Coopération technique Allemande,
restent les principaux partenaires. Chaque organisation mobilise ses ressources
financières sur la base de ses relations et de la nature des projets
qu'il entend conduire. Par ailleurs, les ressources mises à leur
disposition par les bailleurs de fonds ne sont pas des frais de fonctionnement
et ne sont pas destinées à assurer leurs investigations. En
l'absence d'une stratégie nationale de mobilisation de ressources au
profit des ONG luttant contre la corruption, ces
dernières se trouvent dans l'obligation
d'élaborer des projets qui tiennent compte de la logique des bailleurs
de fonds. Le tableau VI et le graphique n°3 rendent compte de
l'appréciation des acteurs non étatiques sur le degré
d'importance des difficultés qu'ils rencontrent.
Tableau VI : Ordre d'importance des difficultés
rencontrées par les acteurs non étatiques
Difficultés
|
Mobilisation des ressources matérielles et
financières
|
Mobilisation des ressources
humaines
|
Difficultés d'accès à l'information
|
Total
|
Pourcentage
|
50
|
20
|
30
|
100
|
Source : Données de terrain, septembre 2007.
Graphique 3 : Ordre d'importance des
difficultés
30%
Mobilisation des ressources matérielles et
financières Mobilisation des ressources humaines
Difficultés d'accès à l'information
20%
50%
Outre les ONG, les médias privés occupent une
place de choix dans la lutte contre la corruption en ce sens que c'est à
eux qu'il revient d'assurer une large diffusion aux résultats des
investigations des ONG. Les avis recueillis attribuent une position
médiane à la presse dans la lutte contre la corruption. En effet,
en tant que contre pouvoir contribuant à la construction de l'opinion
publique la presse est sujette à des tentatives de
récupération et il arrive que des indélicats en son sein
ne facilitent pas la tâche aux autres acteurs engagés dans la
lutte contre la corruption.
Les ONG et les organes de la presse privée constituent
les principaux acteurs non étatiques engagés dans la lutte. Ils
oeuvrent aux côtés des acteurs étatiques.
1.2. Les acteurs étatiques
Il s'agit des organes de contrôle établis par
l'administration publique auxquels se joint l'Assemblée Nationale dont
le rôle est de contrôler l'action gouvernementale. Au lendemain des
élections présidentielles de mars 2006 qui ont conduit à
l'avènement du Président Boni YAYI, un certain nombre de
réformes ont été entreprises en ce qui concerne les
acteurs étatiques de lutte contre la corruption. Ainsi, la CMVP qui
avait pour attribution de sensibiliser et d'investiguer en vue de dissuader a
été dissoute et remplacée par l'Inspection
Générale d'Etat (IGE) dont la mission est de détecter, en
procédant au contrôle de la régularité de la gestion
des sociétés et administrations publiques, les actes de
corruption. Les rapports de l'IGE sont étudiés en conseil des
ministres et peuvent induire des sanctions administratives et des poursuites
judiciaires. Rattachée à la Présidence de la
République, l'IGE coordonne les activités de l'Inspection
Générale des Finances et de l'Inspection Générale
des Services Administratifs qui constituent, avec elle les trois organes
à compétence nationale. Par ailleurs, les anciennes divisions de
l'Inspection et de la Vérification Interne (DIVI) ont été
remplacées par les inspections générales des
ministères qui assurent le relais des organes à compétence
nationale au sein des ministères.
Mis à part ces organes de contrôle administratif,
l'ordonnance n°96-04 du 31 janvier 1996 et le décret n°2004-18
du 27 août 2004 portant respectivement code des marchés publics et
décret d'application de l'ordonnance réglementent la passation
des marchés publics de l'Etat. Ces dispositions instituent les
commissions de passation des marchés publics au
niveau des ministères et de toutes les institutions
devant acquérir des biens ou des services pour le compte de l'Etat.
Passé le seuil de compétence des CPMP, la direction nationale des
marchés publics prend le relais. La commission nationale de
régulation des marchés publics veille à la
régularité des contrats signés. L'Observatoire de Lutte
Contre la Corruption (OLC) est une institution de la république
chargée de procéder au suivi évaluation des actions
anticorruption. L'Agence Judiciaire du Trésor, rattachée à
la Présidence de la République est chargée de la
récupération des fonds auprès des personnes
indexées par les rapports des différents organes de
contrôle.
Si les rapports de l'IGE, de l'IGF et des inspections
générales des ministères ont un caractère
administratif et sont examinés en Conseil des ministres, ceux de l'OLC
doivent être confirmés par un organe administratif de
contrôle sur demande du gouvernement ou d'un ministre. L'Assemblée
Nationale est l'organe constitutionnel de contrôle du pouvoir
exécutif. Elle est habileté à mettre en place des
commissions d'enquêtes et à interpeller le gouvernement sur tous
les sujets d'intérêt national. Son avis est requis pour la
nomination des ministres. Le vote du budget général de l'Etat et
celui de la loi de règlement constituent les outils fondamentaux du
contrôle parlementaire de l'action gouvernementale. Le vote du budget
générale autorise le gouvernement à mettre en oeuvre une
politique de mobilisation des recettes et à effectuer des
dépenses publiques dans tel ou tel sens tandis que la loi de
règlement est destinée à vérifier le taux
d'exécution du budget. La loi de règlement s'assure
également du respect des procédures et règles
d'exécution des dépenses publiques. Malheureusement, si le vote
du budget à lieu régulièrement, celui de la loi de
règlement tarde à s'insérer dans les moeurs. Depuis
l'avènement du renouveau démocratique, elle n'a pu se faire
qu'une seule fois. Une telle situation tiendrait de la non transmission des
documents de travail par l'exécutif. L'Assemblée Nationale
incarne le pouvoir législatif,
pilier de l'Etat de droit. A ce titre elle devrait être
au coeur de la lutte contre la corruption mais il n'en est pas toujours ainsi
à tel point que les avis recueillis ne la citent presque pas dans les
institutions de lutte contre la corruption.
Acteurs étatiques et acteurs non étatiques
entretiennent des relations qui ne sont pas de nature à faciliter une
synergie d'action et qui concourent à leur affaiblissement dans le jeu
des rapports avec les acteurs de la corruption.
1.3. Interactions entre les acteurs de la lutte contre la
corruption
S'il est vrai que l'ensemble des acteurs engagés dans
la moralisation de la vie publique entretiennent des relations cordiales entre
elles, force est de constater que leurs rapports, dans bien de cas se limitent
à de simples civilités et à des regroupements de
circonstances. S'il est vrai que l'existence de rapports hiérarchiques
entre les organes de contrôle administratifs permet d'observer une
certaine synergie entre elles, il n'en est pas toujours de même entre les
ONG. En effet, la création du FONAC n'a pas induit
systématiquement un cadre de concertation bien que la
quasi-totalité des ONG intervenant dans le domaine se réclament
membre du FONAC. Les forces n'ayant pas été mises en commun, il
s'ensuit que chaque ONG doit faire face isolément à ses
difficultés de mobilisation de ressources humaines et
financières. Certaines y parviennent mais d'autres n'y arrivent pas et
ralentissent considérablement de ce fait leurs activités,
laissant par conséquent le champ libre aux acteurs de la corruption. De
plus, il arrive que différentes ONG travaillent séparément
sur un même dossier sans se concerter et concentrent par là
même, l'essentiel des énergies sur un seul sujet. Par exemple pour
le dossier de la SBEE qui a défrayé la chronique, le FONAC et
ALCRER ont mené séparément leurs enquêtes. Les
difficultés d'harmonisation des activités des ONG s'inscrivent
dans la dynamique de la société civile africaine dont beaucoup
d'organisations doivent leur création à la possibilité
de
mobiliser des ressources extérieures. Dans ces
conditions, préserver son autonomie revient à préserver
ses chances de captation de la rente du développement auprès des
partenaires au développement. Cet état de choses permet de
comprendre que des organisations membres du FONAC aient pu, dans le cadre de
leurs activités de sensibilisation, mobiliser des ressources
financières auprès d'un partenaire qui finançait aussi le
FONAC pour des activités du même genre.
Par ailleurs, à la disparité entre les moyens
matériels et humains, s'ajoutent d'autres clivages imputables aux textes
et lois, qui ne sont pas de nature à consolider la collaboration entre
les ONG et les organes administratifs. En effet, les inspections
générales fonctionnent suivant un chronogramme
préalablement défini et ne peuvent entreprendre des
investigations que sur ordre d'un ministre ou du gouvernement. De ce fait,
elles ne sont habilitées à entrer en collaboration avec les ONG
que dans le cadre d'enquêtes commanditées. Etant donné que
les rapports des ONG n'ont aucun caractère administratif et qu'elles ne
sont juridiquement pas fondées à saisir directement les organes
de contrôle pour valider leur rapport, ces dernières ont le choix
entre le fait de s'en remettre à l'autorité gouvernementale ou de
porter l'affaire sur la scène publique en espérant mettre la
pression sur les autorités. Cette dernière option semble
être la préférence des ONG, faisant de la presse leur
partenaire privilégié. Malheureusement, les organes de presse, en
plus de leur mission d'information, ont une vocation commerciale. De ce fait,
les ONG sont le plus souvent amenées à délier leur bourse
pour faire passer leur message. Certes, quelques organes de presse (et pas des
moindres) accordent des facilités à ces ONG surtout lorsque les
révélations dont elles sont détentrices sont susceptibles
de faire sensation. Ces facilités se sont accentuées avec
l'avènement au pouvoir de l'actuel Président de la
République qui a publiquement déclaré son intention de
lutter contre la
corruption et l'on a pu observer une forte activité
médiatique du FONAC et de l'OLC. Mais les avis recueillis sont unanimes
sur le fait que les médias n'ouvrent pas touj ours spontanément
leurs portes.
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