L'approche de l'école de la répression
financière est fondée sur l'hypothèse implicite
d'un marché parfait. Et pourtant, avec Stiglitz et Weiss [1981], le
rationnement du crédit peut coexister dans un marché du
crédit compétitif (Cf. Venet B.1994, p94). L'explication du
rationnement du crédit réside dans l'introduction de
l'hypothèse de l'asymétrie de l'information
dans la théorie de l'équilibre [Arrow G.A, 1970]. Bien avant
d'illustrer cette hypothèse, il convient de définir le
rationnement du crédit qui désigne le fait que parmi des
demandeurs de crédit supposés identiques, certains obtiennent le
crédit et d'autres ne l'obtiennent pas, bien que ces derniers soient
prêts à payer des taux d'intérêt plus
élevés. Le rationnement du crédit fait aussi
référence à une situation où certaine
catégorie d'individus soient incapables d'accéder au
marché du crédit compte tenu du taux d'équilibre du
marché. Comme nous l'avons déjà souligné,
l'explication pertinente de la persistance du rationnement du crédit
réside dans l'asymétrie informationnelle, cette
hypothèse s'illustre bien par l'exemple du marché des voitures
d'occasion d'AKerlof. Sur ce marché, les prix ne véhiculent pas
une information parfaite de l'état ou de la qualité réelle
de la voiture vendue. Ils sont le reflet, pour les acheteurs, de la perception
de la qualité moyenne des automobiles vendues. Les vendeurs de voitures
d'occasion perçoivent une prime aux dépens des
13
Les innovations sont la résultante d'une recherche de
profits de monopoles temporaires et les institutions financières sont
importantes dans la mesure où elles évaluent et financent les
entrepreneurs dans leur activité d'innovation et dans leur apport de
produits nouveaux sur le marché.
14
Pour plus de précisions sur ces modèles, se
reporter à la communication de V. Seltz : « le rôle du
système financier dans le développement économique
».
offreurs de biens de qualité supérieure
à la qualité moyenne et qui progressivement seront
évincés du marché. Dans le cas extrême de ce
processus, «les mauvaises transactions, chassent les bonnes transactions
» et d'autres termes, «les mauvais projets, chassent les bons projets
» et conduisent à l'effondrement du marché.
Cette hypothèse
d'asymétrie d'information trouve toute sa justification dans
le marché du crédit, surtout par le fait que les bailleurs de
fonds n'ont qu'un droit de regard ex-post sur les résultats des
investissements réalisés par leurs clients grâce à
leur concours. Si nous nous situons de manière à priori, rien ne
permet à un bailleur de fonds d'opérer une distinction entre les
bons et mauvais emprunteurs. Par conséquent, de manière
générale, celui-ci propose un prix moyen des fonds
à l'ensemble des clients.
S'agissant du comportement des banques face à cette
situation d'asymétrie d'information qui a été
décrit par Stiglitz et Weiss [1981] 15, le problème
d'asymétrie d'information sur le marché du
crédit est à l'origine des phénomènes de
sélection adverse et d'incitations adverses. Lorsque le taux
d'intérêt augmente, les projets les moins risqués,
c'est-à-dire ceux ayant le plus de chance d'aboutir et de
supporter des charges accrues d'intérêt, voient leur
rentabilité espérée diminuer fortement. Les investisseurs
les moins risqués se retirent donc au plus vite du marché et il
y a entrée des investisseurs plus risqués insensibles
aux variations des taux (sélection adverse), tandis que les
investisseurs qui ne quittent pas le marché sont plus incités
à choisir des projets risqués (incitation adverse). Alors,
l'accroissement des taux va entraîner ainsi un accroissement de la
proportion des projets risqués dans le portefeuille de prêts
bancaires et une baisse de l'espérance de rentabilité des
banques. Cela accroît la fragilité bancaire et donc les risques de
faillite. Il existe donc un seuil maximum de taux d'intérêt qui
correspond à une meilleure diversification du portefeuille de
prêts des banques et à une rentabilité
espérée maximale. Du coup, au delà de ce seuil, il
y a une baisse de l'espérance de rentabilité du fait
de la détérioration de la qualité des emprunteurs. De plus
il faut noter que de plus en plus de projets ne sont pas rentable
au-delà d'un certain niveau de taux d'intérêt. Si le taux
d'intérêt se fixe au dessous de ce seuil maximum, toute
augmentation des taux fait augmenter le profit espéré des banques
(effet revenu>effet risque). Or on sait que la politique d'augmentation des
taux d'intérêt conduit aussi à une modification de la
configuration de la structure qualitative des groupes débiteurs. De
plus, les acteurs du marché du crédit sont donc sensibles aux
taux d'intérêt. Par conséquent, une hausse des taux
débiteurs est susceptible de conduire à la dégradation de
la situation de l'ensemble des acteurs du marché du crédit.
15 Voir en annexe les graphiques 1et 2
qui décrivent respectivement l'espérance de profit de
la banque en fonction du taux d'intérêt et du revenu
dégagé par un projet dans un modèle
de Stiglitz et Weiss.
Cependant, les banquiers ne sont pas des acteurs passifs dans
l'acte de crédit et l'explication du rationnement du crédit par
exclusion de certains candidats du crédit peut trouver leur explication
dans la stratégie bancaire de maximisation du profit. En effet, le
banquier est un preneur de risque qu'il essaye de minimiser en
réduisant les asymétries d'information, par
conséquent, cela nous conduit à nous interroger de savoir comment
les banques réussissent elles à réduire des
asymétries information afin de réduire le rationnement
du crédit. Avec l'asymétrie d'information, l'agent
(l'emprunteur) a des informations sur le niveau du risque de son projet et la
rentabilité de celui-ci que le principal ne dispose pas (le
préteur). L'agent est incité à profiter de cette avantage
informationnel pour mener des actions qui sont contraires aux
intérêts du principal et qui maximise son bien être. Dans le
cas de relation de prêts, l'emprunteur est incité à tricher
sur le niveau des résultats réalisés par son projet en
déclarant qu'ils sont faibles afin de ne pas payer les
intérêts. L'emprunteur est aussi incité à choisir
des projets risqués mais à forte rentabilité en cas de
succès parce qu'en cas de mauvais résultat, les pertes sont
subies par le prêteur. Comme nous l'avons déjà souligner
c'est ce qui engendre la sélection adverse (avant l'octroi du
prêt) car les agents sont plus incités à mentir pour
être sélectionnés pour l'octroi du prêt. Or on sait
que tout accroissement du risque de sélection adverse amène les
banques à être plus frileuses dans l'octroi du crédit. Du
coup l'impossibilité de discriminer les emprunteurs conduit au
rationnement du crédit.
Le second effet est l'aléa moral, se manifeste
après l'octroi du prêt, le principal est confronté à
cet aléa (hasard) si l'agent modifie les termes du contrat signé
exante en menant expost des actions qui ne vont pas dans l'intérêt
du principal. Il peut s'agit pour l'emprunteur de s'engager par exemple dans
des activités risquées qui réduisent la probabilité
du remboursement du prêt.
Toutefois, l'aléa moral ne saurait être
associé à l'asymétrie d'information dans la
mesure où, le prêteur peut bien être informé sur les
agissements de l'emprunteur, mais n'ayant pas les moyens
où s'il est coûteux d'empêcher l'emprunteur de nuire
à ses intérêts l'agent aura un comportement d'aléa
moral qui lui-même dépendra des procédures de faillite.
Les banques ne sont pas soumises au problème de free
rider16 parce que une seule banque peut participer toute seule
à l'octroi d'un crédit à un client. Elle peut alors
profiter pleinement des retombées de l'activité d'information et
de monitoring. De fait, cette activité d'inscrit dans un
16 Le problème de free-rider: la collecte
d'information sur la qualité des projets ou la surveillance des
emprunteurs sont un bien public; tout le monde en profite des effets
positifs (réduire le risque de sélection adverse et d'aléa
moral), il y a un problème de free-rider si certains agents
ne subissent pas les coûts de collecte d'information et de
monitoring et ils profitent de cet investissement.
cadre de bien privé. Ce qui permet à la banque
de disposer d'information confidentielle sur les entreprises. De plus les
banques sont plus aptes à entrer dans une relation de long terme avec
des entreprises en leur offrant tout une gamme de services afin de les
fidéliser (dépôts, assurance, moyens de
paiement, conseil, crédit, ligne de crédit....).Cette relation de
long terme réduit les asymétries d'information. Ainsi,
la banque connaît le passé du client et ce dernier n'a pas
intérêt à avoir un comportement d'aléa moral au prix
de perdre la confiance des banques ainsi que les services de celles-ci. Donc,
la détention des comptes clients fournir des informations sur la
rentabilité des activités des entreprises. Du coup, en cas de
problème ou d'aléa moral cela est visible sur le compte il s'agit
entre autres : de découvert, hausse des flux de liquidité etc.
Les banques peuvent aussi offrir une multiplicité de
contrats de crédit qui ne se différencient pas que par le taux
d'intérêt, mais aussi par d'autres caractéristiques telles
que le montant des garanties hypothécaires. Par ce
mécanisme, les banques permettent aux emprunteurs de
révéler leur type, les bons investisseurs accepterons
de donner plus de garanties parce qu'ils sont persuadés qu'il
y a une forte probabilité que leurs projets réussiront
et par conséquent récupérons leurs sûretés
tandis que les mauvais n'ont pas intérêt à
hypothéquer un montant élevé de garantie parce
qu'ils savent qu'il y a une forte chance de perte.
Dans les PED, la difficulté de collecte de
l'information sur la qualité des emprunteurs reste médiocre, car
beaucoup d'entreprises notamment les PME ne tiennent pas de comptabilité
et on a une réglementation laxiste etc.....Ce qui donne aux banques une
place importante dans le système financier. Dans ces
pays, le contrat de crédit bancaire permet de mieux
gérer les problèmes d'asymétrie d'information.
Néanmoins, des situations d'incertitudes et de manque de garantie de la
part des micro-entrepreneurs ne permettent pas aux banques d'élargir
l'offre de crédit c'est ce qui expliquerait le
désintéressement des banques classiques pour une telle
clientèle dans les PED et c'est justement pour combler à ce
besoin que les IMF ont supplées les banques classiques. En effet, le
contrat de crédit peut s'interprété de deux manière
soit le taux d'intérêt englobe tout, soit il n'est qu'une
composante avec d'autres éléments tels que la caution, les fonds
propres apportés par le souscripteur ce qui permettent de réduire
les défaillances de celui-ci en cas de perte pour la banque. Cette
réponse standard au problème d'asymétrie
d'information sur le marché de crédit consistant à avoir
recours à diverses formes de garanties ne constitue pas une
réponse possible en microfinance dans la mesure où les
micro-entrepreneurs ne disposent pas de ces garanties. D'où ce secteur a
dû développer toute une technologie de crédit
différentes contrats standards que nous présenterons par la
suite.
Donc, pour revenir au rationnement de crédit, le
red-lining terme utilisé par la littérature anglo-saxonne
correspond beaucoup plus à la réalité observée dans
les PED. Le red-lining consiste à écarter un groupe d'emprunteurs
du crédit, quelque soit le taux en vigueur car supposé
très risqué par la banque. Dans ce cas, le rationnement ne
s'explique pas en termes d'adéquation de l'offre et de la demande par
les quantités. C'est tout simplement un refus de prêter à
une catégorie d'emprunteur en l'occurrence ici les pauvres, même
si les banques disposent de suffisamment de ressources. Le red-lining
correspond exactement à ce qui se passe dans les PED.
Ainsi, le rationnement en vigueur dans les PED ne correspond
pas à celui décrit par le modèle de Stiglitz et Weiss
[1981] mais plutôt à du re-lining. En effet, les banques
africaines connaissent une situation de surliquidité du fait notamment
des dépôts à vue et des revenus des États
liés aux matières premières [Hugon, 2007]. Ce sont ces
différents problèmes d'asymétrie d'information,
source des imperfections de marché sur lesquelles repose la
théorie de la microfinance. Cette théorie considère
l'existence des intermédiaires financiers, en particuliers des
institutions de microfinance comme l'arrangement institutionnel optimal pour
surmonter ou résoudre les divers types
d'asymétrie d'informations.
Ainsi, partant de ce constat d'exclusion du
système bancaire d'une part importante de la population dans
les PED, la microfinance semble jouer un rôle important.