Troisième partie : analyse des articles de
presse
européenne
La question qui nous intéresse dans le cadre de cette
étude est de savoir quelle forme prennent les articles de presse ayant
pour sujet les spectacles de théâtre à l'affiche, et s'il
est possible d'en déduire la réception des pièces
présentées.
Nous avons choisi de nous limiter à la presse
écrite dans les quotidiens et les hebdomadaires ainsi que quelques
articles sur Internet dont les responsables nous ont assuré du contenu
tout à fait professionnel. Nous ne ferons pas de distinction tout au
long de l'analyse, utilisant le terme général de « presse
écrite ».
La presse écrite dispose de plusieurs techniques pour
présenter un événement théâtral : agendas,
présentations de spectacles, interviews des gens du métier,
dossiers de réflexion, critiques... Toutes ces formes intéressent
les institutions théâtrales qui considèrent comme essentiel
que l'information circule, peu importe comment. En ce qui concerne les
critiques, qu'elles soient positives ou négatives, c'est toujours mieux
que rien dans la course à la diffusion.
Pourtant, tous les événements
théâtraux ne jouissent pas de la même couverture
médiatique. Stéphane Debenedetti126 considère
qu'il existe un certain consensus, chez les journalistes, qui les pousse
à aller voir une pièce plutôt qu'une autre parmi la
pléthore de spectacles à l'affiche. Les pièces
subventionnées par la ville, la région, l'Etat, ou par l'Union
européenne jouissent généralement d'une plus large
médiatisation que les troupes d'avant-garde ou débutantes. Etant
donné que la presse est soumise aux lois de rentabilité et du
lectorat, le choix des journalistes s'oriente généralement vers
des productions « valeurs sûres » consacrées. La
notoriété d'un auteur, acteur ou metteur en scène ou de
l'institution est également tributaire de cette visibilité. Il
faut souligner que l'adéquation d'un spectacle aux goûts
esthétiques et philosophiques du moment drainera facilement des subsides
et les articles de presse. La boucle est bouclée.
Avant d'aborder l'analyse du contenu des articles, nous avons
jugé opportun de rappeler au lecteur quelques éléments
concernant l'évolution de l'article de théâtre dans la
presse écrite. Nous nommons cette section «
l'évolution de la critique dramatique », car il nous semble
qu'à l'heure actuelle, la profusion d'articles d'information n'est
qu'une étape de l'évolution de la presse dont l'éthique
journalistique est aujourd'hui basée sur l'information objective. Aussi,
laissons-nous le soin au lecteur de se forger sa propre opinion.
3.1. La critique dramatique : évolution
Comme d'une manière générale, les pays du
continent européen ont suivi une évolution parallèle et
des influences convergentes tout en les intégrant à leurs
spécificités nationales, nous estimons que la critique s'y est
développée de manière équivalente. Il est
généralement admis que le critique est celui qui est apte
à juger des ouvrages de l'esprit. Dans le cas précis qui nous
occupe, nous verrons de quelle manière son jugement s'applique à
l'art théâtral.
Nous devons évidemment nous référer à
l'histoire du théâtre pour envisager la suite de transformations
du « métier » de critique.
Nous retenons que lorsque le théâtre se limitait
à des représentations religieuses, il ne pouvait s'agir de le
critiquer sous peine de se voir accuser de blasphème. Bien sûr, on
ne peut l'oublier, tout a commencé avec l'antique théâtre
grec et son culte à Dionysos. Mais la société
évolue et avec elle, le théâtre. En passant par le
théâtre profane et populaire lorsqu'acteurs et spectateurs se
confondaient dans de véritables fêtes, il était bien mal
aisé de juger. Cependant comme le pense Jacques Brenner127,
le simple fait de parler d'une pièce constituait déjà un
jugement, une information, une promotion, une critique. Il a fallu attendre que
le théâtre soit installé dans un lieu qui lui soit
réservé, que « peu à peu le public se distingue de la
foule » pour parler d'un discours critique. Nous sommes au XVIème
siècle, à la Renaissance, et avec la redécouverte des
oeuvres antiques, apparaissent aussi les théoriciens de
l'art.128 Comme l'explique encore Maurice Descotes : « C'est la
progressive constitution d'un auditoire homogène, possédant son
code et ses valeurs morales, intellectuelles et artistiques, qui va rendre
possible l'exercice d'une critique dramatique qui,
127BRENNER, Jacques: Les critiques
dramatiques, le procès des juges, Editions Flammarion,
France, 1970, p 9
128 L'art poétique d'Horace, De arte
grammatica de Diomède, De tragaedia et comaedia de Donat,
La poétique d'Aristote. Références
citées par DESCOTES, Maurice: Histoire de la critique dramatique en
France, Editions Jean- Michel Place, Paris, 1980.p 13.
A partir du XVIIème siècle, se multiplient les
correspondances, lettres ouvertes et critiques. En France, nous pouvons
évoquer la querelle du Cid, la guerre du comique131.
Simultanément, l'esprit commence à s'émanciper de la
religion, suite notamment au courant humaniste et au cartésianisme de
Descartes. En outre, le théâtre se différencie de plus en
plus nettement du culte et devient petit à petit une véritable
pratique sociale. Il faut encore attendre le XIXème siècle, pour
que nous entrions véritablement, en Europe, dans l'âge de la
presse écrite. Ainsi, la critique dramatique voit le jour au sens
d'article de jugement sur un spectacle théâtral publié dans
un journal. Il faut préciser qu' à cette époque, la presse
était essentiellement une presse d'opinion. À l'heure actuelle,
nous vivons à l'ère de la presse d'information, ce qui influence
également la manière dont les critiques rédigent leurs
articles.
Les premiers critères véritablement reconnus
remontent au XVIIème siècle lorsque le théâtre est
caractérisé, un peu partout, par des règles strictes comme
celle des trois unités : de temps, de lieu et d'action, ainsi que la
nécessité de vraisemblance et la bienséance. Nous nous
permettons de penser que la situation était la même dans de
nombreux pays d'Europe, étant donné le prestige et le rayonnement
de la civilisation française à cette époque. Comme en
témoigne R. Fayolle, en se basant sur l'usage et le bon goût
reconnus dans les spectacles, le critique prend le rôle d'un juge
esthétique. Il se donne pour tâche de relever les fautes commises
contre les règles, que ce soit pour la tragédie ou la
comédie. 132
Les oeuvres qui rompaient avec ces normes dramatiques
étaient dès lors largement critiquées. Certains critiques
essaient cependant de montrer que nombre de démarches
théâtrales sont innovantes et partant, très riches.
129 Ibid.
130 Ibid.
131 Ces deux exemples sont issus de l'ouvrage de Jacques Brenner.
Op. Cit. pp 48- 65.
132 FAYOLLE, Roger : la Critique. Editions A. Colin,
Collection «U», 1964, p 35.
Parallèlement, l'art théâtral se
popularise, touche un nouveau public, se développe et doit par
conséquent faire face à la concurrence. Le rôle du critique
s'affirme ainsi au XIXème siècle, au moment même où
on assiste en Europe à la naissance d'une véritable presse, toute
disposée à accueillir les articles culturels rendus
indispensables devant l'offre théâtrale grandissante. Logiquement,
le théâtre cherche d'autres options esthétiques :
réalisme, naturalisme, symbolisme... engendrant un éclatement de
la doctrine et emportant ainsi ce que Jean Duvignaud nomme « le confort
intellectuel du critique »133 . Dans ce foisonnement et cette
diversification de spectacles, le rôle du critique est à son
comble. En effet, le lecteur s'identifie avec tel ou tel critique car il
considère que ses goûts sont proches des siens. Cependant, vers la
fin du XIXème siècle, la presse d'opinion est petit à
petit dépassée par la presse d'information, qui s'affirme
véritablement au début du XXème siècle. A cause des
bouleversements que la première guerre a engendrés dans les
mentalités, les valeurs de référence et en
conséquence, le milieu théâtral évoluent : les
artistes qui rejettent tout, proposent des choses étonnantes. C'est
l'heure de gloire des avant-gardistes : dadaïstes, surréalistes...
.Chaque création est différente de tout ce que l'on avait vu
auparavant tant du point de vue du texte, que de la scénographie ou du
jeu des acteurs.... Quelques critiques se sont montrés suffisamment
ouverts pour découvrir et faire connaître ces artistes novateurs
dans le champ culturel du XXème siècle. Comme elle avait
déjà dû le faire au XIXème siècle, la
critique a dû une nouvelle fois s'adapter au théâtre et
trouver de nouveaux critères de jugement. Deux données sont
essentielles à cette époque : tout d'abord, la découverte
d'oeuvres étrangères : les troupes de théâtre
partent en tournée en Europe. Elles vont jouer dans d'autres pays et
invitent des étrangers à venir chez eux ; ensuite, le critique se
pose des questions quant à l'émergence du metteur en scène
en tant qu'artiste.
De nos jours, il est devenu très difficile que le
critique ne donne son avis en fonction de son goût personnel. Pas de
grille d'évaluation, peu de formation en école. Dans ces
conditions, le critique favorise également l'émotion. D'aucuns
prétendent que l'originalité est le critère des nouveaux
critiques.
Ce changement de cap se reflète dans les articles
« critiques » qui, rédigés à la hâte, pour
respecter les impératifs éditoriaux, se contentent de
présenter quelques impressions sommaires au détriment d'une
véritable analyse en profondeur. On pourrait conclure avec Dominique
Mathieu que dans la presse écrite, nous pouvons constater « la
collusion entre le
rédactionnel et le promotionnel, l'uniformisation de
l'information, le manque de presse d'opinion, l'accent mis sur
l'événementiel... »134.
Les pièces que nous analyserons dans la
troisième partie de ce travail ont vu le jour à
l'intérieur du réseau de la CTE. Learning Europa et
Gurs, une tragédie européenne ont été
créées dans le cadre du programme « Théâtre en
Europe : miroir des populations déplacées »,
subventionnées par le programme Culture 2000.
Avant de nous plonger dans l'analyse des articles de presse
à propos des deux pièces, nous avons jugé
intéressant de rendre compte de la visibilité de la CTE dans les
médias.
|