A l'échelle européenne, si les premières
exigences de marges de solvabilité remontent aux directives de 1973 pour
l'assurance non-vie, et de 1979 pour l'assurance vie, dès 1997, le
rapport Müller préconisait des modifications de ces directives.
Ainsi, le projet de Directive Solvency I visait à renforcer la
protection des assurés par un relèvement de la marge de
solvabilité -c'est-à-dire la réserve de capital
supplémentaire que les institutions d'assurance doivent détenir
pour pouvoir faire face à des événements inattendus-
obligatoire des entreprises d'assurance vie et non-vie soumises à la
surveillance de l'autorité. Le relèvement du seuil de garantie
minimum risquait cependant de peser davantage sur les petites
sociétés.
La problématique d'une révision plus radicale
des règles de solvabilité n'est qu'une conséquence de
cette remarque. En effet, l'intensification de la concurrence et les
transformations du secteur accentuent les tensions qui s'exercent sur les
entreprises d'assurance et justifient que l'on renforce le contrôle
prudentiel, afin d'offrir une protection toujours satisfaisante aux
assurés.
Les mesures prudentielles doivent constituer à la fois
un contrôle mais aussi une assistance vis-à-vis des assureurs. En
effet, Solvency I laisse une large marge de manoeuvre aux organismes de
supervisions nationaux qui peuvent compléter les exigences à leur
discrétion, puisque ces dernières sont minimales. Elle
tolère les ajouts de normes supplémentaires, les
possibilités de dérogations. De plus les exigences de
solvabilité sont calculées sur la base de leurs valeurs
comptables alors qu'on connaît les multiples limites de ces
méthodes comptables, bien qu'il existe une harmonisation des normes
comptables (IFRS).
Solvency II, comme la Directive CRD pour les banques
(transposition de Bâle II en droit européen), repose sur trois
"piliers". Le premier pilier s'intéresse aux exigences
quantitatives (les provisions techniques et les fonds propres (Minimum de
Capital Requis -MCR et Capital Souhaité ou Cible-SCR)) qui deviendront
des seuils réglementaires. Le deuxième pilier a pour
objectif de fixer des normes qualitatives de suivi des risques en interne aux
sociétés et de définir comment l'autorité de
contrôle doit exercer ses pouvoirs de surveillance dans ce contexte.
Enfin, le troisième pilier synthétise l'ensemble des
informations détaillées que les autorités de
contrôle jugent nécessaires pour exercer leur pouvoir de
surveillance.
Solvabilité II : Impact de l'utilisation
d'un modèle interne sur la valorisation du bilan
en
assurance.
Ces deux projets visent une meilleure couverture des
véritables risques d'une compagnie d'assurance. La différence
majeure entre Solvency I et Solvency II réside dans le fait que la marge
de solvabilité sera dépendante du niveau de risque de la
société.
A l'instar des autres pays ayant déjà
opté pour des dispositions similaires (Royaume-Uni, Suisse,
Australie...), la façon dont le risque va être pris en compte
devra dépendre des spécifications et calibrage retenus. Bien que
les modalités de calcul exactes du MCR et du SCR ne soient pas encore
adoptées, il apparaît clairement que le SCR devrait devenir
l'outil principal des autorités de contrôle. En effet, le SCR est
le seul à être basé sur l'exposition aux risques, en
incorporant tous les risques liés à l'activité de la
compagnie, c'est-à-dire principalement : le risque de souscription, le
risque de crédit, le risque opérationnel, le risque de
liquidité et le risque de marché. Une compagnie qui ne serait pas
en mesure de démontrer que son niveau de fonds propres est suffisant
pour couvrir ces risques devra soumettre à son autorité de
contrôle pour approbation un plan précisant comment et quand elle
pourra concrètement respecter ces critères. Si l'on s'en tient
à la législation du Royaume-Uni (Individual Capital
Assessment) aussi bien qu'à celle de d'autres pays1,
elle spécifie que le capital doit être suffisant pour pouvoir
couvrir ces risques avec une probabilité de 99,5% sur une année
ou un niveau inférieur sur un horizon plus lointain selon le type
d'affaires souscrites par la société.
L'ensemble des dispositions2 restant à
définir, Guibert et Dénis (2006), se sont interrogés sur
la structure des éléments qui devront composer cette nouvelle
directive et son impact sur la forme de gestion interne des
sociétés d'assurances. Ils se sont intéressés aussi
bien à la dimension quantitative qu'aux autres enjeux sur le
contrôle prudentiel (valeur comptable par opposition à valeur de
marché). Plusieurs études d'impacts (Quantitative Impact
Studies-QIS) ont été lancées parallèlement à
des lettres de consultations (Consultation Paper-CP) afin de spécifier
et de calibrer les différents modèles de gestion aussi bien
internes qu'externes. Ces études d'impact émanant des instances
européennes sont des questionnaires adressés aux entreprises
d'assurance. Trois d'entre elles sont déjà
réalisées et les entreprises d'assurances se livrent actuellement
à la quatrième étude.
1 Swiss Solvency Test en Suisse ou
Traffic Light System en Suède, ...etc.
2 Date définitive de spécification et
de calibrage des formules : Octobre 2009
- 5 -
Réalisé par : Aristide K.
VIGNIKIN
Solvabilité II : Impact de l'utilisation
d'un modèle interne sur la valorisation du bilan
en
assurance.
Au vu de ces différentes études, une des
questions fondamentales est de savoir quelle est la formule de
détermination des exigences quantitatives à retenir. Deux
approches sont encore discutées : (1) la formule standard, basée
sur le principe du Risk-Based Capital, qui consiste à traduire chacun
des « risques » de l'assureur par une exigence de capital et dont la
somme amène à une exigence unique d'un capital minimum ; et (2)
les modèles internes qui sont pour un gestionnaire d'assurance un outil
de simulation qui vise à anticiper la réalisation
d'événements futurs et leurs impacts, en particulier sur la
solvabilité de sa compagnie (modèle de risque de ruine ou test de
résistance). La formule standard est-elle adaptée ou doit-on
recourir à l'utilisation d'un modèle interne dans le calcul des
différentes exigences ?
Deux niveaux d'exigences sont alors définis pour le
passif : (1) les exigences du provisionnement calculées avec une marge
de prudence dans les provisions et autres engagements, (2) ainsi que celles du
capital qui imposent deux seuils de capitaux (MCR et le SCR définis plus
haut). D'autre part, Serant (2006) a étudié la possibilité
de prendre en compte une marge de prudence dans le calcul des provisions. En
effet, revenant sur les spécifications techniques des études
quantitatives d'impact, il s'est demandé le sens que pourrait avoir une
marge de prudence3 alors que le capital minimal requis est
lui-même censé couvrir les risques d'insuffisance de
provisionnement dans des scénarios extrêmes. Il rappelle qu'une
marge de prudence n'est requise que pour les risques non «
couvrables » (non-hedgeable risks), c'est-à-dire ceux
faisant l'objet d'une valorisation sur un marché organisé et qui,
par définition, devra permettre d'atteindre un niveau de provisionnement
correspondant à un quantile (75e percentile) de la
distribution de la valeur actuelle des prestations futures
générées4. En fait, la question centrale
était d'identifier l'approche de valorisation associable à un
instrument non coté. Puisque le passif d'assurance est très
rarement composé de risques faisant tous l'objet d'une valorisation sur
un marché organisé, il confirme l'alternative à la
méthode par quantile avancée par les assureurs ; celle de la
méthode du coût du capital qui évite la plupart des
problématiques identifiées sur la méthode par quantile et
qui propose une cohérence avec la notion de juste valeur d'un contrat au
sens des normes de références (International Financial Reporting
Standard-IFRS). Le problème de l'évaluation du capital
posé par cette approche5 et la solution pratique mise en
place dans le cadre du Swiss Solvency test lui semble tout à
fait pertinente : calcul du capital retenu pour le coût du capital en
supposant un provisionnement limité au niveau
3 C'est la réserve que les institutions d'assurance
doivent détenir pour pouvoir faire face à aux risques de
provisionnement ou encore la rémunération du risque que prend
l'acquéreur éventuel du portefeuille (droits et obligations
contractuels)
4 Selon les intentions du CEIOPS à travers les
spécifications de ses QIS.
5 Capital nécessaire pour évaluer les
passifs dont l'évaluation sera utilisée pour l'évaluation
du capital (tel un cercle vicieux)
- 6 -
Réalisé par : Aristide K.
VIGNIKIN
Solvabilité II : Impact de l'utilisation
d'un modèle interne sur la valorisation du bilan
en
assurance.
du best-estimate6. Mais il propose
l'utilisation des données de marché basées sur un
portefeuille pleinement diversifié pour son évaluation et non pas
des données spécifiques à l'entreprise ; cela permettant
de pallier l'éventualité de la cession d'un portefeuille
d'assurance, toutes choses égales par ailleurs.
Il montre ensuite que l'utilisation de modèle interne
dans la détermination des exigences quantitatives devra être une
norme minimale que le régulateur devra imposer. En effet, il part (1) du
fait que dans certains pays, il existe un système de
rémunération discrétionnaire assise sur les produits
financiers de l'année, ce qui nécessite une valorisation
market consistent pour la couverture de risques financiers et (2) que
l'estimation du kc-facteur - facteur d'absorption des pertes futures
par les participations bénéficiaires futures en assurance vie -,
fonction de divers paramètres (environnement commercial, niveau des taux
minimums garantis...) implique l'utilisation d'un modèle interne. Il
montre que la complexité de l'exercice de Solvency II impose de recourir
aux modèles internes dans la détermination des exigences
quantitatives.
Utilisant l'étude quantitative réalisée
par B&W Deloitte en Assurance vie sur
l' « entreprise France » (entreprise fictive
représentant l'ensemble du secteur vie en France), il montre par exemple
une baisse considérable du ratio de couverture (qui passe de 133
à 108) du simple fait de l'utilisation d'un modèle interne. Il
explique cela par le fait d'une meilleure prise en compte de risques largement
ignorés par les réglementations précédentes.
Il faut cependant noter qu'au cours de la période
pendant laquelle Serrant (2006) faisait son étude, on était
encore à la deuxième étude quantitative d'impact (QIS 2),
et que dans la QIS 3 beaucoup d'améliorations ont été
apportées, notamment les paramètres d'atténuation des
risques qui ne sont plus calculés suivant les mêmes
méthodes pour le SCR et le MCR dans QIS 3. En effet, les MCR
négatifs obtenus pour plusieurs assureurs vie-mixtes dans QIS 2 ont
été à la base de cette modification. Donc dans QIS 3,
l'approche modulaire pour le calcul du KC-factor dans le SCR selon la
procédure « bottom up » est maintenue, mais elle n'est plus
reprise pour le calcul du RPS (Reduction for Profit Sharing7) dans
le MCR. Le RPS est unique pour tous les risques et vient réduire le MCR
final de la somme de toutes les participations bénéficiaires
futures. Le nouveau MCR semble tenir compte de la complexité de
l'exercice que soulignait Serrant (2006).
6 Méthode optimale de détermination des
provisions techniques dans le passif d'un bilan : c'est la valeur actuelle
probable des flux de trésoreries futurs déterminée
à partir de la courbe pertinente des taux sans risque.
7 Mécanisme de réduction des risques
à travers la prise en compte de la participation aux
bénéfices futurs.
- 7 -
Réalisé par : Aristide K.
VIGNIKIN
Solvabilité II : Impact de l'utilisation
d'un modèle interne sur la valorisation du bilan
en
assurance.
Le but de Solvency II sera d'amener les acteurs du secteur de
l'assurance à immobiliser un capital minimum permettant de couvrir dans
99,5 % des cas une survie de leur société, mais la
détermination de ce niveau de capital ne devrait pas dépendre de
l'approche calculatoire. Et même dans un objectif visant à
harmoniser des approches de détermination, bien qu'une
modélisation interne soit préférable à une formule
standard, ne devrait-on pas tenir compte du secteur d'activité, à
savoir vie ou non vie ? En d'autres termes, compte tenu des
spécificités de chacun de ces secteurs, l'utilisation d'un
modèle interne n'est-elle pas plus pertinente en assurance vie qu'en
assurance non vie ?
Nous supposons que l'utilisation d'une approche donnée
pour la détermination des exigences de solvabilité devrait
être fonction du type ou du secteur d'activité. Nous nous
intéresserons dans le cadre de cette étude, à l'assurance
directe, en nous basant sur la note de synthèse de l'acte
préparatoire II de la 412ème session
plénière du Comité Economique et Social
Européen8, qui précise que le secteur de la
réassurance est bien réglementé et qu'il se porte bien,
s'agissant de la réassurance simple (vie et non-vie) ou des captives de
réassurance9. Nous utiliserons comme critère de
comparaison l'évolution relative des règles de solvabilité
: provisions suffisantes et couverture objective et non aléatoire des
engagements. Le ratio de couverture de marge brute prend en compte ces
éléments.
Nous commençons le premier chapitre, par une
présentation des deux référentiels de solvabilités
en montrant les avantages et insuffisances de chacun d'entre eux et nous
finirons par une synthèse comparative. Le deuxième chapitre
traite des approches calculatoires des exigences de marges, notamment le SCR :
comme au premier chapitre, nous en ferons une analyse comparative. Quant au
troisième chapitre, il montre la pertinence du choix de l'approche
calculatoire selon le secteur d'activité ; c'est le moment pour nous de
montrer que l'utilisation d'un modèle est plus pertinente en assurance
vie qu'en assurance non-vie. A l'aide du dernier chapitre, nous validons cette
hypothèse. Par ailleurs, ce dernier chapitre donne l'occasion à
une discussion avec d'autres résultats.
8 412ème session
plénière des 27 et 28 octobre 2004
9 Une captive de réassurance est une
entreprise de réassurance détenue par une entreprise ou un groupe
d'entreprises qui n'exercent pas leurs activités en tant qu'assureurs
directs ou réassureurs. La mission d'une captive se limite à la
fourniture de produits de réassurance couvrant les risques de
l'entreprise ou du groupe d'entreprises dont elle fait partie.
- 8 -
Réalisé par : Aristide K.
VIGNIKIN
Solvabilité II : Impact de l'utilisation
d'un modèle interne sur la valorisation du bilan
en
assurance.