2. Expatrier ou recruter au niveau local
L'internationalisation des entreprises a eu pour effet
d'élargir le domaine de compétences et d'action de la direction
des ressources humaines. Les différences culturelles dans les
marchés étrangers font que l'entreprise, les recruteurs ne
peuvent plus se contenter de raisonner localement, ils doivent aussi prendre en
compte toutes les unités d'implantation des filiales. Il en va ainsi en
ce qui concerne le recrutement des collaborateurs, leur expatriation dans les
filiales étrangères ou encore la politique de formation, qu'il
faut adapter au contexte international.
Pour franchir encore une fois la barrière culturelle
entre les pays, les directeurs des ressources humaines se basent sur la
question du recrutement interne ou externe. La problématique du
recrutement à l'international est d'autant plus complexe que les
pratiques sont variées.
Le recrutement international est le fait de recruter une
personne dans le pays d'origine de l'entreprise pour l'envoyer travailler dans
une filiale étrangère, ce qui s'apparente à
l'expatriation. Le directeur des ressources humaines opère un arbitrage
entre le recrutement interne et le recrutement externe. Le recrutement interne
consiste à recruter un cadre de l'entreprise que l'on va expatrier. Le
recrutement externe peut revêtir deux formes : il s'agit soit de recruter
une personne du siége spécialement pour être
expatrié, soit de recruter une personne dans le pays
d'implantation. Dans les deux premier cas, il s'agit de personnes
expatriées, c'est-à-dire des personnes qui quittent
temporairement l'entreprise de son pays d'origine pour une affectation dans un
pays étranger avec une forte perspective de retour.
Le recrutement à international possède des
spécificités qu'une entreprise s doit de connaître.
L'entreprise doit définir clairement ce qu'elle veut réaliser
dans le pays d'implantation et avec quels moyens, avant même de lancer le
processus de recrutement.
Pour un recrutement interne, les qualités du candidat
devront être ceux, classiques, d'adaptabilité, de capacité
d'intégration, d'autonomie, d'esprit d'équipe et d'initiative, de
disponibilité, de rigueur, d'ouverture d'esprit, etc. Mais surtout la
maîtrise de la langue du pays ou au minimum l'Anglais, et sur des
préoccupations comme la nourriture ou le mode vie qui varie d'u pays
à un autre. L'avantage du cadre recruté à
l'intérieur de l'entreprise est qu'il la connaissance de la
société et une crédibilité auprès de sa
hiérarchie. Lorsque l'entreprise choisit de recruter directement
à l'étranger, il faudrait les candidats retenus
s'imprègnent de la culture de l'entreprise pour avoir un minimum de
connaissance de la maison mère.
Tableau comparatif entre recrutement direct et
indirect
|
|
Avantages
|
Inconvénients
|
Recrutement
|
|
Connaissance de
|
|
Choix de
|
interne
|
|
l'entreprise (culture, produits, techniques
|
|
candidats plus restreint en
|
|
|
Connaissance du
|
|
interne
|
|
|
candidat
appartenant à l'entreprise
|
|
Analyse des critères spécifiques à
|
|
|
Nouvelle voie pour la bourse de
l'emploi interne
|
|
l'international, en particulier celle de l'environnement
familial
|
Recrutement
|
|
Pour les entreprises
|
|
Connaissance
|
externe
|
|
n'ayant pas de vivier interne de candidats
expatriables
|
|
moins
immédiate de la société par le candidat,
temps
|
|
|
Mise en concurrence
|
|
d'adaptation
|
|
|
de candidats internes et externes
|
|
Compétences, savoir-faire et
|
Regard neuf et loyauté du
dynamique porté candidat
par un candidat méconnus par
externe l'entreprise
La notion de recrutement international est beaucoup plus large
que le recrutement interne ou externe. La mondialisation a changé la
donne. Si au début des années 80, la mode était surtout
à l'expatriation, l'internationalisation a permis de multiplier les
pratiques de recrutement international. Chaque entreprise adopte la
stratégie la mieux adaptée à sa structure
organisationnelle.
La tendance est de recruter au niveau local pour être au
plus près des consommateurs, les managers locaux appartenant à la
culture locale. Le coût de l'expatriation est également un facteur
qui freine le recours l'expatriation. En plus les résultats attendus ne
sont pas toujours au rendez- vous du fait des difficultés
rencontrés par les expatriés (choque culturel, éducation
des enfants, intégration et réintégration au retour). Les
entreprises tentent de limiter l'expatriation en faisant recours aux ressources
locales. Il s'agit là d'une démarche managériale entre
« contrôle et subsidiarité ». Les entreprises qui
s'internationalisent vers des pays proches culturellement ou historiquement,
comme France Télécom en Afrique, ont appris à
éviter une approche « coloniale » de l'internationalisation et
cherchent d'abord à s'intégrer dans l'univers économique,
culturel et social du pays d'accueil, à être proches des clients
et des partenaires locaux qui se sentiront mieux compris par des
salariés et des managers locaux.
Recruter des managers locaux est devenu un objectif en soi.
Cependant, le choix d'accorder sa confiance aux managers locaux ne correspond
pas systématiquement à une logique de baisse des coûts.
Si la culture influe sur le choix et le recrutement des
ressources humaines, elle a impact non négligeable sur la
négociation.
II. L'impact de la culture dans la
négociation
internationale
La question de la culture revient à toutes les
étapes de l'internationalisation de l'entreprise, tant la dimension
culturelle est incontournable. La culture définit les valeurs, les
comportements d'un peuple. Ces valeurs et ces comportements surgissent dans la
négociation. Il est donc crucial de connaître la culture des
collaborateurs étrangers avec qui on travaille. Il faut savoir
interpréter les comportements et même les gestes. Ceci passe
par
une compréhension des usages et des codes culturels qui
régissent la vie quotidienne d'un pays. Pour une négociation
réussie avec des collaborateurs étrangers, il faut savoir et
accepter que les systèmes de références ne sont pas les
mêmes dans tous les pays et qu'il faut prendre la peine et le temps de
les comprendre. Ce qui n'est pas offensant et humiliant dans notre culture peut
l'être sans aucune évidence dans une culture. Le
phénomène de « saving/losing face[10] » est
très manifeste dans les cultures asiatiques. Il importe pour le
négociateur de cerner les points sensibles pour l'autre partie. En plus
de la culture dans son sens habituel, il faut également apprendre
à connaître la « business culture » des pays avec qui
l'entreprise souhaite faire des affaires. Le « guanxi chinois
»[11] est l'exemple le plus parlant dans les « business culture
».
Exemple[12]
Alors que les Saoudiens, le fait de regarder droit dans
les yeux son partenaire traduit l'instauration d'un contrat direct et
continuel, il en va de la même façon dans d'autres cultures.
Ainsi, si les Anglo-Saxons regardent dans les yeux leurs interlocuteurs, ils
peuvent être gênés par l'instance d'un regard qu'ils jugent
trop intimistes dans le cadre de relations formelles. Inversement, nombre de
cultures africaines évitent le contact visuel en guise de respect. Les
américains et les canadiens peuvent interpréter ce geste comme un
signe de fourberie ou de malhonnêteté.
Il importe donc que les négociateurs apprennent
à comprendre les pratiques, les comportements et les langages des
cultures des collaborateurs pour améliorer leur sensibilité
culturelle et éviter de heurter la sensibilité culturelle de
collaborateurs étrangers.
Exemple[13]
Dans certains pays scandinaves et en Asie du sud-est, il
est d'usage d'écouter patiemment son interlocuteur, sans l'interrompre.
Ce comportement est considéré dans ces pays comme une marque
d'attention et de respect à l'égard de l'autre personne.
D'ailleurs, ces cultures accordent de la valeur au silence et aux pauses qui
permettent aux individus de mieux comprendre et intégrer les messages.
Les codes de communication américains sont de ce point de vue
très différents et peuvent entraîner de réelles
incompréhensions dans le cadre de réunions internationales. En
effet, les négociateurs américains auront tendance à
intervenir fréquemment dans la discussion, en cherchant à
accélérer le rythme des négociations, créant par
là même un sentiment de frustration et de rancoeur chez l'autre
partie.
1. Les caractéristiques et les enjeux de la
négociation internationale
La négociation commerciale internationale est une
situation dans laquelle les parties sont confrontées à des
divergences et des interdépendances. L'objectif premier de la
négociation est donc de trouver un terrain d'entente mutuellement
acceptable pour les parties. Aucune partie ne doit se sentir léser
d'où la nécessité de trouver une situation gagnant-gagnant
qui permettrait une collaboration fructueuse et durable. Il faut comprendre par
là que la situation gagnant-perdant est à éviter à
tout prix dans les négociations commerciales puisqu'elle favorise des
situations de frustration inconfortable pour la partie qui s'est sentie
léser. Afin de parvenir à un accord commercial favorable et
avantageux pour toutes les parties il convient d'étudier et de
comprendre les caractéristiques et les enjeux des relations commerciales
qui lient les parties. Cette étude permettra d'identifier les facteurs
de succès et d'échec de la négociation internationale.
Lambin 1998 identifie six éléments qui interviennent dans la
négociation internationale :
1) Le face-à-face : Il peut
être soit direct confrontant physiquement les parties ou indirect
impliquant des moyens de communication à distance. Dans tous les cas des
modalités de communication variées (verbales, écrites,
formelles, etc.) sont utilisées par les parties. Lors des
négociations face à face, les parties échanges, utilisent
des rites et des procédures qui sont fortement influencés par la
culture et par conséquent peuvent être différents d'une
culture à une autre. Les codes culturels et les usages commerciaux
étant différents d'un pays à un autre, (même s'il
existe une tendance à l'établissement d'un code standard des
usages commerciaux) les négociateurs internationaux doivent être
conscients de l'impact de la culture dans les relations commerciales
internationales. Si en chine et pour les chinois il est coutume d'accorder des
faveurs à ses collaborateurs ou futurs collaborateurs dans le but
d'établir des relations qui faciliteront les affaires, les cultures
occidentales considèrent cela comme une corruption et une pratique
déloyale. Le guanxi chinois et les pots de vins sont des pratiques
commerciales qui peuvent prêter à confusion et heurter la
sensibilité culturelle de la partie dont la « culture awareness
[14]» n'est pas très développée.
2) La perception d'un avantage réciproque
à contracter avec l'autre: dés lors que
les parties consentent à entamer une négociation, cela suppose
que chaque partie y voit son intérêt et espère en sortir
gagnante. Ceci traduit la situation gagnant-gagnant qui est l'essence
même de la négociation.
3) L'existence d'un conflit
d'intérêt entre les parties: quand
l'acheteur veut acheter à un prix relativement bas, alors que le vendeur
souhaite vendre ses produits à prix relativement élevé, il
y a conflit d'intérêt. C'est justement pour trouver une solution
à ce conflit qu'ils s'engagent à négocier.
4) La volonté de parvenir à une
solution mutuellement acceptable: cet engagement
à négocier laisse sous-entendre que chaque partie est prête
à faire des concessions pour trouver une solution gagnant-gagnant.
5) L'enclenchement d'un processus d'engagement
réciproque pour recherche un arrangement: les
concessions que chaque partie et prête à faire est fonction des
concessions que l'autre partie est prête à faire, ce qui se
traduit par une relation d'interdépendance entre les parties.
6) La mise en place d'un système
d'échanges et de mobilisation de ressources entre les
parties: pour parvenir à cet accord mutuel les
parties doivent s'investir aussi bien en ressources financière, humaine,
technique et logistique en vue d'honorer leur engagement à
négocier. La réussite de l'opération de négociation
internationale repose alors sur des points sur lesquels les interactions des
parties vont opérer.
2. Les facteurs de succès à la
négociation internationale
La négociation internationale est
caractérisée par des particularités des points sensibles
qui doivent attirer l'attention du négociateur international. Seule une
préparation soigneuse et une ouverture d'esprit qui éloigne tout
sentiment de supériorité de sa propre culture (culture biais),
permet au négociateur international de réussir cette tâche
complexe et difficile.
La préparation doit être rigoureuse sur le
contenu. Les objectifs doivent être fixés de façon clairs
et sans ambiguïté. Ils doivent être classés par ordre
de priorité pour faciliter de déroulement de la
négociation. Des objectifs bien définis, classés de
façon claire par ordre de priorité permettent au
négociateur de décider sur quels points céder et pas sur
d'autres. De ce fait, la positon du négociateur sera claire et ne sera
pas facilement influencée par celle de l'autre partie.
Alors qu'elle doit être rigoureuse sur le contenu, la
préparation doit être fine et approfondie sur les aspects
juridiques, économiques et relationnels. Le négociateur
international ne doit pas négliger ni n'ignorer aucun de ces aspects.
Une bonne connaissance du milieu des affaires et des pratiques coutumiers et
commerciales du pays de son collaborateur passe nécessairement par des
recherches sur le pays concerné dans la préparation de la
négociation.
3. L'approche de la dimension culturelle dans la
négociation internationale
Dans la pratique du commerce international, les situations de
négociations se multiplient davantage comme la vitesse de la concurrence
s'accélère. Bien se préparer pour la négociation
internationale devient alors une question de survie pour l'entreprise
internationale. Il convient alors de se poser et répondre un certain
nombre de questions. Dans quelles circonstances la culture nationale
devient-elle une variable explicative du processus de négociation ?
Comment décrire et comprendre son influence réelle ? Quelles sont
les conséquences de cette alchimie complexe ? Nous allons essayer de
répondre à ces questions en vue d'améliorer la
compréhension du phénomène de négociation
internationale, mais aussi de gagner en efficacité dans la conduite
même des négociations.
La mondialisation a vu l'ouverture des frontières qui a
favorisé l'approchement des populations grâce au raccourcissement
des distances rendu possible par le développement des nouvelles
technologies de l'information et de la communication. Ces échanges
multiples entre les nations se font dans la plupart du temps dans un
environnement interculturel. C'est la rencontre des cultures. Une
négociation intelligible ne serait alors impossible sans
appréhender le sens que les acteurs accordent à leurs
activités et saisir leurs perceptions de la situation et d'autrui.
Pour bien comprendre les événements qui
interviennent dans une négociation, il convient d'être ouvert
d'esprit d'être empathique. Chaque acteur introduit dans le jeu toute une
panoplie de particularités de la condition humaine, notamment sa
culture, avec son opacité, ses ambiguïtés et sa
complexité.
á La nature de la culture
L'une des définitions les plus pertinentes et
ingénieuses de la culture est celle proposée par Edouard Herriot
: « la culture, c'est tout ce qui reste lorsqu'on a tout oublié
». Paradoxale soit-elle, cette définition exprime les
caractéristiques les plus importantes de la culture. La culture est
avant tout une manière de penser et d'être avant d'être un
contenu. Par conséquent, la culture détermine notre façon
de penser, de se comporter et de réagir par rapport aux
événements de la vie. La définition proposée par
Gert Hofstede : « la culture est le logiciel d'exploitation du cerveau
» reflète cette réalité. Les individus agissent alors
en fonction de croyances et de valeurs fournies par leur culture. La culture
conditionne notre façon de penser. Si l'on en croit Alkoun, 1989, la
culture offre un cadre de compréhension et son rôle est de «
répondre aux questions avant même qu'elles ne soient posées
».
Dans les négociations comme dans les actions humaines,
la réflexion précède la réaction. Dans un
environnement interculturel, chaque culture génère des approches
cognitives très différentes. Par exemple, les Japonais partent
dans le contexte, alors que les américains s'engagent
immédiatement dans ce qui leur paraît le plus important,
c'est-à-dire l'interaction elle-même. L'approche intellectuelle du
chinois est de nature holiste et repose sur l'évidence empirique (Chen,
1999), tandis que le mode de pensée occidentale est analytique et se
fonde sur une logique abstraite. Face à un même problème,
les personnes issues de cultures différentes réagissent
différemment. Elles vont avoir une façon différente de
cadrer le problème, d'identifier la cause et d'envisager une solution.
La culture constitue la variable explicative de cette différence dans le
traitement des problèmes.
Hall (1976) distingue deux grandes catégories de
cultures, celles à contexte fort et celles à contexte faible.
Dans les cultures à contexte fort, le contenu du message dépend
fortement du contexte dans lequel il est délivré. Dans les
cultures à contexte faible, l'importance est accordée au message
et non pas au contexte. Les Chinois et les Japonais entrent dans la
catégorie de cultures à contexte fort, les occidentaux dans la
catégorie de cultures à contexte faible. Dans un contexte de
négociation, un oui prononcé par un japonais ne veut pas
forcément dire oui je suis d'accord, mais oui j'ai compris.
Les dimensions culturelles mises en évidence par
Hofstede peuvent aider à saisir le comportement du négociateur.
La distance hiérarchique conditionne les relations autour de la table de
négociation ; à l'instar du rapport à l'incertitude
lié à la capacité à supporter le stress, à
recourir aux documents écrits ; de l'individualisme qui définit
le rapport de la collectivité ; et enfin de la masculinité pour
exprimer l'ambition, le désir de réalisation.
Salacuse (1991) identifie dix facteurs caractérisant un
style de négociation, chacun situé sur un axe bipolaire : les
buts (contrats ou relation), l'attitude général
(gagnant-gagnant), le style personnel (formel ou informel), le mode de
communication (direct ou indirect), l'importance accordée au temps
(élevée ou faible, la forme de l'accord (spécifique ou
générale), le processus d'atteinte de l'accord (inductif ou
déductif), l'organisation de l'équipe de négociation (un
véritable leader ou la recherche permanente de consensus), la
capacité à prendre des risques (élevée ou
faible).
La culture nationale ou ethnique contribue à la
formation d'un « style national de négociation » avec
l'héritage de l'histoire et de l'influence du système politique.
Des cultures telles que la culture familiale, religieuse ou celle de
l'organisation peuvent également tenir un rôle important en
fournissant des normes de conduite, des symboles et des significations.
Elles
peuvent véhiculer des valeurs en opposition à
celles de la culture nationale, posant à l'individu un véritable
dilemme culturel. L'activité professionnelle du négociateur, sa
formation initiale génère aussi des cultures spécifiques.
Les managers, les ingénieurs, les commerciaux ont chacun leur
manière de penser la négociation et de traiter les
difficultés. Lang (1993) et Sjöstedt (2003) proposent des
observations significatives dans ce domaine. Par exemple, les ingénieurs
se conçoivent comme des constructeurs et porteurs de solutions aux
problèmes ; les juristes comme des défenseurs de la justice et de
l'équité ; les économistes comme planificateurs et
conseillers en matière de politique ; les élus comme
représentants de l'intérêt général.
Dans la même personne, normes et valeurs se combinent
pour entrer dans des formes relationnelles gouvernées par des «
tensions dialectiques » (Janosik, 1987). S'organise un véritable
management intérieur de ces tensions afin de parvenir à un
état d'équilibre toujours susceptible d'évoluer dans le
temps. Par exemple, Blaker (1977) met en évidence deux modes
contradictoires de résolution de conflit au sein de la culture
japonaise, la coopération fondée sur l'harmonie et
l'éthique guerrière. Ce sont les circonstances qui
déterminent laquelle de ces deux approches peut être
légitimement employée.
á Comment la culture influe sur la
négociation
Souvent l'influence de la culture sur l'action d'un
négociateur s'avère peu perceptible (Zartman), 1993). Cette
qualité subtile ne réduit en rien son importance mais l'inscrit
dans le registre des facteurs invisibles (Faure et Rubin), 1993). Il
apparaît indispensable d'organiser l'étude de l'impact de la
culture sur la négociation selon des catégories permettant
d'introduire un certain nombre d'évidence. L'appartenance à une
culture dominante tend souvent à renforcer l'insensibilité
culturelle et à dénier son importance. En fait, c'est par ses
manifestations extérieures que les effets de la culture sur les
différentes dimensions de la négociation peuvent être
saisis. En l'occurrence elle s'exprime par les acteurs, dans la structure de la
négociation, dans les stratégies, dans les processus et, enfin,
au regard des résultats.
á Les acteurs de la négociation
La culture est introduite dans les négociations par les
acteurs eux-mêmes. Elle conditionne la manière dont ceux-ci
conçoivent l'interaction. Est-ce par exemple une confrontation, un
exercice de la coopération mutuelle, un débat, un rituel à
accomplir ou bien encore une aventure humaine? Pour un Américain, la
négociation est d'abord une procédure d'échange tandis que
pour les Japonais c'est essentiellement une relation entre personne (Kiruma,
1980). La perception d'autrui varie également selon les
cultures à travers notamment les stéréotypes. Les
intentions perçues et les valeurs qui sous- tendent l'action de l'autre
sont interprétées à travers le filtre culturel.
L'interprétation même d'une situation a une dimension culturelle
ainsi que le souligne Triandis (1994) dans l'anecdote suivante. Pendant la
grosse chaleur de l'après-midi de l'été chinois «
deux Anglais transpiraient et suffoquaient en jouant une partie de tennis.
Lorsqu'ils eurent terminé, un de leurs amis chinois compatissant leur
demanda pourquoi ils ne recouraient pas à des serviteurs pour une
tâche aussi ardue ». Dans l'espoir de négociation, la valeur
symbolique des actes peut également faire sens et introduit de
l'irrationnel dans l'interaction.
Enfin, le négociateur introduit des valeurs et de
l'éthique dans l'interaction car la culture fixe la frontière
entre les comportements acceptables et ceux qui ne le sont pas. Cette
frontière varie d'une culture à l'autre et des moyens d'actions
tels que la menace, le mensonge, le fait accompli, la trahison ou la corruption
peuvent être ou ne pas être considérés comme
légitimes.
á La structure de la
négociation
Les composants structurels de la négociation tels que
le cadre juridique ou l'organisation dans laquelle se déroule le
processus sont des produits sociaux et culturels. Le nombre de personnes
composant chacune des parties est lié à des habitudes
culturelles. Par exemple dans les négociations commerciales en chine, la
partie étrangère dépasse rarement 3 à 5 personnes
tandis que la partie chinoise fait volontiers participer 15 à 30
personnes. La répartition du pouvoir peut être très
inégale et dans ce cas la culture tend à légitimer
certaines situations et à en invalider d'autres. Par exemple la position
hiérarchique, la possession de ressources, le statut, l'âge ont
dans certaines sociétés une influence primordiale. Ainsi en Chine
ou au Japon, c'est l'acheteur qui a la prééminence. On ne vend
pas à la Chine mais c'est la Chine qui achète aux
étrangers. Si le vendeur traite son interlocuteur comme égal, il
sera perçu ayant une attitude arrogante (Fang, 1999 ; Faure, 1999). Dans
l'ex-Union Soviétique, le Parti avait toujours raison. Dans les villages
africains, s'il y a discussion, c'est le plus âgé qui aura le
dernier mot.
4. La stratégie de la
négociation
L'action du négociateur vise à mettre en oeuvre
un ensemble de moyens destinés à parvenir à un but.
L'orientation générale donnée à l'action, autrement
dit l'organisation des tactiques, constitue la stratégie. Ici les choix
d'ordre stratégiques sont dictés soit par des
intérêts, soit par des valeurs qui elles-mêmes renvoient
à la culture. Dans certaines cultures, l'action est directe, le conflit
reconnu et accepté. Dans d'autres, le jeu est indirect, le
conflit toujours masqué et les problèmes sont
approchés de manière allusive ou oblique. Par exemple, les Russes
tendent à négocier à partir d'une situation de force
qu'ils font sentir par leur comportement, tandis que les Japonais
s'avèrent extrêmement réticents à s'engager dans un
mouvement de confrontation.
Les buts que s'assigne chacune des parties sont dans une
certaines mesure affectés par les cultures respectives. Par exemple, les
occidentaux sont préoccupés par l'équité et par le
respect des règles et des principes. Les Chinois sont beaucoup plus
soucieux de maintenir l'harmonie parmi les partenaires de la
négociation, de préserver la face de chacun plutôt que de
satisfaire à des règles et des principes abstraits. Ainsi les
règles peuvent n'avoir qu'une importance très secondaire. La
culture conditionne la manière de procéder pour parvenir à
un accord. Ainsi, la culture française ou allemande privilégie la
méthode déductive par laquelle on s'entend d'abord sur des
principes que l'on applique ensuite pour traiter chacun des points à
négocier. La culture américaine procède par une approche
inductive et avance de façon pragmatique au fur et à mesure des
difficultés rencontrés. L'approche séquentielle
américaine s'oppose également à l'approche japonaise, qui
consiste à saisir le problème de façon holiste
c'est-à-dire comme un système d'éléments
interconnectés qu'il faut traiter par une démarche d'ensemble.
5. Le processus de la négociation
La négociation est d'abord une interaction
c'est-à-dire un processus mettant en oeuvre des tactiques
destinées à échanger de l'information, créer des
options, diviser une ressource ou encore échanger des concessions. Tous
ces actes sont liés à des valeurs dans la mesure où ils
peuvent être légitimes dans une culture et proscrits dans une
autre. Il est par exemple des sociétés dans lesquelles les
exigences en matière de politesse l'emportent sur celles d'exactitude,
voire de vérité. Ainsi mentir peut être un acte moral.
Adler (1986) établit une liste de 15 tactiques considérées
dans la culture nord- américaine comme des « coups tordus ».
Cette liste n'aurait pas la moindre validité dans la culture chinoise.
On y trouve par exemple le fait de ne pas se regarder dans les yeux. En Chine,
un tel comportement n'est nullement le signe d'un affrontement psychologique
mais plutôt l'indication d'une attitude modeste et polie, fruit d'une
bonne éducation. Revenir sur des points antérieurement
traités est une pratique courante en Chine. Elle n'est pas le fruit d'un
calcul machiavélique mais plutôt l'élément
révélateur d'une conception différente de la
négociation. Dans un tel cas, l'accord n'est pas un aboutissement, mais
un jalon dans un processus beaucoup plus long qui est l'ensemble des relations
entre les parties.
La communication est un moyen essentiel au déroulement
du processus de négociation. Les différences culturelles peuvent
grandement affecter celle-ci notamment lorsque la communication est indirecte,
allusive, son contenu ambigu, le feed-back rare. La négociation devient
largement un exercice de décryptage. Il s'agit de donner la bonne
interprétation des signaux perçus. A la faveur d'une étude
de terrain sur des négociations américanojaponaises, Graham
(1993) observe que les Américains s'avèrent incapables de
décoder les expressions de leurs interlocuteurs et considèrent
à tort ces derniers comme impassibles. La signification à
attribuer à un sourire japonais ou chinois présente un niveau
considérable de difficulté, car il peut conduire à des
conclusions radicalement opposées : un masque qui entretient la
distance, un mur destiné à se protéger, un signe de joie
ou de colère, de certitude ou d'ignorance, de confiance ou de
méfiance, de satisfaction ou d'embarras.
Le rituel peut occuper une place importante dans certaines
cultures. Il s'agit là d'un acte formel porteur d'une signification
symbolique. Souvent considérés par les Occidentaux comme inutile
et vide de sens, il est en Chine le garant de la qualité de la relation.
C'est la capacité à accomplir convenablement les rituels qui
distingue le civilisé du barbare. Les actes rituels jalonnement le
processus de négociation : remise de cartes de visite à deux
mains en s'inclinant, cadeaux de bienvenue, banquets incluant discours et
toasts, règles de préséance dans les rencontres, formules
de politesse, recours à des symboles visuels, à des nombres
propitiatoires, cérémonies de signature de contrat.
La conception du temps influe sur le processus de
négociation. Dans la culture occidentale, le temps est perçu
comme une ressource rare dont il faut user avec parcimonie. En orient, il est
considéré comme une ressource quasi inépuisable, à
l'image de l'air que l'on respire. Ainsi la pression du temps, les
échéances n'auraient que peu d'effets sur le comportement du
négociateur de cette partie du monde. A un Occidental qui s'impatiente
de voir aboutir un projet de transfert de technologie, son interlocuteur
chinois lui répondit : « la Chine a vécu 5 000 ans sans
votre technologie, elle peut attendre quelques années de plus »
(Faure, 1999).
L'humour peut agir comme facilitateur dans la
négociation. Il peut contribuer utilement à la qualité de
la relation mais il passe parfois difficilement d'une culture à l'autre.
La différence entre l'ironie voltairienne et l'humour anglais n'est pas
que de l'ordre de nuance. Il s'agit de constructions d'une nature
différente.
6. Le résultat
Le produit ultime d'une négociation est fonction des
différents éléments qui la composent. L'influence de la
culture sur ces éléments se retrouvera dans le résultat.
Elle a aussi une influence plus directe en contribuant à définir,
voire à modifier la zone des accords possibles. Ce faisant elle
contribue à changer la valeur du jeu.
Sur la forme, il est des cultures où l'on ne signe un
accord que lorsque l'on s'est entendu sur chaque détail et que ceci a
été mis sur le papier de façon très précise,
tandis que dans d'autres cultures on se contentera de termes beaucoup plus
vagues. Ainsi un contrat de joint-venture en Chine dans l'optique occidentale
doit comporter plusieurs centaines de pages, alors que la partie chinoise
aurait volontiers recours à un simple formulaire à remplir d'une
demi douzaine de pages (Faure, 2000). Ce qui est compris implicitement dans
l'accord varie d'une culture à l'autre. Les occidentaux tendront
à l'évaluer en intégrant les coûts de transaction,
tels que le temps passé et les dépenses afférentes
à la négociation. Les Japonais considéreront le
degré de confiance mutuelle auquel on est parvenu et la qualité
de la relation comme des éléments importants dans l'accord.
Le sens accordé au contrat signé fait l'objet
d'interprétations très différentes. Dans certaines
cultures l'accord final est considéré comme gravé dans le
marbre et doit être observé à la lettre. Dans d'autres, le
texte écrit était sans doute valide le jour où il a
été signé puis les circonstances ayant changé, il
devient normal de le réexaminer. Ainsi en Chine la signature d'un
contrat ne clôt pas la négociation mais pose un jalon dans une
relation à beaucoup plus long terme. Parvenir à un accord
signifie pour les négociateurs avoir satisfait à une norme
d'équité. L'équité est en soi une norme
sociétale c'est-à-dire culturalisée et sa perception
différente d'une culture à l'autre. Les principes de justice
établissant l'équité s'expriment dans certaines cultures
par l'égalité soit des gains obtenus, soit des concessions
faites. Dans d'autres cultures, on valorisera davantage des gains
inégaux mais répartis en fonction des besoins des parties.
Lorsque l'accord a été signé, il s'agit de le mettre en
oeuvre. Dans la culture occidentale, cela se fait dans un cadre juridique
précis doté de mécanismes institutionnels, tels que
tribunaux et cours arbitrales. Dans d'autres cultures, ceci est perçu
comme une preuve flagrante de manque de confiance et dans tous les cas, on
préféra engager une négociation ou faire appel à
une médiation plutôt que d'aller en justice.
La négociation internationale est en soi une
exploration dans l'interculturel. Comme le souligne Hall, toute trajectoire
dans l'interculturel commence par la perte de ses propres repères. Cette
« longue marche » peut finir contre la « grande muraille
invisible », la culture de l'autre. Heureusement, la négociation
est souvent un processus long dans lequel le sentiment de s'être
perdu ne perdure pas indéfiniment, car les occasions
d'établir de nouveaux repères sont multiples. Cette
activité ambivalente conduit à l'acquisition de nouvelles
connaissances mais dans le même temps fait naître des doutes,
conséquences inévitables d'un itinéraire dans
l'interculturel. La négociation internationale rassemble les individus
dans leur diversité autour de la même table, du même tapis
ou sous la même tente. Elle propose davantage qu'une confrontation des
cultures en générant des combinaisons visant à l'atteinte
d'une certaine efficacité. De chaque côté, cultures
nationale et organisationnelle cimentent la cohésion interne, tandis que
les cultures professionnelles divisent. De part et d'autre de la table de
négociation, les cultures nationales et organisationnelles
séparent alors que les cultures professionnelles rapprochent.
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