3.1.3 Des Expériences Sociales Contradictoires
L'association de l'état d'immigré malgache et de
croyant protestant pratiquant peut être utilisée comme une
ressource culturelle pour réconcilier des expériences sociales
contradictoires. Cela prend appui sur un effet d'équivalence culturelle
: la fidélité aux cultes dans les Temples protestants parisiens
observés en vient à être l'attribut d'une identité
malgache alors que sans cet attribut, cette identité ne parvient pas
à être comprise ou reconnue. Je rappelle que l'histoire de
l`immigration malgache en France nous enseigne l'arrivée en masse des
protestants malgaches et particulièrement des gens des Hautes Terres,
les Mérinas.
Cette relation d'attribution fonctionne à double sens.
Etre Malgache dans ces Temples parisiens , c'est être pratiquant
protestant et être Merina. A l'inverse, la figure de celui qui n'est pas
pratiquant protestant semble être à la fois un non Mérina
comme en témoigne le récit d'une jeune fille (TINNE, 20
ans, parents à Madagascar) que j'ai rencontrée à
Chauchat. Elle n'est pas protestante et a un père non Merina. Elle a
dit:
« Par rapport à mes parents, j'ai l'impression
d'avoir une identité flottante. C'est tellement dans l'esprit des gens
qu' être protestante malgache et immigré mérina sont
liés qu'ils oublient la diversité des pratiques culturelles et
cultuelles à Madagascar. Je sais qu'ils m'ont éduqué pour
que je puisse m'adapter à toutes les situations mais il y a des choses
qui devraient changer. On est tous des immigrés malgaches et moi je suis
catholique. Ma présence au Temple dimanche dernier n'est pas fortuite.
J'y étais parce que j'ai des amis qui sont là bas et je connais
la liturgie protestante. Si mes parents m'ont éduquée ainsi c'est
parce qu'ils veulent que je sois reconnue comme malgache et que j'en sois
fière». Les parents manipulent cette équivalence
culturelle pour attribuer conjointement une pratique cultuelle protestante et
une identité malgache (mérina) à leur fille. A la fois ils
veulent faire accepter son origine non protestant dans la limites
étroites d'une meilleure intégration dans le Temple protestant.
On trouve là une expression que GOFFMAN (1975)123 qualifie de
stigmatisation honoraire d'un individu que « la structure sociale
lie à une personne affligée d'un stigmate, relation telle que,
sous certains rapports, la société en vient à les traiter
tous deux comme s'ils n'étaient qu'un ». C'est dans ce cas, la
qualité attribuée à un type général
d'individus immigrés malgaches non protestants qui se reconnaissent
entre eux.
Pour TINNE, la communauté du Temple est une
communauté d'« une minorité migrante ». Le respect des
normes sociales occidentales est naturel pour elle et les responsables du
Temple semblent bien contrôler cet aspect.
La présence au Temple est aussi une expérience
contradictoire pour TRISTAN, 25 ans. Pour lui c'est la
communauté du Temple qui constitue son identité malgache.
« C'est là-bas que je continue ma vie en tant que malgache
»124. Aussi, il s'attache au Temple parce que
l'expérience religieuse en elle-même est importante pour lui.
L'institution religieuse est ici perçue alors comme une institution
offrant un ensemble cohérent de « données religieuses »
et une croyance à son existence sociale. Malgré ses comportements
de croyant pratiquant, il a conscience de la fragilité de son
affiliation.
123 E.Goffman (1975) »Stigmates. Les usages sociaux des
handicaps » Paris, Minuit.
124 Alors que pour d'autres, c'est le tombeau, la
parenté...
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