II - 2 L'audiovisuel, un outil du multimédia
Depuis l'avènement du numérique et l'essor de
l'informatique, les exemples d'interactivité sont légion.
Pour autant, l'interactivité la plus aboutie reste pour le
moment celle présente dans les jeux vidéos, ou l'utilisateur
gère lui même son avatar (personnage), le fait se déplacer
à sa guise dans un environnement de plus en plus réel.
On a parlé assez rapidement de vidéo interactive,
mais avec un usage tout différent de celui que l'on utilise
aujourd'hui.
Ainsi, avant l'arrivé du CD-ROM, on parlait plutôt
de vidéo interactive qui consistait au pilotage de magnétoscopes
par des ordinateurs, dans une perspective de contrôle de machine à
distance.
C'est donc l'arrivé du CD-ROM et l'usage du
multimédia qui ont favorisé l'essor de la vidéo.
Le mot multimédia est apparu vers la fin des
années 1980, lorsque les CD-ROM se sont développés. Il
désignait alors les applications qui, grâce à la
mémoire du CD et aux capacités de l'ordinateur, pouvaient
générer, utiliser ou piloter différents médias
simultanément.
Ces médias étaient, et sont encore l'image, le
texte, le son, ainsi que l'image animée.
La connexion est un des grands préceptes du
multimédia, car tous les éléments d'une oeuvre
multimédia sont liés entre eux.
Tous les éléments sont potentiellement
connectés avec tous les autres, sans être forcement de même
nature, c'est l'hétérogénéité.
De même, à la différente d'une arborescence,
le multimédia connaît une multitude de parcours, car le centre
d'un hypertexte est l'endroit où se trouve l'utilisateur à tout
instant, et tout changement ou rupture est insignifiant, car il n'existe pas de
changement de structure globale de l'hypertexte.
Il n'existe pas en théorie, de débuts et de fins,
car il y a une infinité de débuts et de fins, ce qui n'implique
pas d'espace-temps et encore moins de dimension. L'utilisateur crée le
parcours, et ce faisant, il crée le sens.
L'hypertexte combiné à l'hypermédia permet
de constituer un hyperespace, et ainsi de naviguer d'un document à un
autre sans dimension de temps ni d'espace.
La première ébauche de l'hypertexte date de
1945. C'est Vannevar Bush, qui crée le Memex, un système de
liaison entre les informations construit à la manière d'un
cerveau humain, un système d'association d'idée créant du
sens.
C'est dans le texte « We may think » de Vannevar
Bush que l'on trouve les débuts de l'Internet.
« Imaginons un appareil de l'avenir à usage
individuel, une sorte de classeur et de bibliothèques personnelles et
mécaniques. Il lui faut un nom et créons-en un au hasard. "Memex"
fera l'affaire. Un Memex, c'est un appareil dans lequel une personne stocke
tous ses livres, ses archives et sa correspondance, et qui est
mécanisé de façon à permettre la consultation
à une vitesse énorme et avec une grande souplesse. Il s'agit d'un
supplément agrandi et intime de sa mémoire. » [5]
L'autre grande invention dans le domaine multimédia est
l'invention d'un contrôleur graphique, plus communément
appelé souris par Douglas Englebart et son NLS (On Line
System).
Cette interface, connue et utilisée par tous, reste
l'une des grandes innovations de l'informatique et n'a connu au cours de sa vie
que peu d'évolutions majeures.
[5] Vannevar Bush : As We May Think ; Volume 176, Nos. 1 ;
Pages 101-108, The Atlantic Monthly, 1945 Traduction Ch. Monnatte.
Le multimédia est donc plus qu'un outil, il est quasiment
une façon de penser, de percevoir l'oeuvre interactive, qu'elle soit
artistique ou commerciale.
Il convient de penser que pour l'intégration d'un outil
aussi puissant que l'audiovisuel, le multimédia doit se plier à
quelques contraintes intrinsèques de cet outil.
D'ailleurs, l'intégration de l'audiovisuel dépasse
le stade du multimédia, et fait référence à
l'hypermédia.
On a vu que l'interactivité était une sorte de
grande toile où tout était lié, sans véritable
début ou fin, en quelques sortes une non linéarité.
L'interactivité au sens large consiste en un
déplacement des pôles respectifs de l'auteur et du lecteur dans le
dispositif narratif.
Idéalement elle tend à donner au lecteur la
possibilité d'intervenir dans la fiction en échangeant son
rôle de narrataire contre celui de narrateur,
d'auteur ou de personnage.
Cette non linéarité va à l'encontre de
toutes les écritures, qu'elles soient traditionnelles (roman, nouvelles
etc.) ou plus modernes (l'audiovisuel et l'écriture audiovisuelle par
exemple).
Pour mieux comprendre l'interactivité dans
l'audiovisuel, il est possible de prendre l'univers connu de l'écriture
hypertextuelle pour la remettre dans un contexte moins connu, celui de
l'écriture audiovisuelle hypertextuelle.
Il existe en littérature des exemples où l'on
essaye d'emmener le lecteur dans un récit moins linéaire.
La sémiotique moderne a montré le rôle du
lecteur dans la construction de la fiction narrative la plus traditionnelle. Et
il est vrai que, d'une certaine manière, une oeuvre n'existe que par la
lecture qu'en fait un lecteur donné. On pourra se reporter sur ce point
à quelques travaux récent (Umberto Ecco, par exemple).
Mais cette prise de conscience du rôle du lecteur et la
tentation de lui donner la parole est presque contemporaine de la naissance du
roman occidental.
Certains écrivains, de Sterne à Italo Calvino, ont
produit des oeuvres qui témoignent de la persistance de cette utopie
créatrice.
Le découpage traditionnel de la fiction en chapitres,
scènes, descriptions, paragraphes, etc. imprime un rythme à la
lecture, caractérisée par le retour du même et du
différent selon une progression temporelle réglée par
l'auteur.
Peu importe que cet enchaînement soit calqué sur
celui de l'histoire racontée ou qu'au contraire le récit se joue
de la temporalité en recourant aux procédés classiques de
l'analepsie ou de la prolepse [6] (Flash back dans l'écriture
audiovisuelle). L'essentiel est que l'auteur impose au lecteur un rythme auquel
celui- ci ne peut que se soumettre, tel l'auditeur qui, écoutant
l'interprétation d'un morceau de musique, n'a d'autre choix que de se
laisser porter par les flux des notes qui l'emportent vers le final.
[6] L 'analepsie (ou Flash -back au cinéma) est
l'opposé du prolepse qui est un procédé rhétorique
d'anticipation.
Il en va autrement dans le multimédia, pour des raisons
qui tiennent aux contraintes du support mais aussi à ses
possibilités nouvelles. Rien ne serait plus insupportable pour le
lecteur, en effet, que d'être condamné à lire sur un
écran des pages qui défileraient comme celles d'un livre ou plus
exactement de n'avoir pour tout contact avec le texte qu'une fenêtre
derrière laquelle l'oeuvre serait déroulée comme un
papyrus. Habitués à manipuler un objet à trois dimensions,
nous supportons mal que l'écran le réduise à une simple
surface.
Certes il est possible d'imaginer que dans un avenir proche
l'ordinateur restitue la dimension manquante de notre lecture sur écran
et que nous puissions nous déplacer dans un livre virtuellement
reconstitué, mais ce simple rétablissement de nos habitudes
anciennes risque de nous faire manquer les possibilités nouvelles
qu'offre dès aujourd'hui le multimédia.
L'oeuvre multimédia, en effet, compense les limites de
l'écran en offrant au lecteur de nouvelles possibilités que n'a
pas le livre ou la télévision. Car derrière le cadre
rectangulaire qui limite notre champ de lecture, l'ordinateur offre une
profondeur qui n'est pas seulement celle de notre espace familier à
trois dimensions, mais celle, beaucoup plus vertigineuse, d'un espace
multidimensionnel, de ce que l'on appelle désormais un hyperespace. Tel
passage que je suis en train de lire sur mon écran n'est plus
enchaîné à celui qui lui succède
immédiatement. Il s'inscrit dans une structure hypertextuelle qui tisse
entre les divers fragments un réseau complexe de liens potentiels. Ma
lecture n'est donc plus soumise à l'ordre immuable des pages, elle
s'ouvre sur un nouvel espace que je parcourrai désormais au gré
de mes humeurs ou de mes curiosités, lecteur-explorateur d'un nouveau
type de texte aux perspectives sans cesse en mouvement.
L'écriture interactive connaît de nombreuses
possibilités, que ce soit dans les romans de Paul Austers ou dans les
livres dont vous êtes le héros.
Bien entendu, l'interactivité audiovisuelle est un monde
nouveau, où tous les usages ne sont pas encore définis.
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