II - Étape suivante,
l'interactivité Préambule
C'est sans doute dans le domaine de l'animation et de la
vidéo que l'outil informatique a le plus changé les conditions de
la création artistique, et ce en multipliant les possibilités
d'interactivité avec le spectateur.
Projetés sur des écrans d'ordinateur ou des
écrans tactiles, les vidéos ou films d'animation
requièrent parfois l'intervention du spectateur dont l'action modifie le
déroulement.
On retrouve cette modification du déroulement dans le
monde du jeu vidéo, parmi lesquels l'Amerzone de Benoît
Sokal, dessinateur de bande dessinée (l'inspecteur Canardo en
particulier), représente un exemple très réussi.
Deux exemples d'installation interactive de Luc
Courchesne
Dans la création plus traditionnelle, des artistes
comme Luc Courchesne, auteur d'installations vidéo interactives,
proclament que "dans une oeuvre interactive, le public est un des
ingrédients de l'oeuvre".
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Les français Couchot, Pret et Tramus ont mis au point dans
les années 90 un programme engendrant des images tridimensionnelles
à partir du souffle des spectateurs. D'autres, comme Maurice Benayoun,
invitent les spectateurs à modifier par leur action l'environnement de
leur exposition. Certains enfin retravaillent les interfaces Windows et
invitent l'utilisateur à venir se perdre dans le dédale de leur
imagination foisonnante.
Deuxième révolution, les technologies
numériques ont considérablement abaissé les coûts de
fabrication et la quantité de travail exigée pour mettre au point
une vidéo ou une animation de bonne qualité. Si le tournage d'un
film entièrement en numérique resta une pratique exceptionnelle
pendant plusieurs années (le premier film numérique a
été réalisé par Pitof : Vidocq en 2001), le
numérique modifie déjà considérablement les
pratiques dans la réalisation vidéo.
Cette baisse de coup à donc créer une nouvelle
possibilité d'interactivité avec la force visuelle de la
vidéo.
Dernier exemple des possibilités qu'offrent les techniques
de programmation, l'arrivée du VRML permet la construction d'univers en
3D dans lequel les internautes peuvent se promener de manière
intuitive.
La question qui se pose alors est celle du réseau le
plus à même de s'adapter à ces nouveaux usages :
câble, satellite, hertzien ou ADSL, voire certaines combinaisons entre un
réseau diffusé non-filaire et l'ADSL ?
Pour compliquer le tableau, le meilleur mode de transmission
audiovisuel n'est pas encore déterminé. La possibilité de
coder la voix et l'image selon le protocole IP (Internet Protocol) permet
désormais au réseau Internet de transporter des contenus
audiovisuels, le tout dans une logique de diffusion de masse.
Les nombreux essais de télévision sur IP ouvrent de
nouvelles perspectives aux opérateurs déjà présents
sur le marché, mais aussi à de nouveaux entrants potentiels. Le
problème du support de réception, PC ou poste de
télévision, soulève également des enjeux
technologiques, comme l'évolution de l'interface graphique (la
télécommande), ou les nouvelles corrélations entre
télévision et ordinateurs (le système d'exploitation
Windows XP équipé du Media Center).
Enfin, la perspective de pouvoir enrichir leur offre actuelle
grâce aux technologies émergentes pousse les opérateurs,
voire des fournisseurs de contenus, à développer des solutions
multiservices qui associent le transport de la télévision avec
celui de la voix et des données Internet. Le "Multi Play" est
donc un facteur de convergence des réseaux.
De plus en plus, et suite à la forte croissance du haut
débit, l'idée d'associer le push de la
télévision et le search [1] d'Internet fait son
chemin.
Certains nouveaux services interactifs ont déjà
fait leur apparition sur le satellite et le câble. Leur évolution
est liée à celle de la demande des utilisateurs.
[1] C'est un nouveau type de service qui fonctionne à
l'opposé du Web ou l'utilisateur final doit "tirer " (pull)
l'information. Dans le "push" (pousser), après avoir défini les
thèmes qui l'intéressent, l'utilisateur reçoit en continu
les informations sur le disque dur de son ordinateur.
Au départ autonomes, avec des offres de type
météo, informations boursières, paris en ligne ou petits
jeux vidéo, les services interactifs évoluent vers une plus
grande complémentarité avec le contenu diffusé. C'est la
"télévision enrichie" ou Enhanced TV.
Les téléspectateurs peuvent par exemple participer
en direct à un jeu télévisé, interagir avec les
spots publicitaires, personnaliser la visualisation des
événements sportifs, en choisissant notamment l'angle de la
caméra. L'apparition du PVR, Personal Video Recording, est
aussi un facteur de personnalisation des programmes.
Le PVR autorise toutes les fonctions du traditionnel
magnétoscope mais offre en plus des fonctions avancées, dont la
fameuse pause-retard (pause de l'émission en cours, puis reprise avec
décalage temporel). D'autres applications, de type VOD, Video on Demand,
ou TVOD, Television on Demand, devraient aussi se
généraliser. Elles permettent dans le premier cas de louer
à distance des films stockés dans un serveur vidéo, et
dans le second d'établir sa propre grille de programmes à partir
des émissions existantes.
Mais il faut bien avouer que pour le moment
l'interactivité dans les télévisions et les projets
audiovisuels à destination du Web est assez limitée.
L'interactivité est un mot que l'on entend
régulièrement, une sorte de « marronnier » qui ressort
dès qu'une nouvelle technologie de l'information et de la communication
voit le jour.
Par exemple, prenons l'essor du GPS, qui grâce aux
satellites de géo-position permet de nous indiquer le bon
itinéraire ou encore d'indiquer où sont les bouchons. Dans
l'audiovisuel, notons l'essor de ce que l'on nomme la «
télévision interactive ». Pour le moment, le niveau
d'interactivité est assez faible, car on peut juste choisir le film que
l'on veut voir (un peu comme un juke-box), les sous titrage ou la langue
(à la manière d'un DVD) ou encore obtenir des informations sur la
durée, un résumé de l'histoire ou si le programme est
rediffusé.
Pour le moment, on assiste à la limite de la
pénétration de l'interactivité dans l'audiovisuel.
On voit bien que l'interactivité se décline en
plusieurs niveaux, selon la manière dont l'utilisateur est
impliqué.
II - 1 Définitions
« L'interactivité est le mécanisme par lequel
les activités de plusieurs processus influent les unes sur les autres,
l'apparition d'un événement particulier dans un processus
donné constituant la cause d'un événement
conséquence dans un processus différent ». [2]
L'interactivité est donc, au départ, un
phénomène simple si on se base sur le modèle des relations
humaines.
[2] Adina Dabija -
www.respiro.org
Tout contact entre humain en est un exemple, même s'il n'y
a pas de dialogue. Selon la gestuelle (physique, orale) d'une personne, la
réaction de la personne en face sera différente et sa
réaction gestuelle le sera aussi.
Dans son ouvrage : Théorie générale de
l'information et de la communication, Robert Escarpit propose une
classification des machines à communiquer.
Cette classification s'étend des machines de transmissions
à effet spatial (machines relais comme le miroir et machines
média comme le téléphone) aux machines biologiques
à effet informationnel (machines à comportement comme les
organismes vivants et machines à langage comme l'homme) en passant par
les machines chronologiques à effet temporel (machines à
mémoire comme le magnétophone et machines informatiques comme
l'ordinateur).
Une machine à communiquer se comporte à la fois
comme émetteur et comme récepteur. Entre deux machines, une voie
de communication peut être établie. Pour que la communication, en
tant qu'échange, puisse se réaliser, un protocole de
communication, c'est-à-dire un ensemble de règles conditionnant
la communication, doit être élaboré et respecté. Ce
protocole dépend essentiellement des catégories et des
caractéristiques des machines communicantes.
Le préalable de protocoles de communication est tout
autant nécessaire à l'échange entre machines appartenant
à une même catégorie qu'à l'échange entre
machines de catégories différentes. Ainsi, deux ordinateurs
peuvent communiquer à travers un câble de connexion et grâce
à un protocole de communication technique et logique très
précis ; deux personnes peuvent communiquer par la voix et un langage
articulé ; mais de la même façon, un
ordinateur peut piloter un magnétophone, une personne peut commander un
ordinateur.
La notion d'interactivité, implicite et triviale tant
qu'il s'agit de communication entre personnes (une simple conversation est par
nature interactive), est devenue, dans le contexte de la communication entre
les personnes et les ordinateurs, un thème de réflexion
majeur.
Un ordinateur ne fait que médiatiser une communication
entre personnes : le concepteur de la machine d'une part, les utilisateurs de
la machine d'autre part. Comparée aux machines à bas niveau de
communication (magnétophone, magnétoscope), la machine-ordinateur
dispose, pour cette médiatisation, de capacités exceptionnelles
parmi lesquelles ses virtualités interactives semblent occuper une
position centrale.
« La courte histoire du dialogue entre les hommes et les
ordinateurs peut être analysée comme un effort pour combler le
fossé entre langages formels et langages naturels. Par une série
toujours plus longue de traducteurs intermédiaires, par l'invention de
nouveau organes de sortie et d'entrée visuels, tactiles et sonores, par
de subtils effets de mise en scène, la rigidité mécanique
de la communication formelle est assouplie. » [3]
[3] Pierre Lévy : La machine univers, Création,
cognition et culture informatique. La Découverte, 1987.
On voit bien que la notion d'interactivité fait intervenir
une notion d'action-réaction. Pour autant, la notion
d'action-réaction entraîne une autre notion, celle de feedback,
une notion qui apporte le sens à une communication, et qui est le point
essentiel dans toutes les recherches sur l'interactivité, la conception
de jeux ou de logiciels (notion abordée plus loin).
Le sous-entendu de ce trio (action-reaction-feedback) est que les
seuls liens existants entre les parties sont justement ces liens de
causalité ; pour que l'on puisse parler d'interactivité, il faut
nécessairement qu'il y ait indépendance des activités.
Ces processus non indépendants sont tout au plus en
état d'interaction, et non pas d'interactivité, car
l'interactivité réside dans la modification non prévue du
déroulement d'un processus par un autre, et non pas dans la modification
prévue et déterminée de ce déroulement.
Pour qu'il y ait interactivité, il faut que chaque partie
en interaction ait un comportement non prévisible pour les autres
parties.
La constitution d'une interaction élaborée du point
de vue de la réactivité des systèmes laisse place
aujourd'hui à un champ "anthropo-technologique".
Il renvoie à ce que Ehn et Kyng appelle la «
perspective système » s'appuyant sur le développement des
théories comportementalistes appliquées aux réseaux
informatiques.
En effet, force est de constater qu'il existe une présence
massive des comportements cognitifs, dont certains sont plus directement
reliés à la métacognition, au sein des activités de
traitements des données informationnelles.
Sans aller jusqu'à l'utilisation, propre aux
cognitivistes, du fonctionnement de l'ordinateur pour expliquer la
manière dont la mémoire recueille, traite et emmagasine les
nouvelles informations, il apparaît néanmoins qu'une nouvelle
conception stratégico-cognitive de l'apprentissage caractérise la
relation Homme- Machine.
Ces mêmes comportements, émergeant des processus
d'interprétation dans la mémoire à court terme,
constituent un mécanisme de décision non-logique. Celui-ci
présuppose une véritable modélisation sémantique,
syntaxique ou encore formelle des principaux acteurs de l'environnement.
Cette vision empirique du développement dialogique
constitue l'un des principaux terrains d'expérimentation des artistes
hypermédias. En effet, ils s'efforcent de provoquer, chez le
sujet-opérateur, une actualisation des représentations, souvent
en termes de préférences et d'intérêts, l'obligeant
ainsi à situer son action par rapport aux composantes internes de
l'environnement de données.
Feed back
Dans ce dessein, ces applications font parfois appel au principe
de "feedback" principe de base du behavioriste, permettant d'informer le sujet
de l'adéquation de son comportement, par le biais par exemple d'une
confirmation verbale: "opération réussie !" ou "opération
échouée !". Ainsi, cela offre des repères indispensables
à toute nouvelle résolution de problème.
Cependant, ces mêmes repères se voient être
bien souvent remplacés par des indices non verbaux, ce qui a pour
conséquence de perturber considérablement la
signification de l'activité principale au profit d'un
déchiffrage complexe de l'information visuelle. Ce procédé
rend compte d'une volonté interprétative de l'oeuvre au travers
d'opérations dialectiques nouvelles.
Jean-Pierre Balpe, au sujet d'un éventuel art dialectique,
écrit : « L'interactivité suppose toujours une distance, une
extériorité. Il y a donc interactivité dès lors
qu'un percepteur, agissant d'une façon quelconque sur les interfaces de
saisie d'un système informatique, a la possibilité de
vérifier une réaction réponse au travers des modifications
provoquées par ses actes sur l'état apparent des interfaces de
perceptibilité d'un dispositif. La perception du lien
action-réaction doit ainsi s'effectuer dans un temps suffisamment court
pour qu'une telle vraisemblance de rapport perceptif soit construite.[...] La
réalité de cette relation action-réaction importe qu'il y
ait vraiment une réponse du système à l'action d'un agent,
ce qui compte est que cet acteur ait l'impression que le système lui
répond. Plus que sa réalité concrète, l'essentiel
est dans l'imaginaire de l'interactivité sur lequel porte la
construction de l'artiste numérique. » [4].
Dans une perspective plus didactique que cognitive, on peut
distinguer deux composantes constitutives de l'interactivité :
L'interactivité fonctionnelle : elle concerne la partie du
logiciel qui établit et gère le protocole de communication entre
la machine (le hardware) et l'utilisateur.
Il s'agit des protocoles de communication liés à la
recherche, à la restitution et à la capture d'informations,
c'est-à-dire à la logique et à l'ergonomie des
échanges d'information.
Sont compris dans l'interactivité fonctionnelle par
exemple la vitesse et la facilité d'usage, les
périphériques de saisie, la couleur, la définition des
écrans. L'interactivité fonctionnelle s'exprime par un ensemble
d'actions qui constitue le "potentiel d'action" que nous avons mentionné
plus haut.
De ce fait, un système peut être plus ou moins
interactive, selon le nombre d'actions possibles.
L'interactivité intentionnelle : elle concerne la partie
du logiciel qui établit et gère le protocole de communication
entre l'utilisateur et l'auteur du logiciel. L'auteur n'est pas présent
sur le lieu d'échange, mais à travers le logiciel, il participe
à la communication. L'interactivité intentionnelle renvoie donc
aux protocoles de communication.
Cette forme d'interactivité se passe entre un homme et
un autre homme, un émetteur et un destinataire. Elle concerne, dans le
logiciel, les formes d'interpellations offertes à l'utilisateur, le
dispositif d'énonciation par exemple. Dès lors, le producteur est
tenu de posséder une représentation de son interlocuteur,
à partir de laquelle il construit son logiciel. L'interactivité
intentionnelle est vue comme le but de l'application par le concepteur alors
que du point de vue de l'utilisateur, elle sert de guide.
Nous avons ici distingué deux formes
d'interactivité, il est indispensable de noter que dans la
réalité, elles sont indissociables.
[4] Jean-Pierre Balpe : Contextes de l'art numérique,
Hermès Sciences Publications, 2000.
Puisque l'interactivité fonctionnelle est envisagée
comme un ensemble de fonctions qui impliquent un point de départ et un
point d'arrivée, on peut dire qu'elle est au service de
l'interactivité intentionnelle. Les fonctions qu'offre l'auteur du
logiciel sont au service de l'utilisateur afin que celui-ci réalise les
buts définis par l'interactivité intentionnelle. Les
fonctionnalités déterminent les possibilités de sens par
l'utilisateur. La distance entre ce qu'a voulu faire l'auteur et ce que
l'utilisateur peut effectivement réaliser détermine la
qualité de l'interactivité intentionnelle.
Il existe deux positions distinctes en ce qui concerne la
définition de l'interactivité, incidente et non incidente.
Certains la définissent par les conséquences qui en
découlent alors que d'autres la définissent par les moyens mis
à disposition pour agir sur le système.
Une échelle d'interactivité a donc
été établie allant de faible à forte. Elle
distingue trois types d'interactivité:
V' Réactive, lorsque l'utilisateur n'intervient que sur
proposition du programme.
V' Sélective, lorsque les relations
actions-conséquences sont toutes prévues par
le programme en un nombre déterminé par avance.
L'utilisateur subit la situation.
V' Active, qui intègre l'action de l'utilisateur
à l'ensemble des données et définit un nouveau contexte.
L'initiative est laissée à l'utilisateur, toutes les actions
qu'il exécute influeront sur la suite de la situation.
On peut aussi qualifier cette dernière
(interactivité active) d'interactivité incidente car elle modifie
le contenu de l'application par opposition à l'interactivité non
incidente qui ne provoque aucune modification du logiciel.
Lors d'une interactivité incidente, l'information
proposée découle directement de l'ensemble des actions que
l'utilisateur exécute sur le programme tandis que lorsque
l'interactivité n'est pas incidente, le résultat fait suite
à la dernière action entreprise par l'utilisateur. Lorsque la
nature des décisions prises par l'utilisateur agit sur
l'évolution du jeu dans un logiciel éducatif, on parlera donc
d'interactivité incidente.
Il convient aussi de noter qu'une application peut contenir
différents degrés d'interactivité, parfois incidente,
parfois non, suivant le contexte.
Mais en général, les logiciels culturels sont
plutôt orientés vers une interactivité de type non
incidente alors que les applications éducatives sont plus enclines
à intégrer l'interactivité incidente.
Bien entendu, on peut se demander pourquoi interagir ?
Considérant la complexité de la création
interactive, il convient toujours se demander si le médium interactif
choisi est bien le meilleur pour aborder un sujet donné. Pourquoi
interagir, si l'on peut communiquer une expérience satisfaisante
à un public passif, grâce à un medium traditionnel,
à savoir pour le cas présent l'audiovisuel. Cette
interactivité existe, dans la télévision avec la
télécommande qui permet à tout moment au spectateur de
changer de programme, mais elle n'est pas une nécessité en
soi.
Il faut donc définir précisément ce que l'on
souhaite évoquer, et ce que l'on cherche à susciter chez son
public.
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