2.3. Les marques, indices de réalité.
Si nous suivons les théories qu'expose Jean-Paul Sartre
dans « Qu'est-ce que la littérature ? » : «
L'écrivain parle à ses contemporains, à ses frères
de race ou de classe [...], les gens d'une même époque et d'une
même collectivité, qui ont vécu les mêmes
événements [...] ils ont les uns avec les autres une même
complicité [...] c'est pourquoi, il ne faut pas tant écrire : il
y a des mots-clés. »42
Les marques de publicité pourraient en effet être
des repères pour le lecteur. Comme le dit Grégoire Polet,
écrivain, notre monde est « marqué ». « Nous
affichons un nombre incalculable de marques : les logos de nos
vêtements, notre voiture... le vocabulaire commun
38 Denis Pernot, « Réel », Le
dictionnaire du littéraire, PUF, 2002.
39 Denis Pernot, « Référent,
référence », Le dictionnaire du littéraire,
PUF, 2002.
40 Ibidem
41 Constanze Baethge, «Réalisme »,
Le dictionnaire du littéraire, Baethge Constanze, «
Réalisme »
42 Jean-Paul Sartre « Qu'est-ce que la
littérature ? », Gallimard, 1948, p 76.
est devenu trop flou. En citant une Mercedes ou un t-shirt
Lacoste, le lecteur peut tout de suite se figurer le niveau social du
personnage.43
Pour le Professeur Olivier Soutet, linguiste, les auteurs qui
enfilent des marques comme des perles, répondent à « un
pur effet de mode, indéfiniment utilisable. C'est un tic de langage.
»44
Le Professeur Vincent Nyckees, linguiste et spécialiste
de la sémantique, nuance ce propos : « En utilisant des noms de
marque, l'écrivain se réfère à une
expérience partagée avec le lecteur. C'est aussi une
manière de positionner son oeuvre dans la littérature du futur.
Il donne immédiatement une patine à celle-ci. »45
Par souci de réalité, « certains
écrivains peuvent souhaiter intégrer dans leurs écrits, et
tout particulièrement dans leurs romans, des signes de leur temps,
signes de la vie humaine de leur époque, pour en faire une des
composantes de la «poésie» de leur oeuvre, la nôtre,
comme chacun sait, étant particulièrement marquée par la
prolifération des marchandises et des appels de toutes sortes à
la consommation. »46
Cette opinion est relayée par certains auteurs, comme
Xavier Deutch qui déclare : « Si j'utilise des marques, dans mes
romans, c'est sans raison particulière. Au moment d'évoquer une
réalité, la situation d'un personnage dans un environnement
donné, les marques viennent toutes seules, comme des
éléments de la réalité. »47 Sophie
Jabes renchérit : « Il m'arrive d'utiliser des marques dans mes
romans, c'est souvent par souci de précision, et dans le contexte d'un
quotidien, ici et maintenant. »48
Cependant, le Professeur Vincent Nykees nuance : « Je ne
voulais pas dire pour autant que l'infiltration du roman par les noms de marque
représente un pari toujours gagnant, car il faut aussi faire la part des
tics et des connivences trop faciles.» Il ajoute que l'écrivain
s'expose aussi, par cette pratique, à créer « une oeuvre qui
peut devenir hermétique pour les générations
4 3 Grégoire Polet, entretien à la Foire du Livre
de Bruxelles le 5 février 2005.
4 4 Olivier Soutet, propos recueillis par Marie Gobin dans
Lire « les écrivains corrompus par la pub », novembre
2001, numéro 300, p 49.
4 5 Vincent Nykees, propos recueillis par Marie Gobin dans
Lire « les écrivains corrompus par la pub », novembre
2001, numéro 300, p 49.
46 Vicent Nyckees, correspondance internet.
47 Xavier Deutch, réponse au questionnaire
distribué à la Foire du Livre de Bruxelles, mars 2005.
48 Sophie Jabes, réponse au questionnaire
distribué à la Foire du Livre de Bruxelles, mars 2005.
ultérieures. »49 Or, en tant
qu'artiste, l'auteur ne peut ignorer que son oeuvre, idéalement,
s'inscrit à la fois dans une époque et dans le long terme, sinon
dans l'éternité, et ne saurait perdurer si elle n'est pas apte
à «bien vieillir» tel un grand millésime.
En effet, il ne faut pas oublier que de nos jours
l'actualité des marques peut parfois être très
éphémère.
49 Vincent Nykees, propos recueillis par Marie Gobin
dans Lire « les écrivains corrompus par la pub »,
Novembre 2001, numéro 300, p 50.
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