2. Une littérature « marquée
».
2.1. Le roman.
La notion de littérature a fait l'objet de nombreuses
études. Elle désigne, dans son sens le plus
général, l'ensemble des textes, l'art verbal. Mais cet ensemble
se subdivisera à l'époque de la Renaissance entre les Lettres
saintes, les Lettres scientifiques et les Belles Lettres. C'est parmi cette
dernière catégorie que se « classent » le roman, la
poésie et le théâtre. À l'exception de la
poésie, le roman et le théâtre sont des oeuvres
fictionnelles.
Les oeuvres que nous allons analyser au cours de cette
étude appartiennent au genre du roman, genre populaire par excellence.
À l'origine, il désigne un récit en langue vulgaire, en
roman; il n'a cessé de se développer et de se diversifier au
cours des siècles. Au XVIème siècle, le roman
se définit comme une oeuvre d'imagination, en prose, assez longue, qui
présente et fait vivre dans un milieu des personnages
présumés réels, qui fait connaître leur psychologie,
destin et aventures. C'est particulièrement au XIXème
siècle que le roman accède à la place dominante. Genre
protéiforme, il contient quantité de sous-genres : roman noir,
policier, historique, fantastique, feuilleton.... et peut traiter des sujets
les plus divers.
Si le but du roman est avant tout de distraire, il peut aussi
avoir une ambition didactique, historique, sociale... Au
XXème siècle, « le roman devient cette langue,
universelle et polyglotte, de la littérature et s'impose en offrant
au public la version fictionnelle de
l' « univers de reportage » que Mallarmé
condamne dès 1897 et dont le journalisme est la forme documentaire.
»29
2.3. La réalité.
Imiter la réalité, tel est le propre du roman.
Les anciens développaient déjà ce concept nommé
mimésis. Platon dans « La République » «
considère que le fondement des arts tient à leur capacité
de représenter le réel »30 et Aristote fait de la
mimésis le fondement de sa « Poétique ». Selon lui,
« l'imitation ou faculté de représentation est
inhérente à la nature humaine et [qu'elle] est un moyen de
communiquer les connaissances. »31 Roland Barthes analyse la
notion de réalisme en mettant l'accent sur « l'effet de réel
»32. « Dans cette
29 Alain Viala, « Roman », Le
dictionnaire du littéraire, PUF, 2002.
30 Alain Viala « Mimésis », Le
dictionnaire du littéraire, PUF, 2002.
31 Ibidem.
32 Roland Barthes, « L'effet de réel
», dans Littérature et réalité »,
Editions du Seuil 1982.
conception, le texte littéraire ne saurait être
pur reflet, mais il contient des ressemblances avec le réel, sous forme
de « petits détails concrets » ; ils produisent l'illusion qui
fonde l'esthétique de la vraisemblance. »33
La vraisemblance est corollaire de la
crédibilité. « Selon Aristote, le propre du poète
n'est pas de raconter ce qui est arrivé, mais ce qui pourrait arriver,
c'est-à-dire des événements imaginaires mais
crédibles : ainsi le vrai- semblable, tel que « la Poétique
» le définit, est lié à la fois à la fiction,
à la mimésis ou imitation du réel, et à un enjeu de
réception, « au croyable » »34. Ainsi donc la
fiction serait « une exploration d'un vrai supérieur au réel
ordinaire. »35
La vraisemblance peut s'envisager aussi bien d'un point de vue
interne (pas de place abusive au hasard dans l'intrigue) qu'externe
(liée à la doxa). Ce qui est essentiel, selon Boileau dans son
« Art poétique » (1674), c'est que le lecteur « y croie
» afin que soit possible la catharsis.
Pour que le lecteur puisse y croire, il faut donc qu'il y ait
illusion de la réalité. La vraisemblance avec l'oeuvre est
ressentie quand les lieux, les faits et les personnages correspondent aux
événements possibles de la civilisation contemporaine. Les
sociétés sont régies par un ensemble de règles, de
croyances, d'idées qui leur sont propres : nous appellerons cela la
doxa.
La doxa est une forme efficace de l'idéologie
dominante, elle s'apparente à la mémoire collective, à un
fond discursif commun. Il s'agit de tout ce qui est préjugés,
stéréotypes, etc. « Tout ce qui est figé dans la
langue, ce qu'on ne prend pas la peine d'énoncer avec précision
parce que cela va de soi »36, Barthes nomme cela les «
masques de l'idéologie ». Pour être vraisemblable, le roman
doit être en concordance avec les « mentalités » de son
époque.
Cependant, comme le rappelle Philippe Hamon, quoi que l'on
fasse, l'on n'atteint jamais le réel strict dans un roman, mais
seulement sa textualisation37. En littérature, le réel
« est pensé comme l'univers d'expériences (objets,
êtres, manières d'être, valeurs...) auquel un texte
33 Constanze Beathge, « Réalisme »,
Le dictionnaire du littéraire, PUF, 2002.
34 Denis Pernot « Vraisemblance » Le
dictionnaire du littéraire, PUF, 2002
35 Ibidem
36 Jean- François Chassay, « Doxa »,
Le dictionnaire du littéraire, PUF, 2002.
37 Philippe Hamon, « Un discours contraint
», dans Littérature et réalité, Edition du
Seuil, 1982.
renvoie.»38 La littérature romanesque
« fictionnalise la référence pour construire un simulacre
cohérent et crédible du monde. »39
Nous pouvons donc conclure que le roman se doit par nature
d'intégrer la réalité de sorte que « l'oeuvre de
fiction renvoie à un monde posé hors langage, elle n'est rendue
intelligible que par la perception des mises en relations qu'elle fait jouer
entre le monde qu'elle représente et le savoir que le lecteur
possède du monde où il vit. »40
Nous emploierons le terme réaliste pour répertorier
ces romans. Cependant, le terme réalisme renvoie également
à l'école réaliste du XIXème
siècle.
La question de savoir si le terme réalisme s'applique
exclusivement à cette école ou si l'on peut l'étendre
à une certaine production aussi bien antérieure que
postérieure a fait l'objet de nombreuses études. Nous suivrons
Auerbach, pour dire que « le réalisme devient une catégorie
universelle de la littérature, un mode fondamental de son rapport au
monde, et tend à se confondre avec l'application du « vrai -
semblable vrai ».»41 Nous le retrouvons déjà
entre autres dans la comédie de moeurs, la satire sociale, le
burlesque... Le terme, utilisé pour la première fois dans Le
Mercure de France en 1826, désignait « la littérature du
vrai ».
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