3. Législation.
Les marques sont protégées par le droit d'auteur.
Les grandes entreprises livrent une guerre résolue aux homonymes tout
comme aux emprunts, même allusifs (dans les chansons, par exemple).
Dans le magasine Lire, le juriste Emmanuel Pierrat
déclarait : « Les marques sont assez sourcilleuses car elles ne
sont protégées que si elles ne dégénèrent
pas. Cela signifie que si le grand public utilise une marque pour
désigner toute une catégorie de produits, la marque tombe. C'est
ce qui est arrivé à Frigo et à Pédalo. C'est
pourquoi les marques cherchent à la fois à être
citées par le maximum de gens, mais veillent farouchement à ne
pas l'être trop. »161
Existe-t-il des cas de procès où le titulaire d'une
marque se plaint de son utilisation dans un roman ? Selon l'avocat Alain
Berenboom, les attaques des produits de marque, contre des
« artistes » ou contre des revues sont
fréquentes. Lors d'un entretien qu'il nous a accordé, il a
cité notamment la chanteuse Lio attaquée par Mattel suite
à sa chanson « Barbie ». L'attaquant (Mattel) a perdu, tout
comme la firme Coca-Cola contre le magazine
« Playboy ». Les firmes ont peur de la banalisation.
Pourtant, la loi est assez vague à ce sujet. Toutefois, l'article 13 de
la CONVENTION Benelux, datant du 19 mars 1962, nous donne quelques
précisions. Il stipule que le droit exclusif à la marque permet
au titulaire de
160
http://www.caddie.fr
161 «Les écrivains corrompus par la pub»,
Lire, novembre 2001, numéro 300.
s'opposer dans un contexte économique. Le monde
littéraire étant hors des affaires, la confusion n'est pas
possible. Cependant, comme pour le nom propre, un nom de marque, cité
dans un contexte négatif, d'injure ou de diffamation, peut
entraîner des poursuites judiciaires selon le droit commun et de la
responsabilité civile. 162
Inutile donc d'évoquer autre chose qu'une «
voiture », un « cabriolet » ou un « coupé »
lorsqu'on décide dans son roman d'évoquer un accident de la
circulation épouvantable, ironise Emmanuel Pierrat.163
Dans les bureaux de la collection Série noire, Odile Lagay
(qui travailla longtemps avec Marcel Duhamel, directeur de cette collection) ne
manque pas de se rappeler les colères de la marque de lessive Saint-Marc
après avoir lu dans un Série noire que ce produit n'était
« pas terrible pour la propreté des commissariats. »164
Alain Berenboom nous a relaté avoir bien failli
être confronté à ce problème à cause de son
roman « La position du missionnaire roux ». Le héros, jeune
cadre dynamique de la société Nestlé, se rend au Congo
dans les années `80, en pleine période de scandale au sujet du
lait en poudre. En effet, l'auteur prend comme point de départ, le
procès qu'a intenté en 1974, la société
Nestlé contre le groupe de travail « Tiers Monde » au sujet
d'une brochure intitulée
« Nestlé tue les bébés » et qui a
dû être changée en « Nestlé contre les
bébés ». L'auteur avait rendez-vous pour un débat
télévisé avec un représentant de Nestlé mais
ce dernier s'est désisté. 165
La Cour d'Appel de Bruxelles, dans l'affaire Thermos, de 1951
124, nous éclaire un peu sur le moment à partir duquel un nom de
marque devient un nom commun. « Pour accepter la validité d'une
marque, c'est au moment du dépôt qu'il faut se placer. »
Pour reprendre le cas de « Thermos », la cour examine
d'abord si l'usage du mot « Thermos » comme terme courant
était antérieur à son dépôt. Si elle
décide qu'à ce moment-là, il est constant que la
dénomination « Thermos » constituait une nouveauté pour
qualifier des bouteilles isolantes, le caractère usuel a posteriori ne
peut lui enlever sa validité. La vulgarisation ultérieure d'un
mot ne peut affaiblir son usage exclusif comme marque de fabrique, lequel est
précisément garanti par son enregistrement.
162 Entretien avec Alain Berenboom, juriste.
163 «Les écrivains corrompus par la pub»,
Lire, novembre 2001, numéro 300
164 «Les écrivains corrompus par la pub»,
Lire, novembre 2001, numéro 300
165 Entretien avec Alain Berenboom, juriste.
Cet arrêt de la Cour d'Appel de Bruxelles note très
justement que lorsque le vocable d'une marque s'emploie comme terme
générique, cette vogue n'est pas l'indice de sa faiblesse
« c'est plutôt la preuve de son succès ».
Le fait est qu'une marque ne tombe pas à cause de son caractère
usuel a posteriori mais parce que son titulaire y a renoncé tacitement.
Pour que pareille renonciation existe, trois conditions sont requises. Il faut
d'abord un usage notoire de la marque sous forme d'un terme
générique. Ensuite et surtout, il faut que ce mot usuel serve
à désigner des produits similaires provenant de concurrents.
Enfin, le titulaire de la marque doit avoir toléré cet usage
d'une façon non équivoque. Il est à remarquer que parmi
ces trois éléments, celui qui est décisif n'est pas
l'usage courant par le public, l'arrêt le dit expressément: «
cet usage, le propriétaire ne peut l'empêcher ». Ce qui est
déterminant c'est que la marque générique serve à
la désignation d'objets identiques provenant de concurrents ; ce que le
titulaire laisse faire. La caducité n'est pas due alors à la
faiblesse du vocable en tant que marque, sa véritable cause c'est la
tolérante faiblesse du titulaire. »
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