Twingo, Vuitton, Lexomil, Carambar et Roudoudou... étude de l'utilisation des marques de publicité dans les romans contemporain( Télécharger le fichier original )par Laetitia van de Walle Université Libre de Bruxelles - Licence en Langues et Littératures Romanes 2005 |
2. Linguistique.«La marque sert à garantir au consommateur l'identité d'origine du produit. »153 De ce fait, l'usage de la majuscule est obligatoire, même pour les marques présentes dans le dictionnaire des noms communs, d'ordinaire suivies de la mention « nom déposé » ou « marque déposée » avec la date de déposition. Pourtant, comme le dit Vincent Nyckees : « les noms de marque ont un statut très particulier et une certaine effervescence néologique les entoure à notre époque. L'« oubli » de la majuscule nous semble d'ailleurs une illustration de ce statut particulier : l'objet participe à la fois du nom commun, en vertu d'une logique de production de série (en l'occurrence industrielle) et du nom propre, en vertu d'une logique de propriété marchande (puisqu'on vend un concept, parfois breveté, ainsi qu'une image de marque), d'une logique publicitaire et «mercatique» (visibilité d'un produit qui doit être fortement identifiable sur le marché), d'une logique sociologique de «distinction», etc. »154 L'usage de la majuscule découle de cette inaptitude à définir le caractère commun ou propre d'une marque. S'il est vrai que pour certaines marques récentes, le problème ne se pose pas ; en revanche, des noms comme bic, kleenex , coca-cola, vélux, martini, polaroïd, caddie... présents dans le Robert des noms communs, avec mention de la date de déposition, sont utilisés dans les exemples du dictionnaire sans majuscule. Pourtant, s'il nous paraît limpide que bic et kleenex aient remplacé stylo à bille et mouchoir en papier, sans apporter de réelle précision quant à l'objet décrit, étant donné leur statut d' « invention » ; le vocable coca-cola, supposé s'appliquer à toutes boissons gazeuses à base de coca et de cola, évoque encore le logo rouge mondialement connu de Coca-Cola. Ces « marques-noms » n'ont donc pas tous le même statut. Certaines prennent la marque du pluriel, d'autres pas. Les grands succès commerciaux de certaines marques ont parfois, pour contrepartie fâcheuse, une véritable «banalisation» qui finirait par transformer la marque déposée en un nom commun ou générique si son titulaire ne réagissait pas périodiquement. Exemples: réfrigérateur /Frigidaire, fibre artificielle/Nylon, avertisseur sonore/Klaxon, allumeur /Delco, colle/Superglue, bouteille isolante/Thermos, mélange en solution de désinfectant/de l'eau de 153 CJCE 22 juin 1976, affaire 119/75 ; arrêt Terrapin. 154 Entretien internet avec Vincent Nyckees. Javel etc. Les producteurs et distributeurs ne devraient pas manquer de le rappeler par les nombreux médias : presse, radio, télévision, cinéma, affiches etc.155 Dans « Ensemble, c'est tout » d'Anna Gavalda, Camille va vivre dans une chambre de bonne où il n'y a rien. Pour l'aider, le couple de galeristes lui donne le minimum pour s'installer dont un minuscule Frigidaire (p 36). A première vue, nous sommes tentés de dire que le nom « frigidaire » est entré dans le langage courant et que la majuscule ne se justifie pas. Pourtant la marque Frigidaire existe encore et a pour slogan : « Solution for real life »156. Camille, après s'être fait berner, pourrait très bien décider que dorénavant elle ouvrira les yeux et ne se fera plus abuser. Elle entre dans la vie réelle. En revanche, quand on utilise l'abréviation « frigo », nous entendons actuellement qu'il s'agit d'un réfrigérateur, sans marque précise. Il est intéressant de remarquer que même si certaines marques font aujourd'hui partie du langage courant, rien n'empêche l'auteur de les écrire avec une majuscule. Parfois nous pouvons le comprendre car le nom renvoie réellement à la marque. Nous verrons les différents cas de figure par rapport aux noms communs-marques que nous avons le plus souvent rencontrées au sein de notre corpus. À savoir : Kleenex, Polaroïd, Coca-Cola, Bic, Post-it, Caddie. -Kleenex : marque déposée en 1925, nom masculin qui signifie mouchoir en papier jetable. Les mouchoirs de marque Kleenex existent toujours aujourd'hui, ce sont « des mouchoirs de qualité qui offrent à la fois confort, soin et prestige, douceur et résistance. »157 Produit de Kimberky Klarc, Kleenex est aujourd'hui leader dans le monde, en Europe, et numéro 2 en France. Nonante-cinq pour cent des Français connaissent cette marque, première marque de mouchoirs en papier au monde.158 Dans « Le merveilleux divorce de Juliette B » de Sylvie Medvedowsky, Juliette dit : « Pour bloquer la fontaine, j'ai attrapé la boîte de Kleenex . » (p 28) Juliette se compare à une fontaine à cause de son chagrin d'amour. Alors elle pleure toutes les larmes de son corps. 155 http://www.progexpi.com/htm43.php3 156 http://www.frigidaire.com/ 157 http://www.kcprofessional.com/fr/washroom/kleenex.asp 158 http://www.superbrands.org Les Kleenex ont la particularité de se vendre en boîte. Cependant, aujourd'hui ce ne sont plus les seuls à être présentés dans ce type d'emballage. Nous pourrions donc croire que malgré la majuscule, ces mouchoirs ne sont pas de vrais Kleenex, d'autant plus que peu de temps après, en évoquant une aventure qu'elle a eue avec un artiste fauché, elle se lamente : « Il n'aurait même pas lâché cinq euros pour m'offrir un paquet de Kleenex de chez Hermès. » (p 33) Dans ce cas-ci, l'usage de la majuscule ne se justifie pas du tout, il s'agit vraisemblablement d'une erreur de l'auteur, et plus flagrante encore dans le second cas, car il est absurde de parler de Kleenex Hermes. Dans « Le silence des hommes » de Christine Orban, Idylle utilise les Kleenex pour leur qualité absorbante. « Son sperme coule le long de mes jambes. J'attrape la boîte de Kleenex sur ma table de nuit pour m'essuyer. » (p 149) En effet, les Kleenex sont connus pour leur résistance.« Je me lève, évite de m'approcher de la porte, me dirige vers la salle de bains, mon Kleenex à la main, le jette dans les toilettes et tire la chasse d'eau. Je ne possède plus rien de lui. » (p 212) « J'aurais aimé remplir ma boîte en porcelaine, la remplir à ras bord et plus encore, j'aurais voulu collectionner les Kleenex, en avoir dix mille pleins de lui. » (p 216) Il est impossible ici de savoir si l'héroïne utilise des Kleenex ou des kleenex. Dans le « Châtiment de Narcisse » de Bruno de Stabenrath, Bazette, après s'être fait frapper, gémit : « Apportez-moi des Kleenex. » (p 117) Cette action se situe chez un concessionnaire American Car. Bazette est habillé en Cerruti, nous sommes dans la haute société, il est probable que ce soit de véritables Kleenex. -Polaroïd : marque déposée en 1963, nom masculin désigne un appareil photographique de la marque de ce nom utilisant le procédé et permettant d'obtenir très vite une épreuve positive, dans l'appareil même. Abusivement, tout appareil photo de ce type. Photo obtenue à l'aide de cet appareil. Nous pourrions considérer également que ce terme est employé actuellement pour toutes sortes de photos. Dans « Le châtiment de Narcisse » de Bruno de Stabenrath, Hugo croit voir Annabel dans une baignoire avec une autre fille tandis qu'un photographe les mitraillait au flash. Hugo se dit que le lendemain Annabel va se réveiller et découvrir « des dizaines de Polaroïds froissés dans sa culotte. » Nous sommes ici dans un cas de dilemme : bien qu'il nous paraisse peu probable qu'un photographe professionnel fasse des photos à l'aide d'un Polaroïd, c'est la seule possibilité pour qu'Annabel ait des Polaroids dans sa culotte. Mais elle n'en a pas. Cette scène est-elle une hallucination d'Hugo, ou le photographe ne les a-t-il pas encore révélées ? Quoi qu'il en soit, ici les Polaroïds ne sont certainement pas des appareils photos de la marque. Les photos sont-elles prises avec cet appareil, ou un appareil du même type, mais alors pourquoi mettre une majuscule ? Cet usage reste mystérieux. Dans « L'amour dure trois ans » de Frédéric Beigbeder, nous sommes dans le même cas de figure que dans le roman précédent. « Anne cherchait sa brosse à cheveux et fut décoiffée par un Polaroïd de femme assorti de quelques lettres d'amour qui n'étaient pas d'elle. » (p 39) A la fin du roman, Marc et Alice sont heureux et amoureux, « ils prennent des Polaroïds comme celui qu'Anne avait découvert » (p 166). Nous avons déjà analysé ces Polaroïds pour leur fonction de destinataire dans l'intrigue. Il se pourrait que ce soit des photos issues d'un Polaroïd, mais le nom ne mérite pas de majuscule. Dans « Je vais bien ne t'en fais pas » d'Olivier Adam, Claire regarde un album de photos, elle se rend compte qu'il y a peu de clichés son père, « sauf les tout premiers, avec les photos en noir et blanc, les Polaroïds ». (p 112) Nous pouvons croire que les Polaroïds sont ici véritablement issus d'un appareil du même nom. Les tous premiers étaient en effet en noir et blanc, de plus elle utilise tout d'abord le nom « photo » avant de préciser qu'il s'agit de Polaroïds. Cependant, même si le nom est devenu commun, si la marque continue d'exister, l'emploi de la majuscule pose toujours un problème pour ce qui concerne le produit d'une marque. Dans « La dilution de l'artiste » de Jean-Philippe Delhomme, Machond se rend à un casting. Il prend des photos de lui pour vérifier s' il a bien l'air d'un peintre : « Il avait pris quelques polaroïds pour juger de l'effet qu'il produisait : les polaroïds l'avaient mis au désespoir. » (p 8) -Post-it : nom masculin invariable, déposé en 1985. Nous dirons même que c'est le seul terme qui existe pour décrire ces petits morceaux de papier partiellement adhésifs, repositionnables à volonté. Dans « Le merveilleux divorce de Juliette B. » de Sylvie Medvedowsky, Juliette met des Post-it dans sa cuisine. (p 175) Ce pourrait être n'importe quelle sorte de post-it. Dans « Ensemble, c'est tout » d'Anna Gavalda, les amis de Camille lui laisse un Postit pour lui signifier que son compte est toujours ouvert. Ils ont assez de délicatesse pour lui dire qu'ils vont l'aider financièrement, mais pas de vive voix. Le post-it ici, malgré sa majuscule, n'est peut-être pas de marque. Dans « L'amour dure trois ans » de Frédéric Beigbeder, suite à son constat consternant, l'auteur « colle un Post-it sur la télé : TOUT HOMME ENCORE EN VIE APRÈS 30 ANS EST UN CON.» (p 58) Autrement dit, il laisse un mot. Nous n'avons aucun moyen de savoir s'il s'agit de la marque ou du terme générique. -Coca-Cola : marque déposé en 1886 pour coca et cola. Nom masculin invariable qui veut dire boisson gazéifiée à base de coca et de noix de cola. Le dictionnaire précise que le terme « un coca-cola » désigne une bouteille, une canette, un verre de cette boisson. Il mentionne aussi l'abréviation courante un coca. Le dictionnaire ne donne pas le pluriel de « coca » mais l'usage tend à lui donner la marque du pluriel. Il est assez déroutant de constater que Coca-Cola est encore très présent en tant que marque dans nos esprits. Dans « L'amour dure trois ans » de Frédéric Beigbeder, Marc décide de se suicider. Pour ce faire, entre autres choses, il avale « le verre de Coca-Cola contenant les anxiolytiques écrasés.» (p 59) Il est bien connu que ce mélange est efficace pour sombrer. Nous pouvons déduire, par l'utilisation de la majuscule, que le cocktail ne fonctionne pas avec une autre marque que Coca-Cola. En revanche, plus tard, l'auteur utilise le terme avec une minuscule : « À l'heure des repas, Marc mélange les chips au fromage et le chocolat au lait, le coca-cola et le vin » (p 180), nous pouvons penser que dans ce cas-ci l'auteur boit un ersatz de Coca-Cola. Dans « le merveilleux divorce de Juliette B. » de Sylvie Medvedowsky , Juliette et Paul ont offert à Arthur un anniversaire au MacDo. A cette fête, le Coca coule à flots. La marque Coca étant en partenariat avec MacDo, la mention de Coca ne peut renvoyer qu'à la marque. Dans « Je vais bien, ne t'en fais pas » d'Olivier Adam, juste avant de prendre la route des vacances, Claire rentre chez elle, « prend ses lunettes de soleil, avale une gorgée de Coca, prend le sac et repart. » (p 34) Cette abréviation de la marque est considérée comme boisson rafraîchissante, énergisante, qui contient de la caféine, idéale avant une longue route et après une journée de travail. Claire prend des forces. Bien que cela puisse également être l'apanage d'une autre marque. Ces boissons contiennent toutes beaucoup de sucre et de la caféine. Claire est jeune et c'est particulièrement cette classe de gens que vise la marque Coca-Cola. Dans « Ensemble, c'est tout » d'Anna Gavalda, à l'hôpital, Franck va prendre « un coca au distributeur. » (p 49) Nous sommes ici dans un emploi indéterminé de la marque. -Bic est une marque déposée en 1960. C'est un nom masculin qui signifie stylo à bille de cette marque, et abusivement, stylo à bille en général. Bic est le premier fabricant mondial de stylos à bille et un des leaders dans les articles de papeterie. En décembre 1950, Mr Bich lance son propre stylo-bille, pratique et d'un prix abordable, auquel il donne le nom de « Bic», version raccourcie et facilement mémorisable de son propre nom. La fameuse pointe Bic était née !159 Dans « La dilution de l'artiste » de Jean-Philippe Delhomme, on tend à Machond un Bic pour signer. (p 36) Il pourrait s'agir de n'importe quelle marque de stylo bille, la majuscule ne se justifie pas. Par contre quand Machond compare le cinéma aux autres arts, il demande entre autres au réalisateur s'il trouve que ses films pourraient égaler « un texte de Beckett, écrit à la pointe Bic.» (p 121) L'époque de Beckett semble plus propice à l'utilisation d'un bic de la marque Bic. La construction de la phrase confirme ce sens. Nous pensons que pour un bic commun, il aurait été plus correct de dire « à la pointe d'un bic ». Dans « Le temps des Dieux » de Dominique Barbéris, la petite fille se rappelle les rentrées scolaires. « On avait des gommes bicolores et des Bics, des compas en inox, des beaux buvards.... » (p 71). Impossible de savoir avec certitude s'il s'agit ou non de la marque. -Caddie : nom masculin qui prend la marque du pluriel. Ce mot est entré dans le dictionnaire en 1952. Il s'agit d'un petit chariot métallique pour transporter les denrées 159 http://www.bicworld.com/inter fr/stationery/product history/index.asp dans les libres-services et les bagages dans les gares ou les aéroports. C'est aussi une poussette pour faire le marché. La marque Caddie est née en 1928 en Alsace et est aujourd'hui internationale. Cette société produit toutes sortes de chariots et s'est également diversifiée dans le stockage et la manutention logistique.160 Dans « Ensemble, c'est tout » d'Anna Gavalda, Yvonne et Paulette vont faire des courses à l'Inter (p 13 et 16), si elles arrivent trop tard, elles ne trouvent plus de Caddies près des caisses. Il s'agit de chariots de supermarché en métal, probablement avec un logo des Mousquetaires. En revanche, à Paris, Camille et Paulette vont au supermarché en traînant leur Caddie à roulettes. (p 416) Il s'agit d'une poussette pour faire ses courses. |
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