Première alternance politique au Sénégal en 2000: Regard sur la démocratie sénégalaise( Télécharger le fichier original )par Abdou Khadre LO Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - DEA Science Politique (Sociologie Politique) 2001 |
2. ...Et la pauvretéLes électeurs sénégalais en changeant de gouvernants aspirent à l'arrêt de la gabegie et de la corruption. Ils appellent une justice pour tous et surtout l'amélioration de leurs conditions de vie. Au Sénégal, plus d'un tiers de la population vit encore en dessous du seuil de la pauvreté, et un jeune sur deux n'a pas d'emploi en zone urbaine31(*). Dans ces conditions, même la crise de distribution qu'évoquait Lucian W. Pye comme un facteur stimulant de développement politique32(*), n'aurait aucun sens, tout simplement parce qu'il y a rien à se distribuer ou à s'approprier. La dégringolade de l'économie sénégalaise est donc l'un des principaux éléments, sinon la principale, à l'origine de l'effondrement du PS. Depuis la dévaluation du franc CFA en 1994, le produit intérieur brut (PIB) augmente chaque année de 5% en moyenne, et après le redressement des finances publiques, le déficit budgétaire ne dépasse pas 1,2% du PIB. Avec une inflation enviable de moins de 2%, le Sénégal est aujourd'hui l'un des pays de l'Union Monétaire Ouest-africaine (UEMOA) à créer le plus de richesse. C'est justement ce que le PS au pouvoir saluait comme une « performance », après l'évolution chaotique des années 1970-1985. Ces performances macro-économiques et le respect des programmes de réformes structurelles, préconisés par les bailleurs de fonds, ne servaient cependant qu'à améliorer l'image externe d'un Sénégal qui revendique le titre de bon élève des institutions de Brettons Woods. S'il est aujourd'hui un pays qui se veut à la fois un « modèle de démocratie et de stabilité » et un « défenseur de l'économie de marché » en Afrique noire, le Sénégal n'en demeure pas moins extrêmement pauvre. Tout en recevant chaque année 600 millions de dollars d'aide étrangère, il manque pourtant de l'essentielle : l'eau et l'électricité. Et du fait d'une croissance trop faible pour absorber l'impact de la croissance démographique (2,8% en 1997), de la rigueur de l'ajustement, et de stratégies erronées, la situation sociale des sénégalais s'est sensiblement détériorée au cours des vingt dernières années, en ville comme dans les campagnes. La récession économique persistante a pris fin en 1994. Le déficit de la balance des paiements a atteint son point culminant en 1993 et le déficit budgétaire en 1994. Dans le même temps, on a noté comme effets induits de la dévaluation une augmentation de la dette extérieure et intérieure ainsi qu'une plus grande accumulation des arriérés. Le club de Paris a procédé en 1994 et à nouveau en 1998 à des facilités perceptibles. L'amélioration stable de la situation budgétaire sans subventions extérieures pour les dépenses courantes, s'est amorcée tandis que le déficit budgétaire estimé à 36,8 milliards de F CFA était en 2000 à 25,1 milliards de F CFA. Mais non seulement l'aide, mais aussi les fruits de la dite croissance économique, sont très mal répartis. Or, au sommet de l'échelle, un cinquième de la population s'accapare 58% des richesses, et au bas de celle-ci, un autre cinquième vit avec seulement 3% du revenu national. Nous n'allons pas, ici, détailler toutes les statistiques concernant la situation socio-économique sénégalaise, qui dépasse largement l'objectif principal de notre analyse. Nous nous bornerons à l'explication minimale des choses, indispensablement importantes. En réalité, les réformes entreprises au Sénégal ne sont pas mises en oeuvre avec plus de succès qu'ailleurs. Le prix de l'énergie, bien sûr, mais aussi celui de la main-d'oeuvre et du transport ne sont pas compétitifs. Autant dire que la croissance sénégalaise est soutenue, une fois de plus, par l'aide extérieure33(*). De gré ou de force le Sénégal participe à ce que le FMI et la Banque mondiale appellent la « bonne gouvernance », mais son économie présente encore aujourd'hui, pour les contribuables sénégalais, les mêmes blocages structurels qu'il y a vingt ans. Aussi, pour les électeurs, il s'agissaitt bien d'un problème de gestion et de transparence, consécutifs à l'absence de contrepoids au pouvoir socialiste et d'une discipline interne. Les populations excédées par cette situation voulaient chan ger les gouvernants en espérant qu'en changeant les hommes, les nouveaux pourront résorber le chômage des jeunes, réformer le système éducatif paralysé depuis une décennie par des grèves et surtout réduire cette pauvreté, qui a atteint des proportions alarmantes surtout dans l'agglomération dakaroise.
En effet, l'exode rurale, la migration vers les villes et principalement la capitale se développe de manière dramatique ; la pauvreté touchant surtout les habitants des zones rurales. Mais cela n'exprime que de manière relative la misère dans les banlieues de Dakar. La situation de pauvreté se reflète aussi dans la répartition des revenus : les 20% de la population du bas de l'échelle détiennent 3,6% de la globalité des revenus, tandis que les 20% du haut de l'échelle détiennent environ 58% de la globalité des revenus34(*). La situation socio-économique touche, de manière particulièrement dure, les femmes et leurs bases économiques, l'accès à la terre, au travail, à l'éducation, aux crédits, aux marchés etc. Bien que les femmes représentent 53% de la population, leur part dans la population active est seulement de 39%. * 31 En 1994, la dévaluation du franc CFA ayant brutalement renchéri le prix des médicaments, produits alimentaires et vêtements importés, le secteur informel, déjà pléthorique, n'est devenu qu'un cache-misère : quelques 400 000 personnes vivaient avec moins de 75F CFA par jour à Dakar. C'est justement le prix de la croissance soutenue et de l'inflation maîtrisée. Par ailleurs, au palmarès du développement humain, Sénégal occupe la 153ème place sur 174, après Zambie (151ème) et Haïti (152ème). Cf. Rapport mondial sur le développement humain, PNUD, Paris, 1999. * 32 Cf. Pye, Lucian W., Aspects of Political development, Boston, little Brown, 1967. * 33 Entre 1960 et 1993, les sénégalais ont reçu des montants plus de quatre fois supérieurs à l'aide moyenne par habitant accordée aux pays d'Afrique subsaharienne. Aujourd'hui encore, la France, les Etats-Unis, les monarchies du Golfe, mais également le FMI et la Banque mondiale ne refusent quasiment rien au Sénégal. CF. Assou Massou, « Sénégal Présidentielle 2000 : Ce qui doit changer », Jeune Afrique, N°2045, 21-27 mars 2000, pp. 22-25. * 34 Jeune Afrique N°2045, pp. 22-25. |
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