1. Importance de l'Islam dans la vie politique
sénégalaise..................................86
2. La crise du « Ndiguël » ou consigne
de vote................................................89
3. Le « Ndiguël »
timoré et inefficace en
2000................................................90
CONCLUSION..........................................................................................93
Introduction
Si les transformations institutionnelles et politiques ont
été sans conteste déterminantes dans le processus de
l'alternance politique au Sénégal, en mars 2000, les
véritables acteurs de ce changement sont les électeurs
sénégalais. Le chanteur prophétisait « l'an 2000
atoum na tangué la » (en français, l'an 2000
sera l'année de la prospérité) et Senghor, le
Président-poète, promettait : « en 2000 Dakar sera
comme Paris ». Il semble qu'à défaut de faire de Dakar,
un autre Paris, les sénégalais ont voulu faire de l'an 2000,
l'année d'un nouveau départ.
En effet, il faut voir dans l'alternance ou le
« Sopi » de l'an 2000, une forte demande sociale.
Les populations sénégalaises, excédées par la
corruption des dirigeants et la pauvreté ont décidé, pour
entrer dans le troisième millénaire, de remplacer le
régime socialiste après quarante années de règne.
Ce changement n'a été possible que grâce
à un vote massif des jeunes qui ont saisi l'opportunité qui leur
était offerte de voter à partir de dix huit, pour exprimer leur
mécontentement à Diouf et au Parti Socialiste.
Les médias privés ont, pour leur part,
contribué de manière significative à la transparence du
débat politique. En effet, la presse écrite, très critique
et essentiellement présente dans les centres urbains et les radios en
langues nationales permettant à la totalité des
sénégalais d'accéder à l'information ont
joué un rôle prépondérant dans les scrutins de
février et mars 2000.
Enfin, la crise du
« Ndiguël » ou consigne de vote des
confréries religieuses musulmanes du Sénégal est à
prendre en considération pour toute tentative de compréhension de
l'avènement du « Sopi ».
I / UNE FORTE DEMANDE SOCIALE
« Les événements dans les Balkans,
avec la chute de Milosévic, mais également l'évolution
démocratique au Mali et au Bénin ont fait , entre autre, que les
sénégalais avaient un peu honte, d'être les derniers de la
classe. Il y a un orgueil sénégalais qui été
touché car le pays avait toujours été placé en
tête des pays africains et cité en exemple de démocratie,
depuis Senghor. Donc, on a été frustré d'être les
derniers de la classe. C'était un mirage. On avait une démocratie
sans alternance et mieux on avait encore au Sénégal quelques
pratiques anti-démocratiques qui étaient intolérables. Il
s'agissait essentiellement des pouvoirs absolus du Président de la
République et de l'assemblée nationale qui n'était rien
d'autre qu'une chambre d'applaudissement pour les socialistes. Tout cela a
contribué au fait que les sénégalais aient dit
« Basta » à Diouf et au parti
socialiste. » (S. Kanté, journaliste au Cafard
Libéré).
Il faut dire que le Sénégal (plus
particulièrement ses dirigeants politiques) avec son multipartisme assez
précoce s'est toujours targué d'être le chantre de la
démocratie en Afrique et très souvent
célébré comme telle. Cependant, les personnes averties
n'étaient pas dupes, le Sénégal vitrine de la
démocratie n'était qu'un mythe. Toutes les fabrications
idéologiques, initiées par Senghor et consolidées par
Diouf, qui allaient dans le sens du renforcement de cette
légitimité historique de la démocratie
sénégalaise, étaient peut être encore
opérationnelles chez les bailleurs de fonds (ce qui n'est pas certain)
mais étaient devenus tout à fait inefficaces auprès des
sénégalais.
Il y avait chez les sénégalais et plus
particulièrement les jeunes une frustration politique due au sentiment
de vivre dans une démocratie confisquée, sans alternance. La
demande sociale était de changer cet état de fait.
En effet, il apparaissait aux yeux de beaucoup de
sénégalais que leur démocratie, malgré
l'instauration du multipartisme intégral, depuis 1981, participait d'une
logique d'affabulation n'ayant jusque là donné lieu ni à
des élections transparentes et sans contestations, ni à la
possibilité d'une alternance démocratique. Devant les subterfuges
du pouvoir, ce sentiment qui était largement partagé,
ajouté aux difficultés économiques et sociales de ces
dernières années présageait d'une issue politique
très incertaine pour le Parti Socialiste.
1. Une population excédée par la
corruption.
Savoir qui a initié le mouvement de renversement du
pouvoir socialiste, les partis politiques ou bien les populations
sénégalaise, nous semble relever de la même gageure que de
discuter de la question de la primeur de l'oeuf ou de la poule. Il est
cependant évident qu'il y a une forte demande sociale derrière
l'alternance politique sénégalaise. « En 1998,
l'opposition était encore partie aux législatives en ordre
dispersée. A l'époque, on remarquait déjà la
réduction continue de l'électorat socialiste et nous faisions des
projections pour dire que si la tendance se maintenait, le capital socialiste
aurait énormément de difficultés pour les
présidentielles de 2000. De là, il y a eu probablement la
pression de la demande sociale qui s'est fortement accentuée ces
dernières années.» (Alioune Fall, Le Matin).
La pauvreté endémique et la corruption
généralisée, surtout dans l'administration, qui aux yeux
des sénégalais, représente l'Etat, sont des
éléments de compréhension.
« Les sénégalais ont voté pour
Wade pour rompre avec le passé. On avait besoin d'un changement de
système. Moi j'ai été dans l'administration et je sais
comment on s'y enrichit. Vous voyez un agent qui normalement gagne 80 000 F
CFA (800 FF) vivre avec 500 000 F CFA/mois. Un fonctionnaire est puissant dans
ce pays. Il peut bloquer un milliardaire parce que tout simplement il a un
pouvoir de signature. La corruption des policiers et le racket qu'ils exercent
sur les citoyens est un autre fléau dans ce pays. Et cette corruption
est notable à tous les niveaux de l'Etat. Un ministre gagne
normalement 400 000 F CFA mais on leur octroie un million en plus. C'est
lamentable. Moi je veux bien qu'on dise qu'un ministre doit être bien
payé quitte à lui donner 5 millions/mois mais vous n'avez pas le
droit de faire des dessous de table. Et ça c'est le sentiment de
beaucoup de sénégalais.» (M. T, journaliste au quotidien
Le Populaire).
Aussi les sénégalais avait l'impression que leur
démocratie, tant vantée à l'extérieur
était gangrenée de l'intérieur, par quarante années
de pouvoir socialiste. Les performances économiques leur semblaient
dérisoires et Diouf était le coupable désigné.
« Ils voulaient à tout prix faire partir Diouf et le PS parce
qu'ils avaient accaparé l'assemblée nationale. Toutes leurs
décisions passaient comme lettres à la poste. Ils avaient la main
mise sur la justice qui n'osait pas prendre des décisions contraires aux
intérêts des hommes politiques au pouvoir, sans oublier
l'enrichissement illicite, les détournements de fonds etc. »
(Mouhamed. B. Diop, rédacteur en chef du quotidien Le Matin).
En fait, la politique de main basse sur l'économie,
déjà présente sous Senghor, s'est renforcée avec
une plus grande visibilité sous le règne de Diouf. Peut
être que l'accroissement de la pauvreté et la rareté des
ressources l'ont rendu plus inacceptable aux yeux des populations
laissées pour compte. En effet, Senghor avait réussi (grâce
à sa complicité naturelle avec la France), à entretenir,
sans beaucoup de perturbations, l'illusion de la « vitrine
démocratique sénégalaise ». Son successeur,
Abdou Diouf, a eu moins de chance (desservi par le contexte économique),
mais, peut-être aussi, moins de tact. Cela explique le fait que ce soit
sous le règne de Diouf qu'il y a eu les premières
véritables crises de légitimation de type autoritaire. Car
à la fin des années 1980, et surtout à partir de 1988, le
modèle clientéliste sénégalais qui avait si
brillamment réussi, commençait à montrer des signes
d'essoufflement. La situation dans laquelle existait une sorte de contrat
social liant, par des arrangements politiques d'assistance mutuelle, l'Etat
d'un coté les patrons politiques et les marabouts de l'autre
commençait à battre de l'aile.
Pourtant le président Diouf, conscient des
montées de la contestation, avait initié un ensemble de
réformes institutionnelles : un gouvernement de majorité
présidentielle qu'on peut interpréter comme une sorte de
démocratie consensuelle avec des avantages et des inconvénients,
l'élaboration d'un code électoral, la libération de
l'espace radiophonique, la création de l'ONEL, la nomination d'un
ministre de l'intérieur supposé neutre parce que provenant de la
« grande muette » (l'armée), l'adoption d'une option
technocratique qui marquait la volonté de rompre avec le système
du « Parti-Etat ».
Cependant, il est illusoire de croire que les ajustements
introduits par le président Diouf ont réussi à mettre un
terme au clientélisme et à effacer les logiques autoritaires et
néo-patrimoniales. En effet, au même moment où il
procédait aux réformes signalées plus haut et
considérées comme positives pour l'affirmation d'un état
et d'une société démocratique, le pouvoir du P.S renouait
avec la logique néo-patrimoniale, en prenant une série de mesures
consécutives, dont le seul but était d'enrichir les dignitaires
du régime afin de leur donner des moyens suffisants pour l'entretien de
la clientèle électorale.
Il procéda ainsi à l'augmentation de 33% de
l'indemnité journalière des gardes de corps de l'Etat et des
dépenses diplomatiques, à l'augmentation de 34% des salaires des
matérielles de l'Etat et de 33% du budget de l'assemblée
nationale.
Comme dans tout système néo-patrimonial, l'on
préférait assurer la promotion des
« notables » et autres « patrons
politiques », ce qui pourtant annihilait tous les efforts consentis
par les populations dans le cadre du rétablissement des
équilibres macro-économiques visés par les programmes
d'ajustement structurel.
Seulement, la logique néo-patrimoniale fondée
sur la satisfaction des besoins des « parents politiques »
ignorait les solidarités sociales et méconnaissait les
compassions. La preuve la plus éclatante pour le Sénégal,
c'était l'augmentation de députés (de 120 à 140)
à laquelle procéda le PS en 1998 et la création d'une
nouvelle institution (le Sénat) dont certains des membres étaient
nommés directement (donc non élus) par le Président de la
République. La « privatisation » de la politique
était faite que le « prince » (détenteur du
pouvoir exécutif) avait un droit de regard sur le pouvoir
législatif, en ayant la possibilité par exemple, de
désigner des sénateurs qui étaient comme ses
représentants personnels dans les institutions législatives. Il y
avait une véritable absence de distinction entre domaine privé et
domaine public, ce qui caractérise aussi un système
patrimonial.
Pendant que Diouf procédait à l'augmentation du
nombre de députés, malgré la désapprobation
générale, plus d'une centaine de diplômés de l'Ecole
Normale Supérieure de Dakar faisait la grève de la faim pour
réclamer leur recrutement dans un secteur éducatif qui manquait
cruellement de professeurs. Face à l'indignation et à la
colère des populations, la seule réponse de l'Etat a
été : « il faut qu'une majorité serve
à quelque chose ».
Alors, force était de constater que face aux exigences
de la politique locale, les injonctions des institutions financières
internationales et des puissances politiques extérieures, l'Etat
néo-patrimonial sénégalais était en crise. Tout
cela se faisait avec une telle dextérité que les partenaires
stratégiques internationaux ne purent pas (ou ne voulurent pas)
percevoir que la légitimité déjà chancelante de
l'Etat socialiste avait atteint un seuil critique. Seuil d'autant plus critique
que les effets pervers de l'Etat néo-patrimonial étaient
désormais révélés au grand jour par les
médias qui n'ont cesse de contester le modèle étatique
sénégalais et de dénoncer les nouveaux
procédés de légitimation du pouvoir socialiste.
Dès lors, ni le marketing d'Etat savamment
orchestré pour faire effet sur l'extérieur, ni le verrouillage de
l'appareil judiciaire, ni le déploiement du système de
répression policier, ne pouvaient empêcher l'expression des
ressentiments d'une jeunesse en rupture profonde avec le régime
quarantenaire du PS, et qui constituait plus de 40% de l'électorat
sénégalais. Tous les ingrédients du scénarios de
1988 étaient réunis en l'an 2000, prêts à exploser,
sans possibilité d'être contenus cette foi-ci, par un quelconque
leader politique, fut-il charismatique et historiquement légitimé
pour porter la contestation sociale.
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