Première alternance politique au Sénégal en 2000: Regard sur la démocratie sénégalaise( Télécharger le fichier original )par Abdou Khadre LO Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - DEA Science Politique (Sociologie Politique) 2001 |
3. Un vote pour WADE ou contre DIOUF?Au travers des entretiens que nous avons réalisés, il s'avère que les sénégalais ont voté pour faire battre Diouf, qui est responsable, à leur yeux, de la crise économique et du chômage, plutôt que pour élire Wade. A ce stade de l'analyse, il nous faut revenir sur ce dernier pour comprendre un peu mieux la situation. Il faut dire que Abdoulaye Wade est autant un personnage qu'un phénomène politique pour beaucoup de sénégalais. A 74 ans il partait avec un certain handicap car pour certains, il était un homme du passé. Ce à quoi son camp politique répondait dans la presse, en citant le cas de Nelson Mandela, devenu président à 72 ans en ayant passé trente ans en détention. La comparaison est osée, mais non absurde. Après trente années dans l'opposition, Wade a montré sa ténacité et s'est forgé une identité. Ainsi il apparaissait à l'orée du troisième millénaire comme un de ceux qui pouvaient incarner le mieux l'alternance ou « Sopi » (le changement), un slogan magique qu'il avait trouvé dans ses premières années de campagne. Aussi, il n'est pas exagéré de dire que le l'homme s'est identifié à ce slogan, devenu le seul signe de ralliement pour une jeunesse désenchantée et toute une population urbaine qui s'est vu rattrapée au fil des années par la paupérisation. Si les sénégalais voulaient se débarrasser de Diouf, « trop éloigné des réalités du peuple » Wade fait, lui aussi figure de nanti, dont le style de vie l'éloigne du sénégalais moyen. Juriste de formation et ancien doyen de la faculté de droit de Dakar, l'avocat d'affaires aura passé une bonne partie de son existence politique à l'étranger, d'où il rentrait rituellement avant chaque période électorale pour un « retour » au pays soigneusement organisé par ses sympathisants. S'il s'est toujours revendiqué libéral, ses alliances dans l'opposition l'auront toujours porté vers les partis de gauche, d'obédience marxiste plus ou moins affirmée, qui ont constitué (comme nous l'avons déjà souligné), le « noyau dur » de la Coalition Alternance 2000. Wade est un paradoxe vivant pour beaucoup de sénégalais. Son discours a souvent été excessif, voire incendiaire, et son goût des grands effets oratoires est mieux conçu pour électriser les foules des meetings que pour présenter une programmation politique mesurée35(*). Pourtant, derrière les sorties à grand spectacle, se dissimule un vrai pragmatisme, un « opportunisme de fond » (que ne cessent de rappeler ces adversaires). Comme nous l'avons déjà souligné, plus d'une fois, Abdoulaye Wade, périodiquement arrêté pour « troubles de l'ordre public », a failli être éreinté par la toute puissance conjuguée du PS et de l'administration en place, ses fonds dilapidés, sa machine électorale en panne et surtout sa réputation en berne après ses multiples entrées aux « gouvernements de majorité élargie » ou « gouvernements de partage du gâteau » pour les sénégalais. Il a toujours su rebondir, quitte à trahir ses alliés, tout en sachant faire à ses militants des revirements calculés. Tout ceci fait que la thèse qui veut que les sénégalais aient voté plus contre Diouf que pour Wade soit plausible. D'ailleurs, Abdoulaye Wade ne l'aurait certainement pas emporté sans l'appui décisif de Moustapha Niasse. L'ancien « baron » socialiste lui a donné, du moins aux yeux de beaucoup de sénégalais, la caution d'un homme politique respecté, désireux par-dessus tout calcul stratégique de mettre fin à l'immobilisme des années Diouf, même au prix d'une alliance avec le « diable ». Donc, les sénégalais voulaient-ils plus le départ de Diouf que le « couronnement » de Wade ? Pour Abdoulaye Barry (journaliste à la RTS), il s'agit plutôt d'un vote sanction : « Je ne crois pas que ce soit Wade, en personne, qui a battu Diouf. Les sénégalais avaient décidé de sanctionner Diouf et je pense qu'ils auraient voté pour n'importe qui. Le scrutin de février-mars 2000 aura été un vote sanction. Dans la mesure où il y avait une réelle possibilité de faire battre le président sortant, à un second tour inédit, les électeurs se sont rendus dans leur majorité aux urnes pour le sanctionner. » Un point de vue que corrobore Boubacar Seck, (rédacteur en chef du Matin). Pour ce dernier, « Les sénégalais ont senti que l'opposition était entrain de faire bloc, autour de Wade. C'était la première fois qu'ils sentaient avec les départs de Niasse et de Djibo KA, qu'au deuxième tour, il y avait la possibilité de faire partir Diouf . Le besoin d'alternance a été tellement fort que la classe politique s'est trouvée prise en otage par cette pression qui venait des populations. Les électeurs n'auraient jamais accepté que les idéologies politiques ajournent l'alternance. Nous en avons un exemple précis. Djibo KA qui choisi au second tour de soutenir Diouf a aujourd'hui d `énormes difficultés pour revenir au devant de la scène politique.» Pour beaucoup d'observateurs, de la politique sénégalaise, les électeurs ont voté plus pour le changement que pour Wade. « Avec un autre candidat, ils auraient fait la même chose. On a voté contre Diouf parce que les gens avaient soif de changement. Il fallait que ça change. Wade était celui qui représentait le plus le « sopi » et avait le plus de chance après quatre tentatives. » (Mamadou. T. Talla, du quotidien Le Populaire) Aussi, les bons chiffres de la croissance, la réduction du déficit budgétaire ou encore l'inflation maîtrisée que Diouf avait avancés pour se défendre pendant les campagnes, n'ont pas produit les effets escomptés, car ceux-là ne sont pas autant synonymes d'amélioration des conditions de vie de couches de plus en plus importantes de la population. Les populations excédées par la pauvreté grandissante, l'insécurité de plus en plus insupportable ont voulu se débarrasser du régime qui à leur yeux en était responsable. Pour l'ensemble des personnes interrogées, les sénégalais avaient atteint un tel niveau d'exacerbation que la défaite de Abdou et du Parti Socialiste était inéluctable. * 35 La plupart de nos interlocuteurs n'ont pas manqué d'insister cet aspect du personnage, qui redevenait flagrant au moment où nous faisions les entretiens, moments qui coïncidaient avec la campagne pour les législatives anticipées d'avril 2001. |
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