1.2.3 Urbanisme fonctionnaliste et fractures urbaines
La production de l'axe et de ses rives émane des
évolutions historiques, donnant lieu à un découpage
fonctionnel de l'espace. Les rives ouest de l'axe sont majoritairement
consacrées aux activités secondaires et tertaires consommatrices
d'espace. De même, une autre ligne sépare un nord plutôt
résidentiel à un sud consacré aux activités
productives. La fonction circulatoire est primordiale, structurée par la
colonne vertébrale du boulevard. Si le boulevard permet de relier, son
effet ségrégateur est fort, et il est plus ou moins
accepté par le traitement successif de l'axe dans les différents
projet menés.
En premier lieu, le carrefour des 4 chemins qui se voulait un
espace commercial et public fédérateur, à travers les
projets d'urbanisme et d'architecture, demeure fortement compartimenté
par îlot du fait des grandes circulations. Les tout premiers projets
proposés pour aménager le carrefour, et l'axe, font état
de la prégnance d'une vision fonctionnaliste de la part des
différents acteurs. Des projets de tunnel sont proposés par la
Direction Régionale de l'Equipement d'Ile-de-France afin de
préserver des itinéraires de franchissement
sécurisé du boulevard par les riverains. Ils sont prévus
au niveau du carrefour des 4 chemins, et au niveau de la rue Estienne d'Orves.
Cette proposition d'organisation des flux est néanmoins rejetée
par les habitants, inquiétés par l'augmentation des flux de
circulations motorisées qu'entraînerait un tel projet. La mairie
de Colombes proposera un projet alternatif avec la construction d'un tunnel
souterrain traversant la quasi-totalité du boulevard (depuis la rue des
Côtes d'Auty au nord jusqu'au pont de Charlebourg au sud). Une telle
infrastructure est rejetée par les services de l'Etat, du
Illustration 17: Projet d'aménagement fonctionnaliste du
carrefour des quatre chemins proposé par le cabinet J.Robert et
P.Raymond
fait de son coût très élevé. La
Z.A.C Jeanne Gleuzer donnera également lieu à l'expression de
projets inspirés par les concepts fonctionnalistes. Le cabinet
J.Robert et P.Raymond propose un aménagement des îlots
nord-est et sud-est du carrefour des quatres chemins sur dalle, les deux
îlots étant reliés par une passerelle aérienne. Ce
projet doit permettre une circulation optimale des flux de circulation sur le
boulevard, mais aussi sur la rue Gabriel Péri. Outre le projet
proposé par le cabinet J.Robert et P.Raymond, la distribution
des flux de circulation pédestre entre les différents îlots
reste organisée par les passages cloutés, tout franchissement de
l'axe en un autre endroit étant rendu difficile par la présence
de barrières de sécurité. Le projet du groupement
d'architectes retenu présente lui un rapport à la rue important.
Du fait de la géométrie des places Aragon et Victor Basch, la
longueur de la ligne de frottements avec la voie et l'espace public
pédestre est grande. Même si les contre-allées et la voie
de bus en site propre assure une transition entre la rapidité du trafic
axial et la moindre rapidité du trafic latéral, cette zone de
contact reste celle des usagers des transports en commun attendant le bus
à côté d'une des quatre stations. On retrouve ce même
effet de frontière urbaine le long du boulevard, où la
rapidité du trafic, la largeur de l'axe et les barrières de
sécurité empêchent tout franchissement du boulevard
ailleurs que sur les passages cloutés.
Il ressort de cette analyse la ségrégation
importante entre les espaces de la voie et les îlots. Ce fait
ramène au cloisonnement des deux principales institutions productrices
de cet espace: l'Etat, par l'intermédiaire de la DDE et de la DREIF, et
la mairie de Colombes. Cette ségrégation se décline en
plusieurs points du boulevard: le carrefour des 4 chemins en est un exemple
fort, mais elle se retrouve aussi tout le long du boulevard.
L'évolution urbanistique consécutive à
l'élargissement du boulevard a eu pour conséquence d'effacer un
peu plus les anciens lieux de centralités (Colbert-Quatre Chemins), et
à renforcer le carrefour des 4 chemins comme lieu de chalandise de
rayonnement intercommunal. Ce statut nouveau attribué au carrefour par
les pratiques des habitants semble néanmoins limité par l'effet
négatif induit par le boulevard, et ce malgré la constitution
d'un espace public ouvert et lisible. Si l'opération
« rond-point » semble inscrire la rénovation du
quartier dans un dessein de « boulevard urbain », la
monofonctionnalité résidentielle limite la reconfiguration d'un
espace vécu aux rives du boulevard. C'est un espace qui demeure
associé à la circulation automobile, et sur lequel
prédominent les « commerces de route ». Avant la
rénovation des rives du boulevard, la
« centralité » - en tant qu'inscription urbanistique
d'une identité petit-colombienne - conciliait pratiques riveraines,
inscriptions architecturales et paysagères, et mixité
fonctionnelle. L'inscription territoriale n'apparaît plus en ces termes
suite à l'élargissement du boulevard, et donne lieu à un
espace vécu constitué de « blocs » (lieu de
résidence, lieu de commerce, lieu de culture...), connectés par
des liaisons pédestres étroites, face à la voiture
à qui la place consacrée s'est accrue.
Les projets politiques concourant à la
rénovation du Petit-Colombes cherchent à concilier le projet de
« boulevard urbain » à celui d'un maintien de
« centres » inscrivant l'identité du quartier sur
cet espace. L'exemple des 4 chemins a montré que l'appropriation d'un
espace public central attenant à la place était bloquée
pour grande partie du fait des impacts négatifs de l'axe de circulation
automobile sur l'espace public pédestre. Le lancement d'une
troisième période de rénovation des rives de l'axe,
ouverte par l'arrivée annoncée du tramway et par l'extension de
l'aire de rayonnement du CBD de La Défense, amorce une mutation des
rives du boulevard. Les travaux universitaires de Georges Amar, Antoine Bres,
Marcelle Demorgon et Geneviève Dubois-Taine, ont mis en lumière
les lacunes révélées par une approche de l'urbanisme
excluant une approche mutuelle entre la voie et l'îlot. Le
« bout de ville » du Petit-Colombes, aménagé
dans son ensemble selon des visions cloisonnées entre différents
champs de compétences et de métiers, répond à cette
problématique développée par ces chercheurs. Le retour sur
leurs travaux permettra d'avancer la grille d'analyse pertinente pour analyser
les mutations des rives du boulevard en lien avec la densification
causée par l'arrivée du tramway, dans un mouvement plus
général de la densification bâtie et en population de la
petite couronne parisienne.
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