Chapitre I : Civilisation de l'oralité et
dramatisation de l'idée
I. Introduction du problème
Pour introduire cette problématique le Professeur
Mamoussé Diagne s'appuie sur les travaux du Baron Roger8 et
de Pierre Boiteau pour constater avec eux le foisonnement des images dans
l'oralité.
Son interrogation porte sur le procédé
utilisé pour codifier, organiser, élaborer, gérer et
transmettre le savoir. Ensuite, il se demande pour quelle raison
procède-t-on ainsi ?
Monsieur Diagne évacue les idées reçues
sur la question entre écriture et oralité. Guy
SPIELMAN9, Simon BATTESTINI10 le confortent dans sa
position d'autant plus qu'il suppose qu'il n'est aucune culture africaine qui
n'ait un système de conservation et de communication de certains
messages. Il rejette les thèses de dévalorisation de
l'oralité et les thèses apologétiques pour effacer la
dualité « société
orale »/ « société
écrite ». Le Professeur Diagne se penche sur les
procédés de pérennisation disponible dans le legs
culturel, choisi en fonction de leur efficacité par rapport au contexte
de déploiement.
Il découvre une révélation de traits
pertinents, pas accidentels mais liés au contexte oral (image/
dramatisation) le logos oral est proféré de vive
voix, en situation de performance, dans une trame temporelle instituant un
défi à sa rétention durable. C'est pourquoi, il
déploie un ensemble de procédures qu'il rend par la notion de
logique d'oralité. Le but consiste à répertorier et
d'écrire les procédures auxquelles font appel les civilisations
de l'oralité : réévaluation, réorientation de
la réflexion sur le legs des civilisations africaines traditionnelles.
Il écarte dans les instruments d'analyse la poésie orale car
l'usage de l'image y est un fait normal, c'est la règle.
A mi-chemin, le philosophe sénégalais retient
que « la dramatisation du savoir (...) traduit fondamentalement une
sorte de réflexe de suivi pour une civilisation de
l'oralité ». Il la baptise avec raison « la ruse de
la raison orale ».
II- L'idée et sa mise en forme
Ce titre peut paraître en apparence énigmatique,
volontairement ambigu. Il signifie tout simplement que le concepteur d'une
idée peut prendre l'initiative de la mettre en scène par une
histoire dramatisée. La finalité est de communiquer un savoir.
Pour valider une telle idée, M. Diagne passe par
l'étude d'actes de discours élémentaires comme les
proverbes et les maximes. En même temps, il vérifie si l'on a
affaire à un trait essentiellement de l'oralité.
D'abord, il rappelle l'étude qu'en avaient faite Hubert
LE BOURDELLES11 et Anna Maria IERACI BIO, Claude
BURIDANT12. Ces « prêt à penser »
ou « moralité en boîte » condensent dans une
réduction généralisante l'autorité morale ou
l'expérience référée à la norme. Au passage,
il cite BURIDANT pour qui le proverbe se présente globalement comme un
énoncé autonome ou micro-récit ayant une organisation
logique - régi fondamentalement par le principe d'implication - de
structures formulaires caractérisées par des traits prosodiques
et sémantiques en rupture avec le discours continu. (1984, p. 114)
C'est un va-et-vient entre système de signes et
réalité sociale. Des images et des lois de fonctionnement s'y
révèlent. Dans les sociétés traditionnelles, le
proverbe est un viatique avec une fonction non ponctuelle, un savoir
comprimé plus une illustration et des réponses sur les
« routes de l'existence ». Ainsi, c'est un message
gravé dans la mémoire des hommes. Il est une parole
d'autorité, un acte langagier par procuration.
Les positions de Jean CAUVIN13, de Firmin
RODEGEM14 et d'André JOLLES15 confirment cette
position et révèle son caractère conclusif. Le proverbe
fonctionne comme «un couvercle sur un puits » car il
prévient et rappelle un danger.
Dans cette perspective, le Professeur Diagne montre que le
proverbe est porté par la dramatisation. A partir du proverbe, on
décèle des expériences réelles ou fictives, une
narration miniaturisée d'expériences, le raccourci d'une
histoire, une économie linguistique, par un détour
rhétorique. Le proverbe part des faits réels et en parle de
façon détournée, mais il est toujours en situation. Il
émane d'une autorité arbitrale (wolof Ndiaye,) déploie un
contexte et/ou une expérience réelle ou fictive (dramatisation,
adjoint à la brièveté la symétrie (des artifices
langagiers de l'oralité) ; fait exister l'espace et le temps dans
la mesure où ils sont matérialisés ; et fait
participer l'ouïe et la vue.
En conclusion, on retient que le proverbe apparaît comme
un condensé d'une histoire réelle ou fictive. Il est au carrefour
de deux séries d'expériences (passées et
présentes). La dramatisation est son instrument d'illustration et de
validation.
Avec la devinette ; on découvre qu'elle est
à l'inverse du proverbe. Il n'y a pas de mise en scène. Sa
situation d'emploi est dérobée. C'est comme un proverbe à
l'interrogatif. La devinette invite à exhiber un savoir
consacré.
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