I.3- L'atténuation
De façon générale, on
atténue la portée d'un terme pour amoindrir la violence ou la
force de ce qui est dit. Il est question de faire paraître
« moins forte » une expression linguistique, mais non
de la rendre « moins forte ». Dans la même lancée,
Foullioux (2003 :116) affirme : l'atténuation
consiste à produire un énoncé, mais un
énoncé qui est en apparence inoffensif.
En clair, l'atténuation est un artifice, une
feinte, une stratégie du détour. Cette stratégie
argumentative est perceptible dans Michel Strogoff surtout
à travers l'emploi des modalisateurs aléthiques. En effet,
ceux-ci ne rendent moins péremptoire le discours du locuteur que pour
mieux le crédibiliser. Haillet (2003 :102) pense ainsi qu'avec
l'atténuation, il s'agit de restreindre la portée d'un point
de vue, d'en donner une représentation « en
demi-teinte » en « mettant un bémol » en
le faisant apparaître comme « non actuel ».
De ce fait, à tout énoncé
porteur de marques d'atténuation, correspond une assertion sous-jacente
qui constitue un argument orienté vers une conclusion. Montrer ses
hésitations s'avère ainsi une ruse narrative de Jules Verne pour
mieux gagner le lecteur à sa cause. On peut le voir, à cet effet,
dans les énoncés suivants :
(189) Un duel, c'était plus qu'un retard,
c'était peut-être sa mission manquée !
(p.139)
(190) Puis, le czar, satisfait de cet examen, sans
doute retourna près de son bureau, et, faisant signe au grand
maître de s'y asseoir, il lui dicta à voix basse une lettre qui ne
contenait que quelques lignes (p.38).
La portée des assertions ci-dessus est
atténuée par l'emploi des adverbes modaux
peut-être et sans doute. Ainsi, par exemple en (189),
le narrateur sait très bien qu'un duel serait fatal pour la mission de
Michel Strogoff, cependant il utilise l'adverbe peut-être pour
ne pas donner l'impression au lecteur qu'il connaît d'avance le
déroulement des événements, il veut vivre avec le lecteur
le suspens au fil de l'histoire. Le narrateur (qui est Jules Verne) veut nous
laisser croire qu'il n'est pas tout puissant et ne maîtrise pas
entièrement les pensées des personnages et le déroulement
des événements. L'atténuation participe ainsi d'une
volonté du locuteur de ne pas agresser le lecteur car il énonce
un fait en faisant semblant de ne pas vouloir le dire. Dans cette perspective,
Foullioux (2003 :117) pense que pour expliquer le
procédé de l'atténuation, il faut se situer dans une
perspective polyphonique puisqu'il y aura toujours plus d'une voix.
En effet, d'une part, le locuteur se met quelque
peu à distance vis-à-vis de la réalisation de l'assertion
qu'il profère ; d'autre part, ces marques d'atténuation
indiquent une prudence langagière qui cache mal le besoin de l'auteur
d'affirmer sa subjectivité et de faire de sa vérité la
vérité.
On le voit, les différents
procédés de modalisation étudiés sont au service
des stratégies argumentatives telles l'éthos, l'ironie,
l'atténuation qui permettent à Jules Verne de crédibiliser
son univers de croyance en dénonçant et en interpellant. En
outre, au regard de ce qui précède, on est en droit de se
demander quel message jules Verne a voulu passer en faisant recours aux
procédés de modalisation. Autrement dit, il est important de
s'interroger sur les intentions qui ont présidé à la
construction de Michel Strogoff. C'est dans ce sens que
Kerbrat-Orecchioni (1980 :181) souligne : interpréter
un texte, c'est tenter de reconstituer par conjectures l'intention
sémantico-pragmatique ayant présidé à
l'encodage.
En d'autres termes, interpréter un texte,
c'est essayer de décrypter ce que l'auteur a voulu dire dans et par ce
texte. Il convient donc pour nous de tenter de saisir le message que Verne a
voulu véhiculer dans Michel Strogoff à l'aide des
procédés de modalisation.
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