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Les procédés de modalisation dans l'oeuvre romanesque de jules verne: le cas de Michel Strogoff

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par Bauvarie Mounga
Université Yaoundé I - DEA 2007
  

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I.2- L'ironie

Elle consiste à dire, par une raillerie plaisante ou sérieuse, le contraire de ce qu'on pense ou de ce qu'on veut faire penser. Avant d'analyser le fonctionnement de cette stratégie argumentative dans Michel Strogoff, il convient de souligner qu'il existe diverses théories qui s'écartent de la conception de l'ironie sus-énoncée. A cet effet, l'énoncé ironique est souvent conçu comme une énonciation paradoxale, autodestructrice, dans laquelle le sujet invalide sa propre énonciation. C'est sans doute ce qui fait dire à Berrendonner (1981 :215) que

faire de l'ironie, ce n'est pas s'inscrire en faux de manière mimétique contre l'acte de parole antérieur ou virtuel, en tout cas extérieur d'un autre. C'est s'inscrire en faux contre sa propre énonciation, tout en l'accomplissant. 

Pour Berrendonner (1981), à travers l'ironie, le locuteur produit un énoncé qu'il invalide en même temps qu'il parle. Ducrot (1984), quant à lui, pense que l'énoncé ironique est polyphonique. Cette stratégie argumentative mettrait ainsi en scène un personnage qui énonce quelque chose de déplacé et dont le locuteur se distancie par son ton et sa mimique. Ducrot (1984 :211) précise de ce fait :

 parler de façon ironique, cela revient pour un locuteur L à présenter l'énonciation comme exprimant la position d'un énonciateur E, position dont on sait par ailleurs que le locuteur L n'en prend pas la responsabilité et, bien plus, qu'il la tient pour absurde. 

A cet égard, on peut analyser un énoncé ironique comme une sorte de mise en scène par laquelle le locuteur fait entendre par sa voix un personnage ridicule qui parlerait sérieusement et dont il se distancie.

Au regard des définitions mentionnées ci-dessus, il apparaît que l'ironie fait appel à une adhésion et à un rejet du locuteur par rapport à l'énoncé qu'il profère. Dans Michel Strogoff, l'ironie s'apparente surtout à une moquerie froide et analytique, à une satire. Elle correspond, comme le fait remarquer Suhamy (2000 :110)  aux sarcasmes énoncés sur un ton impassible et faussement détaché. En fait, l'énoncé ironique est un moyen pour Verne de tourner en dérision les personnages dont il ne partage pas les points de vue et auxquels il ne souhaite sans doute pas que les lecteurs s'identifient. C'est le cas par exemple du journaliste anglais Harry Blount dont Verne fustige sur un ton moqueur, l'indifférence. En effet, ce personnage ne se laisse émouvoir par aucune parole, aucune situation. Certes il n'est pas antipathique, mais il affiche une froideur envers tout le monde que Verne condamne. Le passage suivant illustre la posture qu'adopte Verne envers l'attitude d'Harry Blount:

(187) Il va sans dire qu'Harry Blount ne faisait aucun frais vis-à-vis de la jeune fille. C'était un des rares sujets de conversation sur lesquels il ne cherchait pas à discuter avec son compagnon. Cet honorable gentleman, n'avait pas pour habitude de faire deux choses à la fois. (p.125)

Ce passage met en évidence le manque de galanterie d'Harry Blount envers Nadia. En effet, tandis que le journaliste français Alcide Jolivet n'hésite pas à apporter son aide à la jeune fille quand elle en a besoin, Harry Blount ne manifeste pas le moindre enthousiasme pour secourir Nadia. On note ainsi un paradoxe dans le passage quand Verne utilise l'axiologique valorisant honorable pour qualifier Harry Blount. Car, comment quelqu'un peut-il être digne d'estime et de considération quand il manque justement de politesse ? On comprend dès lors qu'il s'agit d'une ironie de la part de Jules Verne. Le lecteur qui sait exactement à quoi renvoie « honorable gentleman » se rend compte qu'il y a un écart, un décalage entre cette expression et ce qui est dit plus haut sur Harry Blount. Ce passage présente la particularité de se disqualifier lui-même, de se subvertir dans le mouvement même où il est proféré. L'ironie est une arme satirique pour Jules Verne, car en présentant l'attitude d'Harry Blount comme louable, il la dénude, la fait apparaître comme dérisoire.

Toutefois, Harry Blount n'est pas le seul personnage tourné en ridicule, il y a également Féofar-Khan, l'émir tartare instigateur de l'invasion de la ville d'Irkoutsk. Nous allons le constater dans l'énoncé suivant :

(188) Ivan Ogareff présenta à l'émir ses principaux officiers, et Féofar-Khan, sans se départir de la froideur qui faisait le fond de sa dignité, les accueillit de façon qu'ils fussent satisfaits de son accueil. (p 230-231).

A la lecture de cet énoncé, on a l'impression que le narrateur recourt à l'ironie pour présenter le personnage cynique qu'est Féofar-Khan. A cet effet, deux substantifs attirent notre attention : froideur et dignité. Selon le narrateur, c'est le manque d'amabilité, ou encore l'indifférence qui ferait la dignité de Féofar-Khan. Il s'agit là d'une raillerie car le cynisme ne saurait faire la dignité d'une personne. C'est un moyen pour le narrateur de montrer à quel point Féofar-Khan est cruel et de rallier le lecteur à ce point de vue.

Cependant, il convient de préciser que pour que le lecteur perçoive cet énoncé comme ironique, il faudrait que le lecteur repère un décalage entre les substantifs froid et dignité. C'est dans cette optique que Maingueneau (1993 :85) déclare : dans la mesure où l'ironie constitue une stratégie de déchiffrement indirect imposée au destinataire, elle ne saurait s'accommoder de signaux trop évidents qui la ferait basculer dans l'explicite.  

Cela explique pourquoi les marques de l'ironie ne sont pas toujours nettes et dépendent de l'univers de croyance du lecteur. L'ironie n'est pas toujours perceptible puisqu'elle est une stratégie argumentative qui n'opère pas de manière explicite, c'est également le cas de l'atténuation.

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