II.1- La modalisation en discours second
Ce terme est utilisé pour la première
fois par Authier-Revuz et désigne une modalisation que le locuteur
opère sur le discours d'un autre dans son propre énoncé.
Pour Foullioux (2003 :115), avec la modalisation en discours second,
le locuteur (L1) convoque une autre instance d'énonciation, un
autre locuteur (L2) qui, lui est responsable de l'assertion
sous-jacente.
La modalisation en discours second suppose donc
l'emprunt par un locuteur d'un discours appartenant à une autre
instance énonciative. Dans ce cas, l'emprunt est visible à
l'aide des marques explicites telles que selon x, d'après
x, pour x,...etc. Par ailleurs, les différents discours
empruntés sont présentés comme incertains par le locuteur,
c'est pourquoi il ne les assume généralement pas. Dendale
(1993 :174) suggère à cet effet :
une information empruntée est par
définition une information qui n'est pas créée par le
locuteur lui-même, qui ne provient pas de lui, ce qui a pour
conséquence que cette information peut parfaitement être
incertaine pour lui.
En clair, avec la modalisation en discours second, le
procès est donné à voir comme non intégré
à la réalité du locuteur. Cependant, cette modalisation
peut juste indiquer une volonté claire du locuteur de montrer qu'il
n'est pas l'auteur des propos présentés.
(178) Selon lui, tout homme qui avait passé
les monts Ourals entre les gendarmes ne devait plus jamais les franchir.
(p.26)
(179) A s'en rapporter à sa description, ce
n'est qu'une ville insignifiante avec de vieilles maisons de pierre et de
brique, des rues fort étroites et bien différentes de celles qui
percent ordinairement les grandes cités sibériennes de sales
quartiers où s'entassent plus particulièrement les Tartares, et
dans laquelle pullulent de tranquilles ivrognes. (p.226)
(180) A l'entendre, les secours attendus seraient
insuffisants, si même ils arrivaient, et il était à
craindre qu'une bataille livrée sous les murs d'Irkoutsk ne fût
aussi funeste que les batailles de Kolyvan, de Tomsk et de Krasnoïarsk.
(p.325)
Le locuteur (narrateur) dans les
énoncés sus-cités se démarque des discours qu'il
rapporte à l'aide des marqueurs explicites de source que sont selon
lui, à s'en rapporter à sa description, à
l'entendre. Par ce procédé, le locuteur se désengage
de la valeur des assertions rapportées en termes de degré de
vérité.
II.2- Les figures de l' (in)adéquation
de la nomination
Elles interviennent quand il faut indiquer que les
mots employés correspondent ou s'éloignent de la
réalité à laquelle ils sont censés
référer. On parle aussi de non-coïncidences entre les mots
et les choses puisque ces figures permettent au locuteur de confirmer ou de
rejeter le mot proféré pour exprimer un référent
précis. Les occurrences ci-après nous permettront de mieux
expliciter nos propos.
(181) Pillant, ravageant, enrôlant ceux qui
résistaient, il transportait d'une ville à l'autre, suivi de ces
impedimenta de souverain oriental, qu'on pourrait appeler sa
maison civile, ses femmes et ses esclaves, -le tout avec l'audace impudente
d'un Gengis-Khan moderne. (p.32)
(182) Et presque aussitôt ce qu'on
pourrait appeler le déménagement de cette vaste
plaine commença. (p.67)
(183) Il visita, on pourrait dire rue par rue, la
ville haute et la ville basse. (p.69)
On note, dans les énoncés, la
présence du conditionnel pourrait qui marque
l'incertitude du locuteur quant à la réalité
désignée. Les groupes de mots on pourrait appeler et
on pourrait dire indiquent alors une inadéquation entre les
mots qu'emploie le locuteur et les référents auxquels ils sont
censés référer.
En somme, ce chapitre avait pour objectif de voir
comment la modalisation autonymique permet aux supports modaux de mettre en
valeur certains segments de leur discours. Une étude de
la modalisation autonymique sur les plans de la forme et du fond nous a
permis de constater plusieurs faits. La ponctuation a un rôle très
important dans notre corpus. Elle est un moyen pour le locuteur de
véhiculer un message, d'indiquer une distanciation ou d'insister sur un
passage. Les commentaires métalinguistiques, quant à eux, jouent
presque le même rôle. Car, en plus de mettre en exergue la
culture russe, ils permettent au narrateur de créer une
complicité avec le lecteur. A travers cette intimité, le
narrateur (qui est Jules Verne) gagne mieux le lecteur à sa cause. La
modalisation se présente dans ces conditions comme une stratégie
argumentative.
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