I.3- Les tirets doubles
L'emploi des tirets doubles dans Michel
Strogoff est surtout lié au désir du narrateur d'apporter
des précisions, des explications ou des rectificatifs sur les propos
énoncés. Les tirets doubles constituent, à cet effet, une
rupture syntaxique dans la construction de l'énoncé. Cette
rupture syntaxique est, d'après Authier-Revuz (2004 :88),
assortie d'un lien référentiel -celui
de la boucle réflexive- attachant la construction
méta-énonciative hétérogène à un
élément de la chaîne de base, l'ensemble offrant une
configuration syntactico-sémantique caractérisable comme
« rupture liée » ;
Autrement dit, la proposition intercalée par les tirets
doubles comporte souvent un terme métalinguistique permettant
d'effectuer un commentaire sur l'énoncé en cours. Analysons les
exemples suivants :
(170) La bataille de Tomsk était du 22 août
-ce que Michel Strogoff ignorait- mais ce qui expliquait
pourquoi l'avant-garde de l'émir n'avait pas encore paru à la
date du 25. (p.255)
(171) Ivan Ogareff, -le Balafré, comme on le
nommait déjà- portant, cette fois, l'uniforme d'officier
tartare, arriva à cheval devant la tente de l'émir. (p.230)
(172) Peut-être -du moins il espérait-
la surveillance des assiégés se relâcherait-elle ?
(p.328)
On note dans ces exemples la présence de la
focalisation zéro mise surtout en exergue par les segments
encadrés. Ces segments permettent au narrateur de nous
révéler des informations sur des événements ou des
personnages. Ainsi, en (171) l'information que le locuteur (narrateur) donne au
lecteur sur Ivan Ogareff semble empreinte d'humour et surtout de raillerie.
Pour ce qui est de l'énoncé (172), les tirets doubles y indiquent
un réajustement du locuteur qui nuance ce qu'il venait d'affirmer. Dans
cette perspective, Frontier (1997 :696) soutient que les segments
intercalés interviennent comme si une seconde voix s'ajoutait
à la première et formait avec elle une sorte de contrepoint
polyphonique. Les tirets doubles introduisent des interventions
personnelles qui se mêlent au discours premier du locuteur. Les segments
encadrés dans les exemples sus-cités s'apparentent, dans ces
conditions, à des appels, des prises de contact du locuteur avec le
lecteur. Il s'établit alors une intimité plus directe entre ces
deux instances, le narrateur faisant des confidences au lecteur pour qu'il
suive mieux le déroulement de l'histoire.
Outre les appels et les prises de contact avec le
lecteur, les tirets doubles mettent parfois en exergue dans notre corpus les
explications du narrateur par rapport à des noms ou des situations.
C'est le cas dans les occurrences ci-après :
(173) Sous son aspiration, l'émir -c'est le titre
que prennent les khans de Boukhara- avait lancé ses hordes
au-delà de la frontière russe. (p.32)
(174) Là, à son grand déplaisir, il
apprit que le Caucase -c'était le nom du
steam-boat- ne partait pour Perm que le lendemain à midi. (p.56)
Dans ces exemples, les segments encadrés:
c'est le titre que prennent les khans de Boukhara et
c'était le nom du steam-boat rendent respectivement plus
explicite aux yeux du lecteur le sens des noms le Caucase et
l'émir. En fait, ces segments ne sont là que pour donner
la signification des noms qu'ils suivent.
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