I.1- La mise entre guillemets
Ce terme s'emploie lorsqu'un mot ou un syntagme est
encadré par les guillemets. Très discrète, la mise entre
guillemets est l'une des formes privilégiées de la modalisation
autonymique dans notre support d'étude. Plusieurs raisons justifient son
emploi : la non prise en charge du terme cité par le sujet
énonciateur, le soulignement d'un mot ou d'un syntagme, l'emploi des
termes étrangers, les figures de l'emprunt.
I.1.1- La non prise en charge des termes
cités
L'emploi des guillemets par le narrateur dans
Michel Strogoff est, dans certaines situations, un moyen pour lui de
prendre ses distances par rapport aux propos des énonciateurs qu'il met
en scène. Dans ces conditions, Catach (1996 :78-79) pose que les
guillemets permettent au scripteur de prendre ses distances à
l'intérieur de la phrase avec n'importe quelle portion de texte non
assumée par le locuteur.
La prise de distance dont parle Catach (1996) peut
s'expliquer par la volonté du locuteur de montrer clairement que les
termes encadrés ne sont pas de lui. La non prise en charge a aussi pour
cause le désir d'indiquer qu'il ne partage pas le point de vue du
locuteur premier. De toutes les façons, les segments guillemetés,
comme le constate Herschberg (1993 :101), s'apparentent à un objet
montré au récepteur, tenu à distance au sens où
l'on tient à bout de bras un objet que l'on regarde et que l'on
montre. Le locuteur se sert donc des guillemets pour isoler un terme du
reste de la phrase et indiquer de cette façon au lecteur qu'il n'en est
pas l'auteur, mais le rapporteur. Soit les énoncés
suivants :
(153) Alcide Jolivet parlait comme s'il eût
été à l'opéra, et tirant sa lorgnette de son
étui, il se prépara à observer en connaisseur
« les premiers sujets de la troupe de
Féofar. » (p.231-232)
(154) De quel journal, ou de quels journaux, il ne le disait
pas, et lorsqu'on le lui demandait, il répondait plaisamment qu'il
correspondait avec « sa cousine Madeleine ».
(p.18-19)
(155) Puis, par une pente naturelle, elle revenait à
celui auquel elle devrait d'avoir revu son père, à ce
généreux compagnon, à ce
« frère » qui, les Tartares
repoussés, reprendrait le chemin de Moscou, qu'elle ne reverrait plus
peut-être ! (p.300)
Tous ces énoncés constituent des
pensées, des discours repris par le locuteur (narrateur) au style
indirect libre. En effet, le narrateur relate au lecteur les propos et les
sentiments de certains énonciateurs (personnages) tout en encadrant des
termes et groupes de mots dont il tient à se démarquer; soit
parce qu'il ne partage pas le point de vue du personnage, soit parce qu'il veut
tout simplement signifier qu'il n'est pas l'auteur des propos rapportés.
C'est pourquoi Fromilhague et Sancier (1991 :103) soutiennent que
le narrateur ne prend pas à son compte l'énonciation de
ces lexies qu'il délègue à une instance
autre. La mise entre guillemets est donc un procédé au
moyen duquel le locuteur exclut de son propre point de vue certains termes de
l'énonciateur. Il emploie un terme tout en montrant qu'il n'est pas de
lui.
Par ailleurs, les guillemets sont souvent un moyen
dans notre corpus pour le locuteur de bien faire savoir au lecteur que le mot
encadré n'a pas son sens usuel et qu'il n'aurait peut-être pas
dû être utilisé à la place où il se trouve.
D'une façon significative, les guillemets apparaissent comme un signal
que l'auteur adresse au lecteur. Wagner (1980 :175) traduit de la
manière suivante la consigne de l'auteur à l'égard du
lecteur : prenez garde à ce mot, semble dire
l'écrivain, il va peut-être vous surprendre. Les
guillemets permettraient donc non seulement au locuteur d'émettre des
réserves vis-à-vis du terme encadré, mais également
d'avertir le lecteur que son sens est connoté. Analysons à cet
effet cet échange entre Harry Blount et Alcide Jolivet.
(156) -Pour moi, il m'a paru rayonnant,
répondit Harry Blount qui voulait peut-être dissimuler sa
pensée à ce sujet.
-Et, naturellement vous l'avez fait
« rayonner » dans les colonnes du Daily
Telegraph.(p.21)
Les guillemets dans cet exemple indiquent que le
terme "rayonner" n'est pas d'Alcide Jolivet, mais du personnage Harry
Blount. Il semble que le narrateur a encadré ce mot pour montrer au
lecteur qu'il n'a pas dans cet énoncé son sens usuel. En effet,
Alcide Jolivet se sert du terme employé par son interlocuteur pour mieux
le ridiculiser. Il s'agit ici d'une distanciation ironique, car en fait Alcide
Jolivet dit le contraire de ce qu'il pense vraiment.
Il convient de noter cependant que dans notre
support d'étude, les guillemets apparaissent aussi comme une mise en
valeur des propos cités.
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