III.3- Les verbes performatifs
Les verbes performatifs ne le sont pas par nature,
mais occasionnellement et dans certaines conditions d'emploi. Ces verbes
doivent être employés à la première personne et au
présent de l'indicatif. De plus, comme le soutient Tomassone
(1996 :45), ces verbes indiquent explicitement l'acte accompli en
même temps qu'il est énoncé. Nous pouvons citer des
verbes tels que ordonner, prier, remercier,
interdire... Il existe également d'autres verbes ne
possédant pas les caractéristiques des verbes que nous venons de
décrire, mais qui peuvent toutefois s'en rapprocher. C'est le cas du
verbe promettre qui exprime un engagement de la part du locuteur et
équivaut à l'accomplissement d'un acte. Soit les
énoncés ci-dessous :
(147) je vous promets, d'ailleurs de garder pour moi
tout ce que je pourrai voir. (p.78)
(148) J'irai dire à Irkoutsk tout ce que j'ai vu, tout
ce que j'ai entendu, et j'en jure par le Dieu vivant ! (p.246)
Promettre est le verbe d'engagement par
excellence. Il permet à Alcide Jolivet de s'engager vis-à-vis de
Harry Blount à faire quelque chose en supposant que cela est bon pour ce
dernier. Jurer, comme promettre, permet à Michel
Strogoff en (148) de s'engager à accomplir une action. A cet
égard, Vanderverken (1998 :176) précise que dans
certains contextes, on peut s'engager d'une manière très
solennelle en invoquant un objet sacré, une institution
révérée ou une personne chère. C'est ce
que fait Michel Strogoff en invoquant Dieu pour donner plus de force à
son engagement.
On constate que l'étude des verbes subjectifs
nous révèle des aspects de la personnalité de certains
personnages, car la valeur sémantique des différents verbes
étudiés nous situe plus ou moins par rapport à leur
univers de croyance. Ce n'est pas le cas des adverbes subjectifs qui laissent
plutôt percevoir ce que le narrateur pense des différents
personnages ou alors les opinions que ces derniers ont les uns des autres.
IV- LES ADVERBES
Ce sont des mots invariables susceptibles de
modifier le sens d'un adjectif, d'un verbe, d'un autre adverbe ou de tout un
énoncé. Nous ne nous intéresserons ici qu'aux adverbes
qui, pour Tomassone (1996 :317), expriment une réaction
émotive du locuteur. En effet, certains adverbes dans leur emploi
traduisent les différentes émotions du locuteur. C'est
également le cas dans notre corpus, nous allons d'ailleurs
étudier le fonctionnement de ces adverbes à l'aide des exemples
suivants où le narrateur dépeint tour à tour Marfa, Michel
Strogoff, et un personnage secondaire (le grand maître de police) Ivan
Ogareff.
(149) La vieille Sibérienne, toujours
énergique quand il ne s'agissait que d'elle, avait le visage
horriblement pâle. (p.232)
(150) Doué d'une force peu commune, il parvint
non sans peine, à maîtriser les chevaux. (p.109)
(151) Ivan Ogareff, imperturbable comme toujours, dit
froidement aux déférences des hauts fonctionnaires
envoyés à sa rencontre. (p.200-201)
(152) C'est un homme extrêmement dangereux
sire, répondit le grand maître de police. (p.25)
Les adverbes subjectifs ci-dessus sont tous des
adverbes d'élément selon Gardes-Tamine et Pelliza (1998). Ces
linguistes (1998 :96) expliquent, de ce fait, que ces
adverbes portent sur un élément de l'unité
textuelle ou de la proposition auquel ils sont liés par des contraintes
de sélection, puisque le sens de cet élément impose des
restrictions sur leur choix.
En clair, ces adverbes modifient un
élément précis dans la phrase et affectent son sens. En
(149), le narrateur emploie deux adverbes pour décrire Marfa :
toujours et horriblement. Toujours est un adverbe de
temps qui exprime une durée infinie, il détermine l'adjectif
énergique. Cet adverbe témoigne à suffisance de
la forte personnalité de Marfa qui est, selon le narrateur, une femme
solide. L'adverbe de manière horriblement détermine
l'adjectif pâle pour montrer le degré d'inquiétude
de Marfa. En fait, au moyen de ces adverbes, le narrateur tient, sans doute,
à montrer l'amour que Marfa a pour son fils Michel Strogoff. Car c'est
à cause du danger que court son fils que cette femme ayant une forte
personnalité est soucieuse. En (150), l'adverbe de quantité
peu modifie le sens de l'adjectif commune. On retrouve encore
dans cet énoncé l'hyperbole qui caractérise d'une
façon générale le discours du narrateur lorsqu'il parle de
Michel Strogoff. Ce personnage est considéré comme un homme
extraordinaire, possédant une force peu commune. Autant le discours
axiologique portant sur Michel Strogoff est très mélioratif,
autant le discours sur Ivan Ogareff est très dévalorisant. A cet
effet, l'énoncé (151) ne constitue pas une dérogation dans
la mesure où le narrateur à travers l'adverbe froidement
indique qu'Ivan Ogareff est un homme brutal. Les termes
dépréciatifs vont se poursuivre pour Ivan Ogareff en (152): le
grand maître de police recourt à un adverbe qui reflète
l'exagération pour qualifier ce personnage. L'adverbe
extrêmement déterminant l'adjectif dangereux
indique le caractère incroyablement pernicieux qu'aurait Ivan Ogareff
selon le maître de police.
L'étude des adverbes, tout comme celle des
substantifs, des adjectifs qualificatifs et des verbes, montre que les discours
axiologiques mélioratif et péjoratif sont très
employés dans notre corpus. Toutefois, tout dépend de celui qui
les utilise et à qui ils sont adressés.
En définitive, il s'agissait pour nous de
montrer que les supports modaux dans Michel Strogoff se servent de
différents procédés stylistiques pour désigner les
référents humains ou exprimer leur émotion. Nous avons,
à cet effet, étudié les parties prédicatives du
discours susceptibles de modaliser axiologiquement un énoncé. Il
ressort de cette étude que le discours axiologique dans notre corpus
nous permet de mieux appréhender les idéologies qui y sont
véhiculées. Il y a chez Jules Verne comme un idéal d'un
monde empreint de valeurs morales et pour nous en persuader, il a eu recours
à des jugements de valeur. Il nous présente dans son roman deux
catégories de personnages. D'une part, des personnages malhonnêtes
qu'il n'hésite pas à dévaloriser ; d'autre part, des
personnages incarnant la justice et l'éthique qu'il peint de
façon méliorative.
L'analyse des jugements de fait et de valeur dans
Michel Strogoff nous a permis de mettre en évidence les
modalités d'énoncé et la modalisation axiologique. A cet
effet, nous avons remarqué que les modalités
d'énoncé constituent des procédés à travers
lesquels les supports modaux véhiculent leur point de vue et leur
système de croyance. L'analyse des jugements de valeur, quant à
elle, s'est effectuée à l'aide des parties prédicatives du
discours stylistiquement marquées. Il ressort de cette étude que
l'éthique tient une grande place dans l'oeuvre de Jules Verne, au regard
de la façon dont les différents personnages sont peints. Au terme
de cette partie consacrée aux jugements de fait et de valeur, l'on
perçoit que la modalisation, loin d'être un simple
procédé stylistique, est pour Jules Verne une véritable
stratégie discursive.
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