II.2.2- Les axiologiques
L'utilisation des axiologiques comme celle des
non-axiologiques implique une double norme liée à l'objet support
de la propriété et à l'énonciateur. Les qualifiants
axiologiques que l'on emploie dans un contexte donné peuvent
témoigner d'une certaine valeur éthique ou esthétique tels
dans le cas des adjectifs bien/mal, beau/laid. Les évaluatifs
axiologiques portent donc, sur l'objet dénoté par le substantif
qu'ils qualifient, un jugement de valeur positif ou négatif. Par
ailleurs, pour identifier la valeur axiologique d'un terme, il faut prendre en
compte le contexte verbal et ce que l'on sait de l'idéologie du
locuteur. C'est ce que pense également Charaudeau (1983 :9)
puisqu'il affirme que
l'acte de langage n'épuise pas sa
signification dans sa forme explicite [...]. Ce qui nous amène à
le considérer comme un objet double, constitué d'un Explicite (ce
qui est manifeste) et d'un Implicite (lieu de sens multiples) qui
dépendent des circonstances de communication.
Autrement dit, nous ne pouvons comprendre un discours si nous
ne prenons pas en considération son contexte de production. Les propos
suivants de Ece Korkut (2003) vont dans le même sens : nous
avons besoin d'un certain nombre d'éléments informationnels sur
le locuteur pour interpréter son discours, tels que son statut, sa prise
de position, le contexte et le cotexte (le contenu verbal).
En clair, l'identification de la valeur axiologique
d'un terme ressortit aux idées défendues par le locuteur qui ne
sont pas souvent explicites. Ainsi des exemples ci-après dans lesquels
le narrateur peint le caractère d'Ivan Ogareff (138), de Michel Strogoff
(139), d'Harry Blount et d'Alcide Jolivet (141) ainsi que le physique de Nadia
(140).
(138) Fourbe par nature, il avait volontiers recours
aux plus vils déguisements, se faisant mendiant à
l'occasion. (p.144)
(139) Le jeune Sibérien hardi,
intelligent, zélé de bonne conduite, eut
d'abord l'occasion de se distinguer spécialement dans un voyage au
Caucase, au milieu d'un pays difficile. (p.37-38)
(140) D'une sorte de fanchon qui la coiffait
s'échappaient à profusion des cheveux d'un blond
doré. Ses yeux étaient bruns avec un regard
velouté d'une douceur infinie. (p.51)
(141) L'Anglo-normand, compassé,
froid, flegmatique, économe de mouvements et
de paroles. Au contraire, le Gallo-Romain, vif, pétulant, s'exprimait
tout à la fois des lèvres, des yeux, des mains ayant vingt
manières de rendre sa pensée. (p.17-18)
En considérant le fait que Jules Verne
accorde une importance aux valeurs morales, l'on comprend mieux l'emploi des
adjectifs ci-dessus surtout en (138), (139) et (140). En effet, dans ces deux
premiers énoncés, les axiologiques dévalorisants
(fourbe, vils) caractérisent Ivan Ogareff qui incarne le
traître, l'homme prêt à accomplir toutes les basses
manoeuvres pour atteindre ses objectifs. Le narrateur, qui représente
dans l'oeuvre l'auteur nous présente un personnage qui n'hésite
pas à mentir en se servant d'artifices odieux. Par contre, ce ne sont
que des adjectifs à valeur laudative qui sont utilisés pour
qualifier Michel Strogoff et Nadia. Cela pourrait s'expliquer lorsqu'on sait
qu'ils représentent pour Jules Verne des êtres animés par
le sens de la justice et de l'honnêteté. C'est pourquoi Michel
Strogoff est présenté comme un exemple de bonne conduite
grâce à la gradation ascendante le jeune Sibérien
hardi, intelligent, zélé de bonne conduite et Nadia comme
une jeune fille dont la douceur transparaît à travers le regard.
Sur un tout autre plan, le narrateur dresse le
portrait moral de deux personnages secondaires en (141) : Harry Blount et
Alcide Jolivet, deux journalistes anglais et français. S'ils partagent
la même passion pour le journalisme, ils ont néanmoins des
caractères opposés. Le narrateur, à l'aide d'une gradation
ascendante, met en exergue le caractère réservé du
Britannique Harry Blount (L'Anglo-normand, compassé, froid,
flegmatique, économe de mouvements et de paroles.) Au regard des
adjectifs péjoratifs employés, on comprend que cette gradation
est un procédé d'amplification permettant au narrateur de porter
un regard dépréciatif et même un peu ironique sur
l'indifférence affichée par L'Anglo-normand. Cette figure de
style par sa valeur argumentative vise à présenter le
comportement du journaliste anglais comme malsain. Cependant, Alcide Jolivet,
le Gallo-Romain, est présenté comme un homme ouvert et
jovial ; on pourrait expliquer ce jugement quand on sait que Jules Verne
est lui-même français.
Il ressort de l'étude de l'adjectif
qualificatif que c'est à travers lui que se traduit le plus
naturellement l'émotion subjective. L'analyse des adjectifs
qualificatifs nous a permis ainsi de mieux comprendre les interactions sociales
qui existent entre les principaux personnages et de déceler les
idéaux qu'ils incarnent. Car, comme le disent Tandia et Tsofack
(2002:89), la valeur du personnage ne peut se déterminer qu'à
travers le réseau de relations (rapports d'analogie ou d'opposition)
qu'il entretient avec les autres personnages de l'oeuvre et du système.
Au regard des relations que les personnages
entretiennent, on s'aperçoit que le roman est divisé en deux
camps. D'un côté, il y a ceux à qui, on a semble-t-il, rien
à reprocher. D'un autre côté, il y a ceux qui
représentent l'injustice à l'instar d'Ivan Ogareff. Outre les
adjectifs qualificatifs, peuvent également être
considérés comme subjectifs des verbes ayant un certain contenu
sémantique.
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