II.2- Les évaluatifs
Avec les évaluatifs encore appelés
appréciatifs, les locuteurs tendent volontiers à imprégner
leur discours d'une subjectivité singulière. Les
évaluatifs se divisent en deux groupes : les non-axiologiques et
les axiologiques.
II.2.1- Les non-axiologiques
Ils renvoient aux adjectifs qui n'énoncent
pas de jugement de valeur, ni d'engagement affectif du locuteur.
Néanmoins, étant donné que leur signification, leur valeur
varient d'une personne à l'autre, les non-axiologiques peuvent
être chargés d'une dose de subjectivité plus ou moins
forte. Car, de même que la capacité de l'observation et de la
perception n'est pas identique chez tous les hommes, de même sont
différents les manières et les moyens d'exprimer une même
réalité. D'après Kerbrat-Orecchioni (1980 :96-97),
les non-axiologiques
impliquent une évaluation qualitative ou
quantitative de l'objet dénoté par le substantif qu'ils
déterminent, et dont l'utilisation se fonde à ce titre sur une
double norme interne à l'objet support de la qualité et
spécifique du locuteur.
Ainsi, l'emploi d'adjectifs évaluatifs dépend de
l'idée que le locuteur se fait de la norme convenable pour une
catégorie d'objets donnée. Kerbrat-Orecchioni (1980) s'oppose de
ce fait à Bally (1951) qui insiste sur l'idée que la norme est
relative au sujet d'énonciation. Bally (1951 :196) déclare
en effet que tout adjectif au positif est quantifié par rapport
à une unité de mesure que chaque sujet porte lui- même.
On constate bien que Bally (1951) dans ses propos ne signale que l'un des
deux aspects devant être pris en compte pour l'interprétation d'un
évaluatif car il existe bien une norme sur laquelle chaque locuteur
prend appuie pour évaluer un référent donné. Nous
allons, à l'aide de trois exemples, analyser le fonctionnement des
non-axiologiques dans notre corpus. Dans les énoncés qui suivent,
le narrateur brosse le portrait de Michel Strogoff (en 135 et 136) et d'Ivan
Ogareff (en 137).
(135) Michel Strogoff était haut de taille,
vigoureux, épaules larges, poitrine vaste.
(p.34)
(136) Sur sa tête, carrée du haut, large
de front se crêpelait une chevelure abondante. (p.34-35)
(137) C'était le voyageur de la berline, un individu
à tournure militaire, âgé d'une quarantaine
d'années, grand, robuste, tête forte,
épaules larges, épaisses moustaches se
raccordant avec ses favoris roux. (p.131)
A priori, des adjectifs tels que grand,
large, vaste ne supposent pas de jugements de valeur de la
part du sujet énonciateur, car ils semblent dénués de
toute subjectivité. Cependant, lorsqu'on essaye de prendre en compte
l'effet produit par tous ces adjectifs, l'on s'aperçoit que leur emploi
vise un but précis. En effet, Michel Strogoff et Ivan Ogareff
apparaissent comme deux êtres dotés d'une stature impressionnante,
deux hommes solides, destinés au combat. Cela n'est guère
étonnant quand on sait que ces deux hommes sont les chefs de fil de deux
camps qui s'affrontent dans le roman. On s'aperçoit donc qu'un adjectif
apparemment sans jugement de valeur peut devenir subjectif selon les
circonstances. Les non-axiologiques s'opposent, de ce fait, aux axiologiques
qui sont essentiellement subjectifs.
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