II- LES ADJECTIFS QUALIFICATIFS
Ce point porte sur l'analyse des adjectifs
qualificatifs qui renvoient à un jugement de valeur du sujet
énonciateur. Kerbrat-Orecchioni (1980 :94) parle d'adjectifs
subjectifs par opposition aux objectifs. Maingueneau (1993), tout en validant
la classification de Kerbrat-Orecchioni (1980), adopte aussi en termes
génériques la proposition de Milner (1978) : la classifiance
et la non-classifiance. Les adjectifs classifiants qui servent à
décrire le monde sont équivalents aux adjectifs objectifs. Alors
que les non-classifiants, soutient Maingueneau (1993 :153),
réfléchissent avant tout un jugement de valeur de
l'énonciateur.
On se rend compte que les termes subjectif et
non-classifiant recouvrent en fait la même signification. C'est pourquoi
nous opterons pour la typologie proposée par Kerbrat-Orecchioni (1980)
et reprise par Maingueneau (1993). Cette typologie comprend les adjectifs
affectifs, évaluatifs (axiologiques et non-axiologiques). Le
schéma ci-après permet une visualisation des différents
types d'adjectifs tels que présentés par Kerbrat-Orecchioni
(1980 :94) :
Affectifs. Ex. :
Poignant
Drôle
Pathétique
Subjectifs
Évaluatifs
Axiologiques
Bon
Beau
Bien
Non
Axiologiques
Grand
Loin
Chaud
Nombreux
Adjectifs
Objectifs. Ex. :
Célibataire/marié
Adjectifs de couleur
Mâle/femelle
II.1- Les affectifs
Ils impliquent un engagement affectif de
l'énonciateur vis-à-vis de l'objet qualifié. C'est
pourquoi Ece Korkut (2003) pense que les affectifs sont étroitement
liés aux impressions personnelles du sujet parlant. En
d'autres termes, ils indiquent une réaction émotionnelle de
l'énonciateur. Par ailleurs, il convient de noter que la valeur
affective peut être inhérente à l'adjectif ou alors
être solidaire d'un signifiant prosodique, typographique (le point
d'exclamation) ou syntaxique particulier : c'est le cas de
l'antéposition d'un adjectif qui le charge souvent
d'affectivité.
II.1.1- L'épithète d'ornement
Comme son nom l'indique, ce type
d'épithète a essentiellement une fonction d'ornement et non de
détermination. Il décrit plus qu'il ne définit le
substantif auquel il est lié. De là, la valeur subjective,
appréciative de l'adjectif antéposé car la qualité
vraie cède le pas à l'intensité de l'impression. Bacry
(1992 :157) soutient à cet effet qu'
Elle [l'épithète
d'ornement] se distingue justement d'une épithète
normale en ceci qu'elle ne fait que souligner certains aspects du nom qu'elle
qualifie, sans pour autant être nécessaire à la bonne
interprétation de la phrase.
La suppression de l'épithète d'ornement
n'affecterait donc en aucune manière le sens réel de
l'énoncé. Fontanier (1968 :324), pour sa part, parle
d'épithète rhétorique et déclare qu'il s'agit d'un
adjectif
que l'on ajoute à un substantif, non pas
précisément pour en déterminer ou en compléter
l'idée principale, mais pour la caractériser plus
particulièrement et la rendre plus saillante, plus sensible, ou plus
énergique.
Il apparaît ainsi que
l'épithète d'ornement ne contribue pas spécialement
à l'identification du référent qualifié, mais
à sa caractérisation. Voici quelques exemples
d'épithètes d'ornement employées respectivement par un
personnage secondaire (le deh-baschi), Nadia et Michel Strogoff.
(132) Une rude femme, cette vieille
Sibérienne, qui est évidemment sa mère !dit le
deh-baschi. (p.170)
(133) Mon pauvre frère est aveugle !
(p.296)
(134) Ces damnées tsiganes ont des yeux de
chat ! (p.85)
Les adjectifs qualificatifs rude,
pauvre, damnées sont tous antéposés au
substantif qu'ils qualifient et prennent dans ce cas une signification
singulière. Pour ce qui est de l'adjectif rude par exemple, il
perd son sens premier qui signifie brutal pour marquer ici le
caractère redoutable que le deh-baschi attribue à Marfa. En fait,
l'emploi de cet adjectif dénote un étonnement de la part de ce
personnage mêlé d'un certain respect, car Marfa est une femme qui
fait preuve de ténacité et de courage tout au long du roman.
Quant aux adjectifs pauvre et damnées, ils traduisent
respectivement l'apitoiement de Nadia face à l'état physique de
Michel Strogoff et l'agacement de Michel Strogoff eu égard à la
perspicacité des tsiganes.
En outre, en employant les adjectifs de la
même famille que pauvre, Maingueneau (1993 :125) estime
que le locuteur n'apporte pas une information classifiante sur le nom,
il donne une information « détrimentaire » à
son sujet. En clair, l'antéposition d'un adjectif tel que
pauvre témoigne surtout de la pitié, de la compassion
que le locuteur a à l'égard du référent
qualifié.
Les affectifs, nous l'avons vu, indiquent une
réaction émotionnelle du sujet énonciateur et
n'apprécient pas très souvent la valeur ou l'importance d'un
référent comme les évaluatifs.
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