I.2- Les noms métaphoriques et
hyperboliques
Il s'agit dans ce point de voir comment
l'utilisation des termes métaphoriques peut aboutir à
l'idéalisation d'où l'hyperbole. Les termes métaphoriques
jalonnent les discours du narrateur ainsi que des différents personnages
de Michel Strogoff. Avant de nous intéresser au fonctionnement
de ces termes, il convient de définir au préalable le mot
métaphore, substantif duquel dérive l'adjectif
métaphorique. Ainsi, Tamba-Mecz (1981:42) définit la
métaphore comme l'attribution (épiphora) à une
réalité d'une dénomination qui n'est pas la sienne.
Elle fonde sa définition sur la similitude entre deux
réalités. En mots plus simples, la métaphore est
une figure qui opère un transfert de qualité reposant sur une
ressemblance entre deux référents. Les termes
métaphoriques apparaissent alors comme une comparaison implicite que le
locuteur suggère entre un élément A et un
élément B.
Gardes-Tamine (2001) pense, néanmoins, qu'il
faut prendre garde à cette façon de voir les choses.
D'après elle (2001 :61), la métaphore
suppose non une relation entre deux termes A et B,
mais une relation entre relations : A/B = C/D. Ainsi, si A est à B
ce que C est à D, on pourra employer métaphoriquement B pour D ou
D pour B, et A pour C ou C pour A.
C'est dire que la prise en compte de la syntaxe s'avère
nécessaire pour mieux comprendre le fonctionnement des termes
métaphoriques. Justement, ces termes constituent des métaphores
in praesentia du fait qu'ils impliquent des substantifs reliés
soit par le verbe être, soit par la configuration d'apposition,
soit par la préposition de. Analysons la valeur des termes
métaphoriques dans les énoncés ci-après, dans
lesquels Nadia, le Général Kissof, et le narrateur parlent de la
personne ainsi que des faits de Michel Strogoff :
(129) Un lion, en vérité !
répondit Nadia. (p.211)
(130) Ses membres, bien attachés, étaient autant
de leviers disposés mécaniquement pour le meilleur des
accomplissements des ouvrages de force. (p.34)
(131) C'était, comme le Yakoute des contrées
septentrionales, un homme de fer. (...) De plus,
trempé dans les neiges, comme un damas dans les eaux de Syrie, il avait
une santé de fer, ainsi que l'avait dit le général Kissof,
et, ce qui n'était non moins vrai, un coeur d'or. (p.37)
Les substantifs lion, leviers, et les
groupes nominaux homme de fer, coeur d'or, constituent des
images à forte coloration affective. En effet, à travers ces
termes métaphoriques laudatifs, Michel Strogoff est
présenté comme un être extraordinaire qui sait faire face
à toute épreuve. On constate dès lors que ces termes
excessifs cachent une autre figure de style : l'hyperbole. Mazaleyrat et
Molinié (1989:170) définissent cette dernière comme
une figure macrostructurale, selon laquelle on exagère l'indication
du sens véhiculé par le message à l'aide de lexies ou de
caractéristiques de portée sémantique supérieure au
contenu réel de l'énoncé.
On voit ainsi que l'hyperbole a une valeur
argumentative. Le narrateur veut absolument persuader le lecteur que Michel
Strogoff est un personnage surhumain en employant des substantifs à
forte coloration méliorative. Ce personnage possèderait la force
d'un lion puisqu'il a des membres qui s'apparentent à des
leviers; ce qui fait naturellement de lui un homme de fer, un
homme inflexible. En outre, Michel Strogoff est doté d'une bonté
exceptionnelle, c'est pourquoi il possède un coeur d'or.
Tadié (1996 :79) mentionne le fait que, s'agissant justement de
Michel Strogoff,
Jules Verne consacre quarante-quatre lignes à son
portrait, et soixante-dix à sa biographie. La description du physique
signifie « le courage sans colère des
héros », et Verne recourt à une
« physiologie » balzacienne pour présenter un
héros idéal, entièrement fonctionnel, sans aucune faille,
sans aucune ambiguïté, venu droit de l'épopée
antique.
A cet égard, il y a une idéalisation du
personnage de Michel Strogoff ; le lecteur devrait donc le
considérer comme un personnage sans défaut, comme un
héros. Selon Nola (2003:53), l'hyperbole s'emploie en effet
à fixer, à travers ce qu'elle dit d'incroyable, ce qu'il faut
réellement croire.
En fait, Verne nous présente un homme
prêt à tout pour accomplir sa mission. C'est pourquoi il
n'hésite pas à recourir à des termes métaphoriques
et hyperboliques pour peindre ce personnage.
On s'aperçoit que le discours axiologique
employé par les locuteurs de Michel Strogoff au moyen des
substantifs est selon les circonstances et selon les personnages aussi bien
péjoratif que valorisant, c'est également le cas des adjectifs
qualificatifs.
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