II.3- Analyse des verbes savoir et
connaître
Savoir et connaître
expriment tous les deux les connaissances qu'un locuteur a d'un fait, d'une
personne. Cependant, malgré une synonymie apparente, des
spécialités d'emplois et des différences
sémantiques peuvent être relevées entre ces deux verbes.
II.3.1- Étude syntaxique
Savoir et connaître n'ont
pas toujours le même environnement syntaxique. Picoche (1982) a
mené une étude à ce sujet. Il en ressort que seul
connaître peut avoir pour complément un substantif
concret et que seul savoir peut être suivi d'une proposition
qu'elle soit affirmative ou interrogative. Picoche (1982 :136) soutient,
à cet effet, qu'
un substantif concret a pour référent un
être dont l'existence nous est perceptible par nos sens et contestable
par notre esprit de façon globale [en revanche], une
proposition a pour référent un fait, c'est-à-dire une
relation entre deux éléments au moins.
La substitution de savoir par
connaître et réciproquement n'est pas toujours
évidente puisque ces verbes n'ont pas les mêmes emplois. Soit les
énoncés suivants :
(106) On sait qu'Ivan Ogareff occupait une chambre du
palais. (p.333)
(107) Cependant, Michel Strogoff allait toujours au hasard,
mais comme il connaissait parfaitement la ville, retrouver son chemin
ne pouvait être embarrassant pour lui. (p.27)
(108) Alors, reprit Alcide Jolivet, vous savez qu'au
milieu d'une fête donnée en son honneur, on
annonça à l'empereur Alexandre que Napoléon venait de
passer le Niémen avec l'avant-garde française. (p.21)
Tous les énoncés où sont
employés les verbes savoir et connaître dans
notre corpus sont construits sur le même modèle que les exemples
ci-dessus (savoir + proposition, connaître + substantif). Et c'est
l'opposition entre les deux types de compléments qu'admettent ces verbes
qui affecte leur sens même.
II.3.2- Étude sémantique
Les verbes savoir et
connaître désigneraient deux formes de connaissance
distinctes. A cet effet, connaître est capable de faire
correspondre à un objet une image familière. Remi-Giraud
(1986 :249) précise dans cette perspective que
le verbe connaître établit une relation
entre l'esprit du sujet et le monde extérieur : le sujet
détient, possède mentalement un objet (ce qui peut d'ailleurs
être de nature linguistique) ayant une réalité
propre.
Le verbe connaître permettrait donc
de mettre un support modal en contact avec quelque chose dont l'existence est
perceptible même si elle est de nature linguistique. Savoir,
quant à lui, d'après Culioli (1990 :131), marque la
possession d'une connaissance, concernant un certain état de
choses. Autrement dit, le verbe savoir ne met pas en contact un
support modal avec un objet familier, il lui permet plutôt de parler des
choses qu'il maîtrise. Remi-Giraud (1986 :249) est plus explicite
lorsqu'elle affirme qu'
avec le verbe savoir, le sujet n'entre pas en relation
avec le monde extérieur, mais avec l'activité langagière
elle-même, puisqu'il a dans l'esprit, non pas un énoncé
chose ayant une réalité distincte, mais la représentation
d'un acte d'énonciation.
C'est dire qu'à l'aide de savoir, le support
modal parle de sa connaissance des choses et reste dans la
réalité d'un processus mental. Nous allons tenter de mieux
expliquer la différence sémantique qui existe entre
savoir et connaître à l'aide des exemples
suivants :
(109) On sait que le glaçon qui les portait ne
se trouvait plus qu'à une trentaine de brasses du premier quai, en amont
d'Irkoutsk. (p.335)
(110) Elle connaît la steppe, elle n'a pas
peur, et je souhaite qu'elle ait pris son bâton, et redescendu les rives
de l'Irtyche. (p.138)
(111) Inutile, messieurs, nous nous connaissons.
(p.112)
A travers ces énoncés, l'on constate
que connaître indique que les locuteurs ont dans l'esprit,
l'image de la réalité distincte d'un objet (la steppe) en (110),
des personnes en (111). Savoir traduit plutôt le fait que le
locuteur en (109) a dans l'esprit la virtualité d'un
énoncé. En revanche, au-delà de toutes les
différences mentionnées, savoir et
connaître permettent à un locuteur d'affirmer avec
certitude qu'il possède un savoir, qu'il est sûr que telle chose
existe, ou qu'elle est vraie ou fausse.
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