II.2.1- Les raisons de croire
Les locuteurs ont des raisons plus ou moins
convaincantes de croire dans notre corpus. Nous avons, à cet effet,
répertorié le croire d'autorité et le croire dogmatique.
Le premier se fonde sur un témoignage, témoignage
inégalement digne de foi et auquel le locuteur accorde subjectivement
une inégale confiance. Le second, c'est-à-dire le croire
dogmatique, s'appuie sur une intuition, une connaissance directe de la
vérité sans l'aide du raisonnement. Les phrases suivantes sont
assez illustratives en ce qui concerne les raisons de croire
sus-citées.
(98) Des avis anonymes, qui n'ont pas passé par les
bureaux de la police, m'ont été adressés et, en
présence des faits qui s'accomplissent maintenant au-delà de la
frontière, j'ai tout lieu de croire qu'ils sont exacts !
(p.27)
(99) Je crois aux exilés plus de
patriotisme ! reprit le czar. (p.29)
(100) Mais, crois-moi, elle ne pourra jamais
atteindre Irkoutsk ! (p.250)
En (98), le support modal s'en tient aux propos qui
lui ont été rapportés pour fonder sa croyance. Dans les
deux autres énoncés, il se base sur des raisons qu'il pourrait
difficilement expliquer. Il apparaît alors que la croyance
présente un fait dont la véracité n'est pas toujours
avérée. C'est pourquoi Martin (1987 :57) déclare
qu'on ne peut affirmer croire ce dont il est impossible de douter. A
cet égard, employer le verbe croire signifie que ce que l'on
affirme peut ne pas être authentique.
II.2.2- Les emplois obliques du verbe croire et les univers
sous-jacents
L'expression emploi oblique est
empruntée à Martin (1987) et désigne l'usage du verbe
croire par un locuteur pour évoquer l'univers de croyance d'un
autre. Dans l'usage oblique, deux univers de croyance se superposent, et le
savoir contenu dans l'un ne coïncide pas nécessairement avec le
savoir de l'autre. La tendance au vrai, caractéristique de l'univers
évoqué, se trouve retournée en une tendance inverse.
Martin (1987 :59) précise à cet effet : mon
croire à moi qui évoque le croire d'autrui est orienté en
direction du faux. Dire il croit que P, c'est généralement
laisser entendre que moi-même je ne le crois pas.
Le sémantisme du verbe croire varie
donc souvent d'un univers à l'autre comme l'illustrent les
énoncés suivants :
(101) Elle ne redoutait plus aucun obstacle, elle se
croyait maintenant certaine d'atteindre son but. (p.124)
(102) Le gouvernement, en effet, croyait savoir que
ce traître n'avait pas encore pu quitter la Russie européenne.
(p.49)
(103) La conversation continua entre les deux officiers, et
Michel Strogoff crut comprendre qu'aux environs de Kolyvan un
engagement était imminent entre les troupes moscovites venant du nord et
les troupes tartares. (p.170)
A travers les emplois ci-dessus du verbe
croire, on constate que le narrateur n'accorde pas beaucoup de
crédibilité aux propos des énonciateurs qu'il met en
scène. Bien plus, ces emplois traduisent la volonté du narrateur
de prendre des distances par rapport aux paroles rapportées. La
fausseté s'attache également quelques fois aux emplois de
croire lorsqu'un locuteur décrit son propre univers de croyance
en un temps antérieur qui n'est plus son univers actuel. Analysons les
énoncés ci-dessous :
(104) J'ai cru que le Caucase allait partir
sans vous, dit celui-ci d'un air moitié figue, moitié raisin.
(p.87)
(105) J'ai donc cru devoir lui marquer que,
pendant cette fête une sorte de nuage avait semblé obscurcir le
front du souverain. (p.20)
L'emploi du verbe croire au passé
composé (ai cru, ai cru devoir) laisse penser que les locuteurs
sus-cités ne croient plus ce qu'ils avaient affirmé dans le
passé, que leurs croyances leur apparaissent actuellement comme fausses.
De ce fait, évoquer son propre univers dans le passé, c'est
inévitablement suggérer une rupture avec les croyances soutenues
dans ce passé. Au regard de ce qui vient d'être dit, le meilleur
moyen de présenter un fait dont on ne saurait douter de la
véracité serait d'employer les verbes savoir ou
connaître et non le verbe croire.
|