I.1.1.3- Les adverbes modalisateurs
Plusieurs adverbes dans Michel Strogoff
expriment une opinion nuancée et traduisent ainsi un doute, une
hésitation. Il y a certains qui sont intrinsèquement modaux de
par leur signification (probablement, sans doute, peut-être...), tandis
que d'autres ne sont modaux qu'en fonction du contexte d'emploi. C'est le cas
de comme qui s'apparente dans certains énoncés à
un adverbe de modalité. Soit les énoncés
suivants :
(69) La riche voûte, avec ses dorures, adoucies
déjà sous la platine du temps, était comme
étoilée de points lumineux. (p.14)
(70) La sclérotique en était
légèrement plissée et comme racornie. (p.245)
Le marqueur aléthique comme permet
aux supports modaux des énoncés (69) et (70) de donner juste une
impression de ce qu'ils veulent dire. C'est pourquoi ce marqueur ne peut
traduire qu'une attitude d'indécision des supports modaux.
Examinons à présent le fonctionnement
des adverbes intrinsèquement modaux à l'aide des exemples
ci-après :
(71) Et, sans doute, elle suffit à lui faire
reconnaître le conducteur de la kibitka, car son front se
rasséréna aussitôt. (p.249)
(72) Alcide Jolivet, lui, voyant cette colère, riait
à se tordre et comme il n'avait jamais ri peut-être.
(p.120)
(73) Voici des curieux et des indiscrets que je rencontrerai
probablement sur ma route. (p79)
(74) Son rival, qui l'avait vraisemblablement apprise
de quelque habitant de Kazan, l'avait aussitôt transmise à Paris.
(p.87)
Tous les adverbes modaux présents ci-dessus
(sans doute, peut-être, probablement,
vraisemblablement) présentent certes comme probable la
réalisation des procès dans lesquels ils sont employés,
toutefois ils ont chacun une valeur stylistique particulière. Pour ce
qui est de l'adverbe sans doute, dans son sens premier, il signifie
l'absence totale d'incertitude ; néanmoins, il est employé
pour marquer la contingence d'un fait. Schott-Bourget (2003 :89) tente
d'expliquer ce phénomène lorsqu'elle fait observer qu'en ce qui
concerne les adverbes de la catégorie de sans doute,
de thétiques (posant la vérité
de l'énoncé), ils sont devenus hypothétiques (supposant la
vérité de l'énoncé). Ce glissement
sémantique qui, bizarrement, n'est pas toujours mentionné dans
les dictionnaires, peut s'expliquer de deux façons : à trop
être utilisés, ces adverbes ont connu une érosion
sémantique ou alors éprouver le besoin de les employer -et donc
de renforcer son discours- est signe de faille.
Ainsi, employer sans doute comme en (71) pourrait
dénoter un manque d'assurance à propos de la vérité
du fait énoncé.
Par contre, l'adverbe peut-être qui
signifie littéralement ce qui peut ou non être, traduit souvent
une volonté de donner plus de crédibilité à ce que
l'on dit. De ce fait, aussi paradoxal que cela puisse paraître,
Fromilhague et Sancier (1991 :89) estiment qu'un adverbe comme
« peut-être » produit « un effet de
vérité » plus grand qu'une phrase
assertive.
A cet égard, montrer ses hésitations
peut s'avérer être une ruse ; tel est le cas en (72)
où le locuteur, à l'aide du marqueur peut-être,
semble feindre une indécision pour mieux amener l'allocutaire à
partager son point de vue. On constate que peut-être dans ces
conditions a une valeur pragmatique. Cet adverbe se distingue ainsi de certains
modalisateurs tels que les adjectifs qualificatifs et les tours impersonnels
puisqu'il a très souvent un sens implicite.
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