PREMIÈRE PARTIE :
APPROCHE THÉORIQUE DE LA MODALISATION
Il est question, dans cette partie, de présenter notre
approche de la modalisation. Cela se fera en deux temps: étant
donné la diversité d'angles sous lesquels la modalisation est
étudiée, nous tenterons d'apporter au chapitre premier des
précisions terminologiques sur les concepts employés dans les
travaux la concernant. Au chapitre deuxième, nous essayerons de voir si
les modalités énonciatives peuvent être
considérées comme des procédés de modalisation et
si elles présentent des similitudes avec les modalités
d'énoncé.
CHAPITRE PREMIER :
PRÉCISIONS TERMINOLOGIQUES
L'une des causes de la complexité de la modalisation
provient de la difficulté qu'éprouvent la plupart des auteurs
à circonscrire la diversité des phénomènes auxquels
cette notion renvoie. Picavez (2003 :43) donne un aperçu du flou
sémantique qui entoure les notions liées à la modalisation
lorsqu'il rappelle :
O. Galatanu, dans sa définition [par
exemple] de la modalité parle de prise en charge du sujet parlant ou
sujet communicant. N. Le Querler évoque quant à elle la prise en
charge du locuteur ou du sujet énonciateur. On rencontre aussi dans
divers travaux les concepts de sujet d'énoncé, ou de sujet
d'énonciation.
A la lecture du point de vue de Picavez (2003), on se rend
compte que pour une même entité, plusieurs concepts sont
employés. Ce faisant, ce chapitre constitue une mise au point sur les
différents concepts et éléments linguistiques qui sont
employés pour référer à la modalisation.
I- LA CLASSIFICATION DES PROCÉDÉS DE
MODALISATION
Notre objectif dans ce paragraphe est d'exposer un
aperçu des différents procédés de modalisation
selon quelques auteurs avant de présenter la typologie qui sera mise en
contribution pour l'analyse de Michel Strogoff. Cependant nous allons,
avant toute chose, nous intéresser à la distinction
modus/dictum puisqu'elle est à la base de la théorie
générale de l'énonciation chez Bally (1965).
I.1- La distinction modus/dictum
Pour Bally, tout énoncé combine la
représentation d'un procès ou d'un état (dictum), avec une
modalité affectant ce dictum corrélative à l'intervention
du sujet parlant (modus). La modalité se définit donc comme une
attitude réactive du sujet parlant vis-à-vis d'un contenu. De
plus, la modalité se présente comme l'âme de la phrase.
C'est pourquoi Bally (1965 :35) affirme :
de même que la pensée, elle [la
modalité] est constituée essentiellement par
l'opération active du sujet parlant. On ne peut donc pas attribuer la
valeur de phrase à une énonciation tant qu'on n'y a pas
découvert l'expression quelle qu'elle soit de la
modalité.
Dans ces conditions, toute phrase contient obligatoirement une
modalité qui permet au locuteur de juger qu'une chose est ou n'est pas,
d'estimer qu'elle est désirable ou indésirable, ou de vouloir
qu'elle soit ou ne soit pas. Le modus et le dictum apparaissent, de ce fait,
comme deux notions consubstantielles, nécessaires à la
réalisation d'un énoncé. Un sujet énonciateur ne
réagit que parce qu'il y a une représentation. A propos justement
de la complémentarité qui existe entre le modus et le dictum,
Bally (1965 :38) déclare :
En portant maintenant notre attention sur le sujet du
modus, nous découvrons un autre rapport de
complémentarité. Ce sujet nous apparaît comme le
siège, le « lieu » de la représentation
exprimée par le dictum, et celle-ci est reliée au sujet par le
verbe porteur de la modalité, il a la forme d'un verbe transitif dont le
dictum est le complément d'objet. C'est donc, plus exactement une
copule, qui crée entre les deux termes qu'elle associe un rapport de
conditionnement réciproque ; car il n'y a pas de
représentation pensée sans un sujet pensant, et tout sujet
pensant pense à quelque chose.
Ainsi, comme dans toute dichotomie, la définition de
l'un des termes ne réside pas seulement dans les précisions
apportées quant à son contenu, mais dépend
également du terme opposé et de la définition qui en est
donnée. En l'occurrence, la question de la réaction du sujet
énonciateur est subordonnée à la définition de la
représentation. Aussi des rapports très étroits
unissent-ils les termes d'une phrase logiquement constituée (sujet
modal, verbe modal, dictum). Pour Bally (1965), un énoncé tel que
je crois que cet accusé est innocent présente un sujet
pensant (moi), opérant un acte de pensée
(croire), sur une représentation (l'innocence d'un
accusé).
Tout énoncé serait donc constitué d'un
sujet modal (x, l'être qui réagit), d'un verbe modal (le type de
réaction), et d'un dictum (la représentation, objet de la
réaction). Au regard de ces éléments qui composeraient un
énoncé, il y a lieu de se demander si la modalité ne se
manifeste que sous la forme d'un verbe quand on sait qu'une pléthore
d'éléments syntaxiques, grammaticaux peuvent également
exprimer une modalité.
Sur un tout autre plan, on constate que modalité et
subjectivité semblent se confondre chez Bally (1965) puisque, pour lui,
tout énoncé suppose la réaction subjective d'un sujet face
à un contenu objectif. Or, il assimile la présence d'un sujet
énonciateur dans un énoncé à celle de la
modalité. Dans cette perspective, la modalisation pourrait se confondre
avec la totalité des phénomènes énonciatifs
attestant de la présence du sujet dans ses productions. C'est dans ce
sens que Ducrot (1993 :128) souligne : ce qu'on appelle
idée, dictum, contenu propositionnel n'est constitué par rien
d'autre, selon moi, que par une ou plusieurs prises de positions.
Ducrot (1993) plaide à travers ces propos pour une
autre conception du dictum, de la représentation, qui
devrait permettre de mieux appréhender la notion de modalisation. Ce
linguiste admet donc que le niveau du dictum implique la
présence d'un sujet parlant qui organise ses énoncés dans
la plus parfaite subjectivité. C'est, par ailleurs, sur une telle
conception que s'appuie Culioli (1984) pour établir une typologie des
modalités.
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