CADRE THÉORIQUE
La stylistique de l'expression
La stylistique est à la fois une discipline et une
méthode qui a pour objet le style. Elle étudie entre autres, les
modes de composition utilisés par un auteur dans ses oeuvres, les
techniques du style, les traits expressifs d'une langue. Ce dernier aspect fait
partie de la stylistique de l'expression puisqu'elle s'intéresse
à l'isolement et à l'identification des faits d'expression
entendus dans leur caractère affectif afin de les
analyser. La stylistique de l'expression encore appelée stylistique de
la langue naît du désir de Bally (1951) de donner à la
stylistique un caractère scientifique et descriptif et non plus
normatif. Ainsi, pour le linguiste genevois (1951 :16),
La stylistique étudie donc les faits d'expression
du langage organisé au point de vue de leur contenu affectif,
c'est-à-dire l'expression des faits de la sensibilité par le
langage et l'action des faits de langage sur la sensibilité.
Cette caractérisation prend en compte non seulement
l'expression linguistique des sentiments, mais aussi la réception du
message, comme le montre bien l'intérêt porté à ce
que Bally appelle ici l'action des faits de langage sur la
sensibilité, ce qui prouve bien l'importance que l'auteur
accorde à l'interaction dans l'analyse de la communication. Car, avec la
stylistique de l'expression, précise Stolz (1999 :6),
chaque procédé d'expression est censé produire
un effet sur le récepteur, d'où une seconde dénomination
attachée à cette méthode, celle de stylistique des
effets. Il est donc question d'étudier non seulement les
procédés d'expression, mais aussi leurs effets sur le
récepteur.
En bon disciple de Saussure, Bally (1951) conçoit la
stylistique comme une extension de la linguistique saussurienne
appliquée au domaine des faits expressifs. Il précise que ces
faits constituent un système empruntant ainsi
à Saussure (1974) une notion que ce dernier avait introduite pour rendre
compte du fonctionnement des langues. Le père de la linguistique moderne
(1974 :159) pense en effet que, la langue est un système dont
les termes sont solidaires et où la valeur de l'un ne résulte que
de la présence simultanée des autres.
Bally (1951) reprend cette notion
de système pour l'appliquer à l'analyse
stylistique telle qu'il l'a définie. Les moyens d'expression sont entre
eux dans un état de relativité ; ils ne forment pas un
ensemble par leur nombre, mais un système par leur groupement et leur
pénétration réciproque. Les symboles linguistiques n'ont
de signification et ne comportent d'effet qu'en vertu d'une réaction
générale et simultanée des faits de langage, qui se
limitent et se définissent les uns par rapport aux autres. Ainsi, une
oeuvre littéraire forme un système cohérent
intrinsèque, de telle sorte qu'en décrire le style revient dans
la pratique à inventorier les faits de langue qu'elle actualise, et
à montrer comment ceux-ci s'articulent les uns avec les autres pour
produire un effet de style.
Dans ces conditions, l'objectif de Bally (1951) consiste
à dépasser le cadre de l'abstraction pour passer à celui
de la langue parlée à savoir le langage affectif. C'est à
ce dernier niveau qu'il faut placer l'oeuvre littérature qui n'est,
selon le linguiste genevois, qu'une parole individuelle. Ce faisant, la
stylistique de l'expression semble être le cadre conceptuel
opératoire capable d'apporter des réponses aux problèmes
soulevés par les procédés de modalisation dans Michel
Strogoff. En effet, la stylistique de l'expression analyse les
procédés, les caractères affectifs des faits d'expression,
les moyens mis en oeuvre par la langue pour les produire. Cette stylistique
s'intéresse aussi aux relations existant entre ces faits et enfin
à l'ensemble du système expressif dont ils sont les
éléments. Ce concept opératoire nous permet ainsi
d'envisager un plan en trois parties.
La première partie intitulée approche
théorique de la modalisation comporte deux chapitres. Dans le
premier, il sera question de lever un pan de voile sur les termes et concepts
employés dans les travaux de modalisation. Au deuxième chapitre,
nous essayerons de voir si les modalités énonciatives doivent
être considérées comme des procédés de
modalisation ou des marques de la communication intersubjective. En fait, ces
modalités sont au centre d'une vive controverse, c'est pourquoi nous
tenterons de voir si elles méritent d'être étudiées
dans notre corpus en tant que procédés de modalisation.
Dans la deuxième partie, nous étudierons les
jugements de fait et de valeur dans Michel Strogoff. Le
chapitre troisième nous permettra de nous intéresser aux
modalités d'énoncé, à leur fonctionnement, à
leur impact en tant que faits d'expression. Le chapitre quatrième, quant
à lui, portera sur la modalisation axiologique des
référents humains dans notre corpus. On verra de ce fait que la
description des personnages dans notre support d'étude n'est pas un fait
du hasard et que son étude revêt une grande importance dans la
compréhension de l'oeuvre.
La troisième partie portera sur l'analyse de la
modalisation comme une stratégie de mise en valeur et d'argumentation.
Au cinquième chapitre, nous étudierons comment les marquages
typographiques et les commentaires métalinguistiques permettent de
mettre en exergue des éléments apparemment sans valeur, mais qui
sont très significatifs et expressifs. Le sixième chapitre
s'intéressera aux différentes stratégies argumentatives
que Jules Verne emploie pour gagner le lecteur à sa cause.
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