I.1.2 L'ordre des constituants de la phrase
L'énoncé assertif présente
normalement l'ordre syntagme nominal (SN) sujet (ou son substitut) + syntagme
verbal (SV) (verbe et éventuellement un SN régime). Les
énoncés assertifs suivants sont construits selon cet
ordre :
(19) Les télégrammes ne passent plus Tomsk,
sire. (p.22)
SN SV
(20) Cette lettre sera remise à son Altesse le
grand-duc. (p.40)
SN SV
(21) J'irai à Irkoutsk. (p.39)
SN SV
L'ordre canonique (SN + SV) observé
ci-dessus n'est pas pleinement pertinent si on ne lui associe une intonation
descendante. Il arrive, par ailleurs, que le sujet soit postposé dans
Michel Strogoff. A en croire Le Goffic (1993 :97), cette
postposition constitue une simple variante de l'ordre normal qui
n'altère pas la modalité de phrase. Elle se rencontre
surtout dans des phrases commençant par des adverbes ou des
compléments circonstanciels ainsi que le montrent les occurrences
ci-après :
(22) Sous ses yeux, baignée par les rayons
lunaires, s'arrondissait une enceinte fortifiée.
(p.23)
(23) Peut-être elle-même ignore-t-elle
ce qui se passe. (p.57)
L'antéposition du complément
circonstanciel sous ses yeux et de l'adverbe modal peut-être
ne modifie pas la modalité des énoncés
sus-cités. En (22), cette antéposition semble être une mise
en relief qui découle seulement d'un choix délibéré
des locuteurs. C'est également ce que pense Grevisse (1980 :193)
quand il soutient que
ce sont souvent certaines raisons de style (mise en
relief, harmonie et équilibre de la phrase) ou la suite naturelle des
idées qui assignent au complément circonstanciel la place qui lui
convient relativement au verbe et aux compléments.
Ainsi, le locuteur a débuté sa
phrase par sous ses yeux parce qu'il voudrait sans doute
attirer l'attention du lecteur. En (23), l'antéposition de l'adverbe
modal peut-être entraîne également la postposition
du sujet (elle). Ce phénomène est une réminiscence de
l'ancien français dont une des règles syntaxiques majeures
était l'inversion obligatoire du sujet dans toute phrase affirmative
introduite par un régime (adverbial, prépositionnel, etc.).
Wagner et Pinchon (1991 :558) expliquent de ce fait : au
début de l'époque classique la postposition du terme sujet
était encore presque obligatoire quand la phrase commençait par
un adverbe de sens modal. Nous ajoutons à la suite de Wagner
et Pinchon (op. cit.) que cet ordre est encore suivi comme le montre l'exemple
(23).
On se rend compte que la modalité assertive
ne révèle pas tant les relations entre locuteur et destinataire
que le constat fait par le locuteur sur quelqu'un ou sur quelque chose, en les
présentant comme vrai. Cependant, il nous semble que l'acte assertif ne
saurait être un procédé de modalisation dans la mesure
où il permet surtout à un locuteur de fournir une information
qu'il tient pour vrai et à amener l'interlocuteur à y
adhérer. C'est sans doute ce qui fait dire à Le Goffic
(1993 :93) qu'avec l'assertion, je veux te convaincre de la
vérité de P ; je veux que tu reconnaisses mon intention de
te convaincre.
Ainsi, avec l'assertion, le locuteur sait et tient
pour vrai ce qu'il avance. Lorsque le locuteur remet en question la
validité d'une assertion et qu'il sollicite le point de vue de
l'interlocuteur, la modalité devient interrogative.
|