L'effet normatif des conventionspar Dany MARIGNALE Université Paris XII - Master 2 recherche en droit privé 2007 |
Paragraphe II) Recherche d'un apport de l'effet obligationnel à l'effet normatif.33. Le régime protecteur de l'obligation. La production d'un effet normatif de la convention est caractérisée par l'inertie des parties : les parties se bornent à la formation d'une convention qui modifiera leur situation juridique. Leur consentement est à l'origine de ces changements mais ceux-ci s'effectuent, sans nécessiter une quelconque médiation de leur volonté ou l'accomplissement de leur part d'un quelconque fait positif. Prises dans le lien obligationnel, la convention impose aux parties l'accomplissement d'une prestation. En ce qu'il s'opère par la médiation de l'activité du débiteur, la volonté d'une des parties joue encore un rôle dans la réalisation des effets du contrat. De ce fait, la production d'une obligation par l'accord de volontés ouvre la possibilité d'une inexécution, inexécution qui ne se conçoit pas lorsque la convention se borne à une modification, de plein droit de la situation juridique des parties. Par la contrainte qu'elle opère alors sur la personne du débiteur, la protection des libertés individuelles commande d'encadrer la production de l'obligation civile par un régime protecteur. Les articles 1136 à 1155 du code civil réunissent les règles relatives à l'exécution de l'obligation civile. Les premiers articles sont relatifs à l'obligation de donner (art 1136 à 1142) les suivants aux obligations de faire et de ne pas faire. La ligne de force sur laquelle repose le régime de l'exécution de l'obligation est l'allocation de dommages et intérêts à titre de sanction de son inexécution221(*). Aussi, lorsque l'engagement du contractant consiste en l'accomplissement d'un fait positif, l'exécution forcée de celle-ci, en ce qu'elle engage la personne du débiteur, se heurte à la prohibition de toute contrainte par corps consacrée par le droit français et partant se résout, soit par l'allocation d'une somme d'argent au titre du dédommagement du créancier, soit par le remboursement des sommes engagées par ce dernier pour la satisfaction de ses intérêts à laquelle le débiteur initial a failli. Ces dispositions assurent donc une protection de la partie à la convention lorsqu'elle s'est rendue débitrice d'une obligation en garantissant audit débiteur le respect des droits que le droit français consacre à la liberté de faire de l'individu tout en limitant les effets dommageables de l'inexécution pour l'autre partie à la convention. Toutefois, la convention n'est pas la source exclusive de l'obligation civile, rapport de droit que la loi et le juge sont également en mesure de mettre en place. Quelqu'en soit la source l'obligation civile obéira toujours, au régime ci-dessus décrit et qui assurera, la protection de la personne qui a la charge de son exécution222(*). Par conséquent, cette garantie des droits de la personne résulte davantage du régime légal de la notion d'obligation et ne peut donc pas être recensé au nombre des effets de la convention. En réalité, l'obligation civile met, elle même en place une norme de comportement qui s'imposera aux parties, norme présentant toutefois la particularité de leur commander l'accomplissement de prestations. Cette caractéristique toute particulière explique que la loi ait prévu des limites à la portée de cette norme. Ces limites à la délégation de pouvoir normatif dont jouissent les parties à la convention doivent également être comprises comme l'empreinte du Législateur sur le contenu de la norme, une nouvelle forme de contenu extraconsensuel de la convention. Cette constatation revient à s'interroger sur l'existence même d'un effet obligationnel distinct de l'effet normatif de la convention et à considérer l'obligation civile comme étant une norme née de la convention parmi d'autres (la bonne foi ou les clauses d'usage non exprimées223(*)...), assortie d'un régime légal justifié par la restriction des libertés individuelles qu'elle est susceptible d'opérer. En revanche, l'effet normatif de la convention affirme son autonomie révélée par ce que l'on a pu nommer le contrat-organisation. L'accord de volontés s'inscrit alors davantage dans une dynamique de coopération qui tend à limiter la convention à la production d'un seul effet normatif, la définition du but des parties, laissant à ces dernières toute latitude dans l'accomplissement des prestations nécessaires à sa poursuite. Conclusion : Les parties à la convention disposent d'un véritable pouvoir non pas seulement de créer des obligations, mais de créer de véritables règles de droit. La loi ainsi créée s'impose avec une certaine vigueur dans la société, on l'a vu, et ce y compris, dans une certaine mesure au Législateur, puisque l'insertion dans l'ordonnancement juridique d'une Loi nouvelle ne fait pas obstacle à ce que la norme créée par les parties y demeure. Mais l'enthousiasme suscité par ce constat d'un véritable pouvoir normateur délégué aux contractants doit être mesuré. Les conditions d'inscription de la norme conventionnelle au sein de l'ordonnancement juridique sont extrêmement nombreuses et la densité des règles gouvernant le contenu de l'accord de volontés ne laisse aux parties qu'un rôle résiduel dans la composition de la convention. Le rôle des parties se limite à la volonté initiale, celle de produire un effet de droit dont la fixation des caractéristiques et du régime s'avèrent bien plus être les prérogatives de l'Ordre social. L'inscription de la norme crée dans l'environnement normatif commande l'intervention de la loi224(*) puis du juge225(*) qui transforment la convention « légalement formée » en norme « légalement composée »226(*). Certains auteurs ont, pour faire valoir ce recul de l'autonomie de la volonté substitué à ce fondement traditionnel de la force obligatoire, l'idée du « juste et de l'utile »227(*). Le fondement de la force obligatoire semble donc imputable à la production d'une norme produite par les parties mais dont le contenu est conditionné par « son utilité sociale et de sa conformité avec la justice contractuelle »228(*). * 221 L'article 1142 du Code civil pose la règle suivant laquelle toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout par des dommages et intérêts en cas d'inexécution de la part du débiteur, les articles suivants tracent le régime des dommages et intérêts résultant de l'inexécution de l'obligation. * 222 Voy. néanmoins l'art. 1425-1 du NCPC : l'exécution en nature d'une obligation née d'un contrat conclu entre des personnes n'ayant pas toutes la qualité de commerçant peut être demandée au tribunal d'instance lorsque la valeur de la prestation dont l'exécution est réclamée n'excède pas le taux de compétence de cette juridiction. * 223 L'art. 1160 ainsi rédigé : « on doit suppléer dans le contrat les clauses qui y sont d'usage quoiqu'elles n'y soient pas exprimées » témoigne également du rôle concédé par le Législateur au juge dans la composition du contenu de la norme. * 224 L'insertion d'un droit de repentir dans la convention, particulièrement révélateur de la remise en cause par le Législateur de la « loi des parties » traverse bien des branches du droit : consacré aux articles L121-25 du C.consom. pour le démarchage à domicile, L311-15 du C.consom. pour le crédit à la consommation, L.121-20 du C.consom pour la vente à distance du) et dans d'autres législations dans l'enseignement à distance (C.éduc. L.448-8) ou le démarchage financier (C.mon.et fin. Art. L.341-16) ou d'achat immobilier (CCH, art. L271-1). * 225 Tantôt « interprétation adjonction » (A.RIEG, Le rôle de la volonté dans l'acte juridique en droit civil français et allemand : thèse PARIS, 1961, n°406, tantôt « interprétation active » (J.MESTRE et A.LAUDE, « L'interprétation active du contrat par le juge » in Le juge et l'exécution du contrat PU AIX MARSEILLE 1993 p.9) ou sans détours « interprétation créatrice » (F.TERRE, P.SIMLER, Y.LEQUETTE, Les obligations, n° 453 ) la doctrine est en tout état de cause unanime pour réunir tous ses artifices sous l'expression consacrée de « forçage du contrat » * 226 CHAZAL obs. sous CA Paris, 6 févr. 1998, JCP 1999.II.10018 p.225 ; * 227 E.GOUNOT, le principe de l'autonomie de la volonté en droit privé, th. DIJON 1912 ; Voy. aussi ZAKZAS, Les transformations du contrat et leur loi, th. Paris, 1939, p. 55 qui évoque l'adaptation des « instruments juridiques de la (...) répartition des biens aux exigences de l'idéal moral dominant et à l'équilibre de la nouvelle structure sociale » ; ou encore « le contrat ne vit pas détaché de tout contexte temporel ou spatial, isolé de la société civile, à l'abri des vents de l'économie et du poids des idées dominantes ; le contrat est tout imprégné de données économiques et sociales » G.LYON-CAEN « L'obligation implicite » D.2000.109 * 228 J.GHESTIN, Traité de droit civil, les obligations, la formation du contrat. préc., n° 187. |
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