1.2.1.2- La capture
Dans un marché public, les entreprises soumissionnaires
ne sont pas les seuls acteurs. Un ou des agents représentant
l'entité publique sont en charge d'organiser le marché, de
choisir la procédure d'attribution suivie, de choisir des
critères qualitatifs et leurs poids relatifs pour juger d'une offre
multicritères, d'accorder des délais supplémentaires pour
répondre à l'appel d'offres, d'invalider le résultat d'un
appel d'offres ou d'autoriser les soumissionnaires à modifier leurs
offres etc. Ces agents publics sont partie prenante de la procédure et y
jouent un rôle actif du fait de leur pouvoir discrétionnaire.
La capture ou la corruption relève donc d'une coalition
entre l'acheteur et un ou plusieurs offreurs. Mougeot et Naegelen (1997) en
distinguent trois principales formes :
- le paiement de prestations fictives ou « pot de
vin » par tous les participants équivaut à un
coût de participation qui augmente le prix moyen d'une somme
supérieure à celle du pot de vin,
- l'attribution du marché au moins disant qui
reçoit en fait ex-post un prix plus élevé à la
suite d'un avenant qui compense le paiement latéral à
l'acheteur,
- l'attribution selon l'offre économiquement la plus
avantageuse en fonction d'un critère subjectif
préférentiel.
Pour eux, le pouvoir discrétionnaire dont jouit
l'acheteur est en général suffisant à l'émergence
du favoritisme. Ainsi on ne peut lutter contre celui-ci qu'en réduisant
ce pouvoir : réduction du pouvoir de rétorsion qui justifie
le paiement de pots de vin par tous les offreurs, limitation des
possibilités d'avenants, réduction des possibilités de
choix préférentiels de la qualité. Cependant, ils sont
conscients que cette réduction peut avoir des effets pervers
(réduction du nombre de concurrents par exemple) et qu'il est impossible
de définir une règle générale.
Pour Caillaud (2001), les agents publics, comme tout agent
économique, réagissent à des motivations qui leur sont
propres, comme des priorités morales ou déontologiques, ou qui
leur sont imposées par leur environnement socio-économique, comme
celles relatives à leur carrière administrative, professionnelle
ou politique. Ainsi , bien que conscients de l'intérêt public, ces
agents peuvent être amenés à prendre des décisions
qui ne concordent pas nécessairement avec l'efficacité sociale,
car celle-ci n'est pas leur unique préoccupation et ces décisions
leur permettent de remplir au mieux leurs objectifs plus complexes. En effet,
l'agent public peut être influencé par la perspective d'une
carrière (pratique du pantouflage), de contrats futurs ou d'autres
formes licites de financement ou de compensation, et détourner la
procédure au bénéfice de l'entreprise qui peut lui assurer
de telles perspectives. Les accointances personnelles et les divers facteurs
psychologiques intervenant dans les carrières de ces agents sont aussi
sources de défaut d'objectivité. Il ne saurait donc y avoir
d'analyse des procédures d'attribution des marchés publics sans
une prise en compte de ce risque de capture.
De plus, cet auteur indique qu'à côté de
cette distorsion dans les choix des agents due aux multiples incitants auxquels
ils sont soumis, il existe aussi des formes frauduleuses de capture où
un agent public détourne une procédure en échange de
faveurs illicites tels que les voyages, les services à titre
privé, les pots-de-vin, les financements occultes d'activités ou
de campagnes politiques etc. Sans verser dans la presse à scandale,
l'existence de cette forme de capture ne peut être niée.
En outre, l'auteur distingue la capture par un soumissionnaire
de celle de plusieurs soumissionnaires. D'abord la capture de l'agent public
par un soumissionnaire résulte en général en un biais dans
l'attribution du ou des marchés, une situation
généralement qualifiée de favoritisme. Les termes de
l'attribution eux-mêmes peuvent être altérés, afin
que celle-ci se fasse à un prix plus avantageux pour le soumissionnaire
ou selon des spécifications techniques ou commerciales moins
contraignantes. Quant à la capture par un ensemble de soumissionnaires,
le but est pour ces derniers d'organiser et de coordonner une entente entre eux
par l'intermédiaire de l'agent public. La capture et les ententes sont
alors indissociables et se nourrissent l'une de l'autre. Et il est
intéressant de souligner que, dans une telle situation, il n'y a pas
à choisir le moindre d'entre deux maux ; car les deux types sont
complémentaires et on ne saurait lutter contre l'un par des mesures
susceptibles de favoriser l'émergence de l'autre.
Les conséquences de la capture sont très
similaires à celles de la collusion entre soumissionnaires. En cas de
capture, en particulier de favoritisme, l'attribution d'un marché est
détournée au profit d'un soumissionnaire à même de
proposer une contrepartie attractive à l'agent public, un critère
sans rapport avec le fait que l'entreprise ait, par exemple les coûts les
plus faibles ou l'offre la plus performante. L'inefficacité sera donc la
règle dans les situations de capture. La capture conduit aussi à
la manipulation des prix d'attribution des marchés publics au
bénéfice de l'entreprise qui l'emporte, donc aux dépens
des finances publiques et, in fine, des contribuables.
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