Paragraphe II
Portée juridique de cette procédure
La mise en branle de l'article 46, quoique
ayant reçu l'avis favorable du Conseil Constitutionnel, ne devrait
même pas sous-tendre une opération de révision
constitutionnelle mineure, encore moins pour l'adoption d'une nouvelle
Constitution, entendue au sens de loi fondamentale et suprême. En effet,
même utilisé comme voie de révision de la Constitution, le
recours à cette procédure demeure contestable du fait que la
procédure normale de révision de la Constitution était
expressément prévue au X et à l'article 89 de la
Constitution intitulée « De la révision ».
L'article litigieux avait pour pendant l'article 11 de la Constitution
française de 1958. Ce dernier prévoit que « le
Président de la République, sur proposition du Gouvernement
pendant les sessions ou sur proposition conjointe des deux Assemblées,
peut soumettre à l'approbation du peuple tout projet de loi portant sur
l'organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à
la politique économique ou sociale de la nation et aux services, ou
tendant à autoriser la ratification des traités qui, sans
être contraires à la Constitution, aurait des incidences sur le
fonctionnement des institutions ». Un tel article a
été utilisé avec succès par le
Général de Gaulle pour réviser la Constitution
française en 1962. Ce n'est qu'à la deuxième tentative de
révision constitutionnelle sur la base d'une même disposition
--celle de l'article 11 -- qu'une telle pratique manifestement
irrégulière a rencontré un échec sans
précédent.
Cette déconvenue devant le suffrage universel a
été à l'origine de la démission du fondateur de la
Ve République de la Présidence. A ce propos, la
doctrine avait presque unanimement considéré que le recours
à l'article 11 pour réviser la Constitution n'est qu' une forme
de contournement de la procédure normale de révision de la
Constitution. Ce point de vue fut confirmé par le Conseil d'Etat
français, dans son arrêt Sarran du 30 octobre 1998.
Il est vrai que ni la doctrine, ni la jurisprudence
française ne peuvent primer sur la décision d'une juridiction
sénégalaise, en l'occurrence sur l'avis du Conseil
Constitutionnel sénégalais (voir infra). Mais la seule
situation de non-conformité du recours à l'article 46 avec la
tradition devrait largement suffire pour déclarer cette pratique
irrégulière et d'en tirer les conséquences qui s'en
suivent : le non respect des lois régissant le genre fait
subsister -- quant au fond -- la Constitution de 1963 ; la rupture ne
s'étant véritablement réalisée que du point de vue
de la forme.
Somme toute, pour répondre aux exigences du peuple,
s'offrir un cadre juridique meilleur propice à l'exécution de son
programme, ou s'assurer une réélection -- ce qui n'est plus
à rechercher de nos jours, puisque cette reconduction de l'équipe
présidentielle a été réalisée depuis
Février 2007-- le personnel dirigeant issu de l'alternance du mars 2000
a initié un projet de Constitution qu'il soumit avec succès au
peuple pour adoption. La nouvelle Constitution ainsi obtenue a pu se justifier
aussi bien politiquement que par la procédure qui a sous-tendu son
adoption. Mais, c'est aussi à ses importantes innovations que la
nouvelle Constitution de 2001 doit son qualificatif.
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