Révision de la Constitution sénégalaise de 2001( Télécharger le fichier original )par Mahmoud Khamal Dine BAYOR Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Maîtrise de Droit des Relations Internationales 2007 |
Section IILa procédure d'adoptionLe contournement de la procédure normale de révision constitutionnelle définie par l'article 89 précité a amené l'initiateur du nouveau texte constitutionnel à recourir à une toute autre procédure pour faire adopter la Constitution de 2001. Cette procédure, dite référendaire, fut celle mise en branle sur la base de l'article 46 de la Constitution tacitement abrogée (Paragraphe I). Par ailleurs, le recours à une telle procédure a été perçu comme une pratique irrégulière dont il convient de déterminer la portée (Paragraphe II). Paragraphe ILe recours à la procédure référendaire de l'article 46Une fois l'oeuvre de la commission chargée de la rédaction de la nouvelle Constitution achevée, le Président eut recours à l'article 46 pour faire adopter le projet de Constitution par le peuple, et donc sans passer par l'Assemblée nationale. Il convient de ce fait de rappeler, avant toute autre considération, le contenu d'un tel article. Aux termes de cet article, « le Président de la République peut, sur la proposition du Premier Ministre et après avoir consulté les présidents des assemblées et recueilli l'avis du Conseil Constitutionnel, soumettre tout projet de loi au référendum5(*) ». Une lecture analytique d'une telle disposition appelle un certain nombre d'observations. D'abord, sur l'intervention du Premier Ministre dans cette procédure, il convient de retenir que la réalisation de la proposition qui pourrait émaner de lui ne soulève pas de difficulté dans la mesure où il est nommé par le Président avec qui il n'y a pas, en principe de risque de mésentente. Ensuite, la consultation du Président de l'Assemblée nationale étant une simple consultation, de même que l'avis du Conseil Constitutionnel qui ne lie pas le Président de la République, aucun véritable obstacle ne se dressait devant la volonté présidentielle. La question de droit qu'il est cependant nécessaire de poser à la lumière de ce dispositif est de savoir si le Président de la République peut valablement considérer un projet de Constitution comme tout « projet de loi » au sens de l'article 46 et le soumettre au peuple pour adoption ? Cette question est d'autant plus pertinente qu'au regard de la tradition sénégalaise, le terme de Constitution est utilisé pour poser l'acte fondateur d'un nouveau régime politique comme ce fut le cas en 1959 et en 2001 ; le terme de loi constitutionnel visant, quant à lui, une révision-fondation d'une nouvelle Constitution ou une révision-modification de la Constitution existante. Parallèlement, la loi organique vise les matières pour lesquelles le constituant a expressément renvoyé au législateur organique ; alors même que l'emploi du terme de loi tout court sert, dans la tradition constitutionnelle sénégalaise, à désigner une loi ordinaire. La possibilité -- qu'est celle du Président de soumettre directement au peuple une loi -- ouverte par l'article 46 semble donc être une fenêtre juridique devant permettre au Président de faire adopter ou faire rejeter directement par le peuple souverain un projet de loi portant sur un aspect de sa politique ou de son programme présentant un aspect particulier dans un contexte singulier mais ressortissant du domaine de la loi ordinaire. Mieux, il s'agit là d'une technique de démocratie directe aménagée pour consulter le peuple sur une question de société, avec pour dessein de valoriser la souveraineté populaire. Il nous paraît donc aberrent, étant donné que la tradition constitutionnelle ne l'a jamais fait, que la formule « tout projet de loi » puisse recevoir une interprétation englobant une loi portant Constitution. En outre, si la disposition de l'article 46 pouvait permettre de mettre incontestablement à mort la Constitution qui la contenait, cela impliquerait que celle-ci renfermait en elle les germes de sa propre destruction. Ce qui, qui plus est, serait un précédent dangereux consistant à permettre à tout Président, qui le désirerait, de se doter d'une Constitution qui serait de nature à lui donner les pleins pouvoirs dont il aurait besoin pour gouverner avec toutes les latitudes. D'ailleurs, la grande réforme constitutionnelle réalisée en 1963 à l'initiative de l'Exécutif n'a été juridiquement irréprochable que parce qu'il y a eu une loi de pleins pouvoirs, loi du 18 décembre 1962, qui a donné autorisation, ou plutôt « carte blanche », au Président Senghor pour conduire ladite réforme. Dans la sphère française, c'est une loi adoptée quatre ans plus tôt (loi du 3 juin 1958) qui confia au Général de Gaulle le mandat de piloter une réforme d'une envergure identique. Toutes ces observations permettent de dire sans lieu de contestation que « le processus constituant de 2001 a marqué le passage d'un régime constitutionnel à un autre régime constitutionnel » mais « sans la base juridique qui aurait dû permettre de jeter un pont qui assure la jonction entre les deux régime6(*) » même si l'avis de la juridiction compétente en cette matière est plutôt favorable à l'emploi qui a été fait de l'article 46. Saisi en effet par le Président de la République par lettre en date du 3 novembre 2000, conformément à l'article 46 de la Constitution, le Conseil a estimé que « considérant que l'article 46 de la Constitution dispose que le Président de la République peut, sur proposition du Premier Ministre et après avoir consulté les présidents des assemblées et recueilli l'avis du Conseil Constitutionnel, soumettre tout projet de loi au référendum (...), que le Président de la République tient de cette disposition constitutionnelle le droit d'initiative au référendum sans distinction entre la matière constitutionnelle et la matière législative ordinaire » est d'avis « que le Président de la République peut, sur proposition du Premier Ministre et après avoir consulté les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat, soumettre au référendum le projet de Constitution »7(*). Quoi qu'il en soit, un tel point de vue ne peut ni autoriser, ni interdire, encore moins couvrir une irrégularité ; ceci, en raison de la valeur que revêt, en droit, un avis. L'irrégularité procédurale qui entacherait le recours au référendum en matière constitutionnelle -- et conformément à la tradition constitutionnelle, qui distingue entre loi constitutionnelle et loi ordinaire -- devra conduire à en analyser sa portée. * 5 Voir République du Sénégal, Constitution mise à jour en 1999 publiée par le Secrétariat Général du Gouvernement. * 6 FALL (I. M.), Evolution constitutionnelle au Sénégal, Partie II Chapitre II pp96 * 7 Conseil Constitutionnel, Décision n° 3/2000 du 9 novembre 2000 (avis). |
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