Chapitre 2nd Influence de l'ordre public quant à
la solution au fond du litige dégagée par l'arbitrage commercial
international
L'ordre public remplit des fonctions propres et reçoit
un contenu propre quant à la solution au fond du litige qui peut
s'exprimer en deux phases successives : la phase de l'instance arbitrale
et la phase post-arbitrale.
L'arbitrage est une véritable institution
internationale qui accomplit la tâche de juger une affaire lui
étant soumise. Ainsi, n'étant rattaché à aucun for,
l'arbitre doit quand même prêter attention quant au droit
applicable au fond dans le but de rendre une sentence efficace et
d'éviter qu'elle soit éventuellement annulée par le juge
du contrôle. Dans ce contexte, le rôle joué par l'ordre
public doit être étudié attentivement de façon
à permettre d'éclairer le lien entre l'ordre public et
l'arbitrage commercial international.
La solution au fond du litige se trouve normalement dans la
décision rendue par l'arbitre qui se présente sous forme d'une
sentence. Quant à l'examen sur la sentence elle-même, on trouve
encore une fois l'intervention de l'ordre public protégeant des valeurs
intangibles du for. En effet, la sanction d'une méconnaissance par
l'arbitre de l'ordre public, voire des lois de police, devrait se manifester au
moment du contrôle de la sentence, exercé dans le cadre d'un
recours en annulation, ou d'une demande de reconnaissance ou d'exécution
de la sentence.
Il est vrai donc que l'ordre public tient une place
importante dans la solution au fond du litige qui suppose d'abord que le droit
applicable soit déterminé (Section 1) et ensuite que le
contrôle sur les sentences doive être exercé par le juge
étatique de manière restrictive au regard de l'ordre public
(Section 2), sans pour autant remettre en cause l'autonomie de l'arbitrage
international.
Section I. Ordre public et détermination du
droit applicable au fond
-
- Le jeu traditionnel de l'ordre public en droit international privé
est que devant le juge, la loi étrangère désignée
par la règle de conflit peut être évincée lorsque
son application heurte l'ordre public120(*). Mais devant l'arbitre en droit du commerce
international, l'intervention ou la présence de l'ordre public
n'intéresse pas à ce problème. En effet, le rôle
majeur de l'ordre public à ce stade ne porte pas sur l'éviction
d'une loi étrangère puisque l'arbitre international n'est
rattaché juridiquement à aucun for121(*) et toutes les lois, à
la différence du juge, sont étrangères au regard de
l'arbitre international122(*).
- Par conséquent, si l'arbitre n'est pas le gardien d'un ordre
public particulier, il subit nécessairement le joug des ordres publics
des pays où la sentence est appelée à être
exécutée123(*) comme l'a dit le professeur Jean-Baptiste Racine,
« en dépit de tous ces arguments le respect de l'ordre public,
sous certaines conditions s'impose à l'arbitre124(*). » C'est en ce
sens que l'arbitre doit respecter l'ordre public étatique lorsque la
sentence fait l'objet d'un contrôle étatique, soit lors d'une
instance en annulation, soit lors d'une demande d'exequatur puisqu'il ne sait
jamais à l'avance si la décision qu'il rend sera ou non
contestée devant une juridiction étatique.
- Sur le plan international, afin de répondre aux besoins du
commerce, le juge arbitral doit rendre compte également de l'ordre
public transnational. Il s'agit ici d'un ordre public communément
partagé par l'ensemble des nations et par la communauté des
commerçants internationaux.
- Toutefois, on arrive à conclure à ce que l'ordre public
étatique et l'ordre public transnational ne se contredissent pas et en
plus, loin d'être concurrents, ils sont complémentaires. En plus,
la question serait de savoir si le juge devrait procéder à un
contrôle « national » ou
« international » de la conformité de la solution du
fond adoptée par la sentence avec l'ordre public matériel,
d'abord au stade du recours en annulation, puis lors de l'examen d'une
requête en exécution d'une sentence
étrangère125(*). On aura donc intérêt de voir l'ordre
public étatique (§ I) et l'ordre public transnational (§
II).
§ I. Ordre public étatique
- Dans cette hypothèse, l'ordre public est une limite à
l'autonomie de l'arbitrage international. L'arbitre fait partie du
mécanisme contractuel126(*) et dans l'immense majorité des cas, les
arbitres respectent la volonté exprimée par les parties sur le
droit applicable au différend et s'en tiennent à l'application de
ce droit ; mais il n'est pas moins évident que dans certains cas,
les parties n'ont pas choisi les règles applicables à leur
litige. Toutefois, il ne soulève pas trop de difficultés lorsque
la règle d'ordre public se trouve dans la loi choisie tant par les
parties qu'éventuellement par les arbitres eux-mêmes (A).
- Il est également à noter qu'il existe des règles qui
ne sont pas autolimitées ; celles-ci posent des problèmes
encore plus gravement bien qu'elles ne figurent pas dans la loi choisie du
contrat ; il s'agit de l'ordre public étranger à la loi
choisie (B).
* 120Daniel
GUTMANN, Le droit international privé, Dalloz,
4e édition, 2004. p. 113.
* 121 Jean-Baptiste Racine,
L'arbitrage commercial international et l'ordre public, LGDJ, 1999, p.
233.
* 122 Marie-Noël
JOBARD-BACHELLIER, « Ordre public international »,
Fasc. 534-2, J-CL éditions techniques 1992. p.10.
* 123
Kassis, Théorie générale des usages du
commerce, LGDJ 1984. no 959.
* 124 Jean-Baptiste Racine,
L'arbitrage commercial international et l'ordre public, LGDJ, 1999, p.
233.
* 125 Homayoon Arfazadeh,
Ordre public et arbitrage international à l'épreuve de
mondialisation, LGDJ, 2005. p. 14.
* 126 Pierre MAYER,
« Le contrat illicite », Rev. Arb. 1984. p. 209.
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